Conscience Nègre

Conscience Nègre

L'invention d'une capitale coloniale : Ouagadougou de 1919 à 1932

L'INVENTION D'UNE CAPITALE COLONIALE :

OUAGADOUGOU DE 1919 A 1932


 

INTRODUCTION

Au milieu du XIXème siècle, Ouagadougou conservait son caractère mystérieux et légendaire. Située à l'est de la boucle du Niger, à quelques huit cents kilomètres de la mer la plus proche, elle n'avait encore été atteinte par aucune mission d'exploration. Constituée de plusieurs groupes de cases en murs d'argile et toits de chaume abritant près de cinq mille habitants, Ouagadougou était un grand village africain. Elle était aussi la capitale du plus vaste et populeux royaume Mossi, celui de Ouagadougou. A partir de 1871, les puissances européennes se relancèrent dans l'aventure coloniale. De 1886 à 1896, elles dirigèrent vers le pays Mossi une dizaine de missions d'exploration afin d'obtenir la signature d'un traité de protectorat du Mogho Naba Wobgho (souverain du royaume de Ouagadougou). Face à la résistance de ce dernier, les Français décidèrent en 1896 de passer à la conquête armée. Le 1 septembre, Ouagadougou tombait sous les assauts de la colonne Voulet-Chanoine, suivie de près par la totalité de son royaume. Dès lors, ils entraient dans la sphère d'influence française.

Dès le mois de février 1897, Ouagadougou devint le chef-lieu de la Résidence du Mossi, circonscription militaire qui recouvrait l'ensemble du pays Mossi. Le poste français, véritable place forte, fut édifié au centre du village de Ouagadougou, à la place du palais du Mogho Naba détruit par la colonne Voulet-Chanoine. Pendant près d'une année, ce poste servit de base aux opérations de pacification françaises conduites dans le pays. Puis, les autorités militaires mirent en place les rouages du système colonial dans la Résidence et son chef-lieu. Ils procédèrent à l'organisation politique et administrative tout en laissant aux chefs autochtones une partie de leurs prérogatives séculaires. Ils établirent un premier recensement de la population afin d'appliquer l'impôt de capitation au plus grand nombre. Ils développèrent le mouvement commercial en étoffant le réseau routier et en instaurant une surveillance accrue des routes caravanières. Enfin, ils édifièrent les premières infrastructures éducatives. L'école de Ouagadougou fut construite à proximité du poste militaire.

En 1904, la résidence du Mossi fut transformée en cercle de la colonie du Haut-Sénégal-Niger. Ouagadougou devint le chef-lieu de cette nouvelle circonscription. L'administration directe devait ainsi succéder au protectorat, et la mise en valeur du territoire à la pacification.

Pourtant, quinze années plus tard, Demaret, chargé de l'inspection du cercle du Mossi concluait son rapport par ces mots: "Le pays est encore à peu près tel aujourd'hui qu'il l'était au début de notre occupation1". En effet, le pouvoir colonial s'appuyait toujours sur les chefs autochtones pour gouverner. L'économie restait autarcique et les infrastructures socio-éducatives embryonnaires. Le "paysage urbain"2 de Ouagadougou conservait ses caractéristiques pré-coloniales et témoignait du peu d'emprise de l'autorité française dans la région.

Le 1 mars 1919, Ouagadougou devenait la capitale de la nouvelle colonie de la Haute-Volta formée des cercles du Mossi, de Gaoua, de Bobo-Dioulasso, de Dori, de Dédougou, de Say et de Fada n'Gourma. Le 9 novembre 1919, François Charles Alexis Edouard Hesling, nommé lieutenant-gouverneur depuis le 16 mai, arrivait à Ouagadougou. Ses supérieurs lui avaient assigné deux objectifs principaux pour la nouvelle colonie : la mise en place d'une infrastructure cohérente et efficace pour assurer un contrôle plus étroit de la population ; et le désenclavement du pays préalable nécessaire à son développement économique. Hesling nourrit très vite pour la Haute-Volta des projets plus ambitieux. Il était pour la première fois chargé du commandement d'une colonie et entendait bien y laisser son empreinte. Il érigea Ouagadougou, chef-lieu de son gouvernement, en vitrine de la nouvelle colonie. Délaissée pendant quinze années par le pouvoir colonial, elle devint, au contraire, à partir de 1919, son terrain d'intervention privilégié.

OUAGADOUGOU : UNE CAPITALE ADMINISTRATIVE, UN CENTRE ECONOMIQUE, UN LIEU D'EXPERIMENTATION SOCIALE

L'organisation administrative puis l'amélioration des voies de communication mobilisèrent l'attention du lieutenant-gouverneur Hesling pendant les premières années d'existence de la colonie de la Haute-Volta. Puis, à partir de 1923, il orienta l'économie des pays de la boucle du Niger vers l'agriculture intensive, celle du coton en particulier, et développa les structures socio-éducatives.

1. La cohérence administrative appliquée à Ouagadougou

Jusqu'alors seule une poignée d'hommes avait gouverné les immenses territoires constituant désormais la Haute-Volta. Ils étaient parvenus à y maintenir la paix grâce à leur supériorité militaire qui suscitait crainte et respect des populations autochtones. Désormais, l'accomplissement du projet colonial passait par une adhésion plus profonde et sincère des populations locales à leur nouveau régime politique. Pour cela, il fallait former l'esprit des indigènes aux intentions des colonisateurs. Or, seule une plus grande cohérence administrative permettrait de mener à bien ce dessein. Hesling chercha à l'instaurer, dans un premier temps, dans sa capitale. Il s'attela conjointement à la mise en place méthodique des services de la colonie à Ouagadougou et à la réforme du système administratif du cercle du Mossi.

L'organisation des services du gouvernement

Dès le 9 novembre 1919, date de son arrivée à Ouagadougou, Hesling se consacra à la mise en place des services politiques et administratifs de la colonie. Le 1 janvier 1920, un arrêté fixait l'organisation et les attributions des bureaux politiques du gouvernement3 . Au premier bureau étaient allouées les affaires politiques et administratives de la colonie et au troisième, la comptabilité des finances et du matériel. Deux nouveaux bureaux vinrent ensuite compléter cette organisation : en 1922, le deuxième bureau constitué du service des transports ; et en 1931, le quatrième bureau composé des services techniques et du trésor.

La création des services administratifs débuta en 1919 par l'organisation du service des travaux publics et s'acheva en 1925 par celle du service textile. Avec quinze services, dix "d'exploitation industrielle", deux "d'intérêt social", deux entretenus par l'A.O.F et un service militaire, la Haute-Volta disposait dès 1925 d'un appareil administratif efficace. Ouagadougou fut dotée, également, d'une justice à compétence étendue. Elle remplissait désormais les fonctions d'une véritable capitale administrative. Le nombre de fonctionnaires en poste à Ouagadougou augmenta régulièrement pendant toute la période. En décembre 1919, seuls trois hommes assuraient le fonctionnement des services politiques et administratifs de la colonie : le lieutenant-gouverneur, son chef de cabinet et l'administrateur Rougier4 . Cinq mois plus tard, leur effectif avait déjà plus que doublé : 11 agents français assuraient le fonctionnement des seuls Bureaux politiques de la Haute-Volta. En 1925, leur nombre passa à 15 puis à 20 en 1931.

Le morcellement du cercle du Mossi

La cohérence administrative devait également s'appliquer aux niveau des circonscriptions de la colonie. Parallèlement à l'organisation des services de la colonie, Hesling entreprit la réforme du cercle du Mossi qui conservait Ouagadougou comme chef-lieu.

Dès le mois de mai 1920, Hesling déclarait : « Nous avons le plus grand intérêt à maintenir ce régime et à en respecter les traditions fondamentales et telle est la politique déjà instaurée par le Gouvernement du Haut-Sénégal-Niger, que celui de la Haute-Volta entend poursuivre avec fruit5 ». Il ajoutait cependant, il est « nécessaire, indispensable, tout en maintenant et en renforçant même parfois l'autorité des Nabas de l'éduquer6 , de la canaliser, de la contrôler, d'en corriger les manifestations inconciliables avec nos principes de justice, d'équité, de liberté adaptée aux circonstances et aux conditions de la vie indigène; d'en proscrire les pratiques, vestiges d'un autre temps, incompatible avec le nouvel ordre des choses établi 7». Afin de remédier aux abus des Nabas sur les populations qu'ils administraient, Hesling décida d'augmenter leurs traitements8. «Un chef rémunéré convenablement, expliquait-il, éprouve moins le besoin de se faire remettre des cadeaux et de pressurer ses administrés9 ». Pour exercer un contrôle plus strict sur leurs agissements, il imagina le morcellement du cercle du Mossi en 5 nouveaux cercles : celui de Ouagadougou, comprenant deux subdivisions à Léo et à Pô, et ceux de Ouahigouya, Koudougou, Kaya et tenkodogo. Le cercle du Mossi tel qu'il existait depuis 1904 était, en effet, beaucoup trop important, tant par son étendue (100 000km2) que par sa population (plus de 2 millions d'habitants)10 . De fait, le commandant de cercle, surchargé de paperasse, ne pouvait effectuer les tournées nécessaires au progrès de l'autorité française dans la région. De plus, ses chefs de subdivisions ne pouvaient légalement pas le suppléer. La division du cercle devait permettre l'affectation d'un personnel administratif plus nombreux et instaurer une gestion plus efficace. Le personnel augmenta effectivement. En 1919, seuls deux agents français et deux agents indigènes géraient la circonscription de Ouagadougou et ses 650 000 habitants sur 27 000 km2. En 1925, six agents français et 6 agents locaux administraient le cercle de Ouagadougou et ses 533 096 habitants et 33 772 km211 . En 1932, ils étaient encore respectivement 7 et 612 .

Cependant, ces mesures restèrent insuffisantes. En 1932, l'inspecteur Sol déplorait : « Le contact avec nos administrés est encore trop précaire pour que les représentants de l'administration prétendent connaître leurs ressortissants13». La politique conduite par Hesling puis Fournier n'avait donc pas permis d'instaurer dans la colonie de la Haute-Volta un contrôle plus étroit des populations. Le nombre de fonctionnaires, bien qu'en constante augmentation depuis 1919, restait dérisoire par rapport aux nombres d'habitants du territoire. En 1925, seul un fonctionnaire français administrait une population de 66 000 habitants contre 1 pour 18 000 dans la colonie du Sénégal14 . La pénurie de personnel était encore plus perceptible dans le cercle de Ouagadougou. En effet, les agents administratifs du cercle étaient souvent sollicités par le gouvernement pour pallier son propre manque de personnel. Ainsi, lors de la construction du quartier administratif, ils organisèrent le recrutement de la main d'oeuvre salariée et des prestataires ou encore le transport de matériel15 . En 1925, Haranguer, chargé de l'inspection du cercle de Ouagadougou, notait: « Le commandant de cercle remplit des fonctions de juge de paix et le cercle effectue une partie des travaux publics du chef-lieu. C'est encore lui qui fournit le billeteur destiné à effectuer la paye des manoeuvres de ce service en fin de mois. Il assure le ravitaillement de Ouagadougou ce qui l'astreint à la surveillance quotidienne des marchés, au relevé journalier des quantités vendues, à l'établissement des mercuriales16 ». En 1932 encore, Dulac dans son rapport d'inspection concernant le cercle de Ouagadougou, insistait, à son tour, sur les lourdes charges qui lui incombaient et citait notamment le ravitaillement du chef-lieu 17.

2. L'instauration d'une économie de traite

Eloignées de tous débouchés maritimes et pas encore desservies par le rail, Ouagadougou et la Haute-Volta ne disposaient jusqu'en 1919 que d'un réseau routier somptuaire pour acheminer et évacuer les marchandises. Les coûts du transport très élevés qui en résultaient grevaient lourdement son économie. Le désenclavement de la colonie s'imposait donc avant toute tentative de mise en valeur du territoire. A partir de 1923, Hesling le jugea suffisant pour soutenir son projet de développement économique fondé sur l'émergence d'une agriculture plus productive.

Le désenclavement de Ouagadougou

Dans son rapport du 31 mai 1920, Hesling notait : « De Ouagadougou partent dans cinq directions différentes de larges routes... très suffisantes pour relier par automobile le chef-lieu de la colonie à tous les chefs-lieux de cercle et de subdivision, très facilement pendant sept à huit mois de l'année, avec un peu de difficultés pendant la pleine saison des pluies... Il est actuellement inutile de construire de nouvelles routes en Haute-Volta, sauf pour assurer des débouchés vers le golfe de Guinée ; le réseau actuel suffit et répond à tous les besoins18 ». L'action du Gouvernement consisterait donc essentiellement à améliorer le réseau routier existant.

Dès 1920, il mit en place un système embryonnaire de maintenance des pistes. Chaque tronçon de 8 à 10 kilomètres était entretenu en permanence par un cantonnier, lui-même supervisé par un chef-surveillant doté d'un cheval ou d'une bicyclette qui avait à charge une section de 100 à 200 kilomètres19 . Des premières transformations furent parallèlement effectuées : d'une part, la route reliant Bobo Dioulasso à Ouagadougou avait été raccourcie de 70 kilomètres grâce à l'ouverture d'un tronçon direct entre Bobo Dioulasso et Boromo ; d'autre part, la voie commerciale reliant Bobo à Banfiéra et se dirigeant vers la Côte d'Ivoire avait été prolongée jusqu'à Bouaké, terminus provisoire du chemin de fer qui devait, par la suite, se prolonger jusqu'à Ouagadougou en passant par Bobo Dioulasso. Enfin, une route partant de Tenkodogo dans le Mossi et se dirigeant vers Sansanné Mango avait été ouverte afin d'assurer un débouché de la Haute-Volta sur le Togo20. Selon les termes d'Hesling en 1920, « les ponts et les passages d'eau étaient les points faibles du réseau21 ». Ils cédaient facilement lors des précipitations et fortes crues de l'hivernage et rendaient une partie du réseau inutilisable pendant plusieurs mois. La construction de ponts définitifs fut ainsi entreprise. Mais, freinées par le manque de moyens financiers et de matériel, ces opérations de construction s'étalèrent sur de nombreuses années. En 1932 encore, un crédit de 50 000 francs fut attribué à la construction de ponceaux définitifs sur la route de Bobo-Dioulasso à Ouagadougou22 .

A partir de 1924, la densification du réseau fut entreprise. Si Hesling l'avait jugé suffisant à son arrivée dans la colonie, c'est sans doute parce qu'il comptait sur une arrivée rapide du rail pour le soulager. Or les travaux du chemin de fer ne progressant que très lentement, il révisa sa politique et débloqua d'importants crédits pour la construction de nouvelles routes. Ainsi, le réseau routier passa de 3 000 kilomètres en 1923 à 5 000 en 192623 . Hesling estimait alors : « Il a atteint son développement à peu près complet 24». De fait, dès cette date, Ouagadougou était reliée à toutes les colonies voisines par des routes inter coloniales. Le réseau intra colonial lui permettait, en outre, d'être accessible par automobile de tous les cercles. Les années suivantes, le réseau routier s'étoffa encore mais selon un rythme plus modéré. En 1930, il était constitué de 6 300 kilomètres de voies25. Cependant, le désenclavement de Ouagadougou, en l'absence du rail et malgré l'aéroport construit en 1922, restait tributaire des conditions climatiques. Ainsi, en septembre 192526 , Hesling notait l'arrêt presque total du transport commercial dans le cercle de Ouagadougou à cause des fortes pluies. En 1930, le gouvernement général de l'A.O.F précisait que le réseau routier voltaïque était praticable en voitures légères « tout au moins pendant la saison sèche d'octobre à mai27 ».

Le désenclavement de Ouagadougou nécessitait également l'organisation d'un système de transport. Dès 1920, Hesling compléta le matériel roulant de la colonie. Il fit installer, sur la voie reliant Ouagadougou à la Côte d'Ivoire des dépôts secondaires d'essence et de pièces de rechanges. Il relança, enfin, la fabrication de charrettes afin de supprimer le portage28 .

En juin 1922, il créait un service des transports29. Ce dernier assura, jusqu'en 1925, le transport du matériel, du courrier, des fonctionnaires, des denrées agricoles et des voyageurs. Ainsi, pendant l'année 1923, il transporta 359 voyageurs, 127 tonnes de matériel, 42 tonnes de produits culturaux et 31 tonnes de courriers30. Puis, en 1925, 1327 voyageurs et 853,655 tonnes de marchandises31. En 1925, le service fut réorganisé et déchargé de certaines de ses fonctions. « Maintenant, son champ va se borner aux strictes nécessités intérieures de la colonie32 » précisait Hesling, c'est-à-dire au transport du courrier et des personnes. Les maisons commerciales s'étaient, en effet, dotées de leurs propres moyens d'évacuation tandis que certains services, comme celui des Travaux Publics, disposaient désormais d'un système de transport indépendant. Dès 1926, le tonnage de marchandises transportées diminuait légèrement (761,196) tandis que le nombre de voyageurs augmentait (1683)33 . Cette tendance se confirma les années suivantes. En 1929 et 31, le tonnage des marchandises transportées fut respectivement de 313,730 tonnes et 142,512 tonnes et le nombre de voyageurs de 1 836 et 2 783 34.

Hesling tenta également de favoriser une circulation rapide de l'information vers la capitale Ouagadougou. Il étoffa le réseau télégraphique de la colonie et organisa le transport régulier du courrier. Dans son rapport politique annuel de 1923, il notait : « Un gros effort a été fait par la colonie pour la réfection et la construction de lignes télégraphiques35 ». En effet, en 1923, quatre lignes inter coloniales reliaient Ouagadougou à Bamako et Porto-Novo et deux lignes intra coloniales assuraient une liaison entre Ouagadougou et Ouahigouya et Gaoua. Trois autres lignes étaient en construction, celles de Ouagadougou-Léo, Ouagadougou-Dori par Kaya et Ouagadougou-Tenkodogo. En outre, 15 bureaux télégraphiques étaient disséminés dans toute la colonie36. Le 20 mai 1925, le réseau télégraphique s'agrandit par la mise en service de la ligne Ouagadougou-Dahomey37, puis en 1926, par celle de la ligne Ouagadougou-Léo. L'ensemble des postes télégraphiques de la colonie était ainsi relié au chef-lieu38.

Les courriers postaux en provenance ou en direction de la Métropole transitaient hebdomadairement par Bamako et le chemin de fer Thies-Kayes39 . Les courriers intérieurs quittaient Ouagadougou le lendemain ou le surlendemain de l'arrivée du courrier de France. De plus, des courriers bimensuels étaient établis entre Dori et Niamey (Niger), entre Ouagadougou et le Togo, entre Fada N'Gourma et le Dahomey40.

Si les communications postales et télégraphiques avaient connu un essor remarquable, le réseau téléphonique restait à l'état embryonnaire. En 1923, il se réduisait au réseau urbain de Ouagadougou composé de 20 kilomètres de lignes et de 16 postes41. Puis, un réseau provincial fut développé. En 1926, il reliait Ouagadougou à Kaya, Koudougou et Pô42. Cette même année, un nouveau standard à 60 directions fut posé dans la capitale43.

En 1932, les marchandises, les voyageurs, le personnel administratif et les informations circulaient mieux à l'intérieur de la colonie de la Haute-Volta qu'à la veille de sa création. De plus, un contact étroit et régulier était assuré avec la Métropole et les colonies voisines. Cependant, le fret était toujours tributaire des conditions climatiques. En l'absence de chemin de fer, le désenclavement de Ouagadougou ne restait qu'ébauché. Hesling le jugea pourtant suffisant, dès 1923, pour soutenir sa politique de mise en valeur de la colonie.

Culture intensive et commerce de traite

Le lieutenant-gouverneur Hesling voulait à tout prix éviter de faire de la colonie de la Haute-Volta le réservoir de main d'oeuvre de l'A.O.F. Depuis plusieurs années déjà, les pays de la boucle du Niger, forts de leurs trois millions d'habitants, pourvoyaient en hommes les opérateurs économiques des colonies voisines. Pour la seule année 1922, plus de 9 500 travailleurs voltaïques furent envoyés sur les chantiers du chemin de fer Thies-Kayes et presque 5 000 sur celui de Côte d'Ivoire44. Afin de justifier la conservation de la main d'oeuvre sur le territoire de la Haute-Volta, Hesling décida d'y promouvoir un développement fondé sur l'émergence d'une agriculture plus productive « grâce à une amélioration des systèmes de culture et grâce à une meilleure valorisation de la force de travail45». En 1923, il créait à Ouagadougou un service de l'agriculture et précisait ses attributions : « organiser méthodiquement, sur des bases scientifiques les cultures indigènes dont l'existence et le développement sont indispensables à l'essor économique de la colonie, et qui doivent marcher de pair avec l'exécution du programme de développement des moyens de transport46 ».

UN NOUVEAU "PAYSAGE URBAIN"

Entre 1919-1932, Ouagadougou connut de profondes modifications de son "paysage urbain". Induites en partie par l'émergence de ses nouvelles fonctions de capitale, elles furent aussi et surtout le résultat d'une véritable politique urbaine conduite par le premier lieutenant-gouverneur de la colonie. Dès 1919 en effet, Hesling entreprit de transformer la nouvelle capitale selon sa propre conception de la ville, une conception fortement influencée par les nouvelles idées urbanistiques du début du XXème siècle. Celles-ci, afin de faire chuter le taux de mortalité très élevé dans les centres urbains, cherchaient à y appliquer les deux principes fondamentaux de la théorie hygiéniste : le contrôle des flux (« flux liquides ou solides, humains ou animaux 1») et « la différenciation fonctionnelle desorganes aussi bien de la cité que du bâtiment2 ».

Dans les villes coloniales, le taux de mortalité était encore bien plus élevé qu'en Métropole et constituait un frein à l'accomplissement du projet colonial. Les maladies tropicales y causaient des ravages. Au tournant du XXème siècle, des découvertes médicales désignèrent le moustique comme le vecteur principal de nombre de ces maladies. Or, la lutte contre ces insectes passait par la destruction des eaux stagnantes, donc par le contrôle des flux liquides et un traitement "hygiénique" de la ville. Aussi, les nouvelles pratiques urbaines s'appliquèrent-elles dès le début du XXème siècle dans les plus grands centres coloniaux.

Hesling nourrissait des projets très ambitieux pour la Haute-Volta et voulut ériger Ouagadougou en vitrine de la colonie et en faire-valoir de ses compétences. Il chercha donc à la conformer aux nouveaux canons urbains européen en lui imposant une nouvelle organisation spatiale, de nouveaux modes de construction et un traitement sanitaire efficace.

1. Une nouvelle organisation spatiale

L'une des nouvelles règles présidant à l'édification des centres urbains consistait à instaurer une différenciation fonctionnelle des différents quartiers qui les composaient. Ainsi, une ville se devait d'être composée d'un quartier administratif, d'un quartier commercial, d'un quartier résidentiel... soigneusement séparés les uns des autres. En 1919, le premier plan de lotissement de Ouagadougou ébauchait ce compartimentage fonctionnel. Le second, en 1921, le généralisait et introduisait une nouvelle spécialisation des quartiers, cette fois-ci selon des critères de race. Enfin, l'extension de lotissement en 1926, officialisait la pratique de la ségrégation urbaine dans la capitale. Ces trois plans de lotissement déterminèrent une nouvelle organisation spatiale de la capitale.

L'introduction de la différenciation fonctionnelle

A l'arrivée du Gouverneur Hesling à Ouagadougou le 9 novembre 1919, l'édification de nouveaux bâtiments afin d'accueillir les multiples services de la colonie s'imposa rapidement. Jusqu'alors, les bâtiments administratifs avaient été élevés à proximité ou à l'intérieur du poste, lui-même situé au coeur du centre historique de la cité.

Hesling choisit de rompre avec cet usage et se prononça, au contraire, dès le 12 novembre, pour la construction d'un véritable quartier du Gouvernement à l'extérieur des limites de la ville3. Il introduisait ainsi une première différenciation fonctionnelle des organes de la cité, principe si précieux aux yeux des hygiénistes. Il se conforma également aux recommandations de ces derniers lorsqu'il lui fallut choisir l'emplacement précis du nouveau quartier administratif. Elles avaient trait « à la salubrité du lieu, à son exposition par rapport aux vents, à sa situation géographique quant à l'altitude, et surtout, ce qui est capital, à son approvisionnement abondant et facile en eau potable et en eau ordinaire4 ». Le site devait également être proche des grandes voies de communication, des routes et des pistes caravanières, ou, mieux encore, à leur point de convergence. Il devait, enfin, être suffisamment vaste pour permettre d'éventuelles extensions lorsque la mise en valeur de la colonie susciterait une arrivée massive de population européenne, agents de l'administration, des grandes maisons commerciales et des industriels. « Sans tomber dans l'excès, il convient de voir grand. Les rues et les avenues doivent être larges ; les immeubles doivent être séparés d'espaces suffisants5 » indiquait le journal La République Française.

Hesling porta son choix « sur une légère élévation en pente douce située à l'est de la localité et dont le point extrême se trouve à 2 200 mètres de Ouagadougou6 » pour accueillir le nouveau centre. Cette position géographique lui conférait à la fois une meilleure ventilation qu'en plein coeur de Ouagadougou et une position stratégique. Des sondages avaient, de plus, permis d'y découvrir la présence d'une nappe souterraine susceptible d'assurer une alimentation en eau régulière au moyen de puits dont la profondeur pourrait ne pas excéder 20 mètres. En effet, dès le mois de juin 1920, une vingtaine de puits y avaient été creusés, non sans quelques difficultés. « Ce travail a été assez long par suite de la nécessité de consolider les parois dans les couches meubles par des revêtements en briques cuites (14 000 briques)7 » expliquait Rougier à son Gouverneur.

Bien qu'en lisière de Ouagadougou, le site choisi était proche des grands axes routiers. Il était, d'une part, accolé à la route de Fada n'Gourma ; et d'autre part, séparé de seulement deux kilomètres du centre de Ouagadougou où convergeaient toutes les voies commerciales. Dès le mois de juin 1920, une large avenue de 30 mètres assurait la liaison entre centre administratif et centre historique. Enfin, le terrain choisi pour élever le nouveau quartier était de grande dimension et se prêtait donc à de futures extensions.

Son plan de lotissement, arrêté au 20 novembre, les prévoyait visiblement à brève échéance. Les lots à bâtir étaient vastes : 210 mètres X 175 mètres pour le plus grand et 100 mètres X 50 mètres pour le plus petit8 . Les avenues et les rues à l'intérieur du quartier étaient larges : deux avenues principales de 60 mètres de largeur, orientées respectivement nord-sud et est-ouest se coupaient à angle droit sur la Place du Gouvernement, au niveau de la face nord de l'Hôtel du Gouverneur ; cinq rues parallèles de 25 mètres orientées est-ouest, s'élançaient de part et d'autre de l'avenue principale, quatre au nord de l'avenue et cinq au sud9. Hesling pouvait ainsi affirmer en mai 1920 : « En portant son choix sur ce terrain et en l'allotissant suivant des vues larges, prévoyant une liaison facile avec le centre actuel , des avenues et des rues spacieuses ainsi que des lots étendus, l'administration, chargée de fonder cette future capitale, a le sentiment d'en avoir réservé et complètement assuré l'avenir dans les meilleures conditions possibles10 ».

La première tranche de travaux prit fin au début du mois de mai 1920. Douze bâtiments étaient achevés tandis que sept autres restaient à construire en octobre, après l'hivernage. Hesling constatait ainsi : « L'ensemble forme un heureux effet et constitue, sur ce qui a été fait précédemment dans cette partie de l'Afrique Occidentale Française, un progrès réellement appréciable11 ». En moins d'une année, Hesling était parvenu à poser à Ouagadougou les premiers jalons d'une organisation spatiale selon une conception européenne dont l'ordre cartésien était le maître mot. Aux côtés des anciens quartiers, un nouveau paysage urbain caractérisé par sa régularité géométrique s'imposait. La vie de la cité s'organisait désormais autour de quatre pôles principaux : le chef-lieu gouvernemental, le quartier du Mogho Naba, le quartier de la mission et enfin le quartier du cercle .

L'introduction de la ségrégation

Contrairement au premier plan de lotissement de Ouagadougou qui avait été établi dans l'urgence, le second bénéficia de plusieurs mois de préparation. Le plan de Ouagadougou dressé par Hesling en mai 1920 en laissait déjà apparaître les grandes lignes. Ainsi, aux numéros 37 et 38 de la légende du plan, Hesling précisait « marché projeté » et « commerce (en projet) ». Au numéro 11, il notait encore « projet de groupe scolaire ». Les onze mois suivant furent consacrés à l'application de la procédure légale relative à l'élaboration d'un plan de lotissement. Cette dernière fut définie par un arrêté du lieutenant Gouverneur promulgué le 14 septembre 1920 et réglementant les concessions des terres domaniales12. En Haute-Volta, comme dans toute les colonies française, tous les terrains dépendaient de l'état, par droit de conquête. « Tout le système foncier était par conséquent fondé sur la notion juridique de "concession" appropriée individuellement, reprise du système légal français. Les concessions étaient attribuées par les autorités coloniales à titre provisoire puis définitif 13». Jusqu'alors, peu de concessions avaient été accordées dans les pays de la boucle du Niger, faute de demandeurs. Dans le cercle du Mossi en 1919, les Pères Blancs étaient les seuls à posséder un titre foncier. La constitution de la colonie de la Haute-Volta laissait présager le développement économique de ces contrées et l'arrivée massive d'Européens. Désormais, un cadre légal s'imposait. Le décret divisait les terres domaniales en « concessions rurales situées en dehors des lieux habités » et en « lots de terrain urbains compris dans les limites déterminées par des plans de lotissement14». Pour ces derniers, les concessions n'intervenaient qu'après le respect d'une série de formalités obligatoires: un plan provisoire de lotissement devait être dressé par un géomètre du service topographique puis examiné par une commission mixte composée notamment de l'administrateur du cercle, du médecin de région, d'un commerçant et du géomètre. Le plan devait ensuite faire l'objet d'une enquête de commodo et incommodo d'une durée de quinze jours annoncée sur le Journal Officiel et par affiches. « Après clôture de l'enquête, le dossier composé du plan, du procés verbal de la commission mixte, du procès verbal d'enquête de commodo et incommodo est transmis au Lieutenant-Gouverneur . Le dossier est ensuite soumis au chef du service topographique de la colonie ou, à défaut, au chef du service des Travaux Publics pour examen technique et établissement, s'il y a lieu, du plan définitif qui est soumis à l'approbation du Lieutenant-Gouverneur en conseil d'administration15 ». Enfin, « un arrêté du Lieutenant-Gouveneur en conseil d'administration déclare le plan d'utilité publique et stipule qu'il tiendra lieu également de plan d'alignement16 ».

Le 4 août 1920, Hesling promulguait un arrêté chargeant provisoirement des fonctions de la propriété foncière dans la subdivision de Ouagadougou M. Simon, chef du service des travaux publics17. L'arrêté précisait aussi la composition de la commission mixte. Elle comprenait l'administrateur du cercle du Mossi, le médecin de l'assistance médicale de l'indigénat, le géomètre ad hoc chargé du levé et un commerçant. En novembre 1920, l'enquête de commodo et incommodo fut ouverte. Le 13 avril 1921, le deuxième plan de lotissement de la ville de Ouagadougou était déclaré d'utilité publique18. Il s'appliquait aux terrains ceinturant le quartier administratif.

Il affirma la différenciation de fonctionnalité des différents quartiers de la ville. En effet, il prévoyait l'édification d'un quartier commercial à l'intersection de la route de Fada n'Gourma et de la route reliant le quartier administratif au centre historique19. Constitué d'un nouveau marché et de lots commerciaux, il devait remplacer à brève échéance l'ancien marché trop à l'étroit pour accueillir les maisons de commerce européennes que l'on espérait nombreuses. Le plan prévoyait, en outre, l'édification d'un groupe scolaire face au quartier administratif, de l'autre côté de la route de Fada n'Gourma20. L'école, située jusqu'alors à proximité du marché, y serait bientôt transférée. Le second plan de lotissement extrayait donc du centre historique de Ouagadougou deux fonctions essentielles de la cité (le commerce et l'éducation) pour les rapprocher du quartier administratif. Il érigeait, de fait, le quartier européen en pôle ou centre principal de Ouagadougou alors que le centre historique de la cité ne devenait plus qu'un quartier périphérique. En outre, cette transformation participait symboliquement au renforcement de l'autorité française en favorisant le quartier du gouverneur au détriment du quartier du Mogho Naba.

Le second plan de lotissement dans son application favorisa un différenciation raciale des quartiers de Ouagadougou. En effet, aucun terrain loti ne fut concédé aux indigènes. Entre 1921 et 1925, seuls des européens s'en emparèrent. Aucune réglementation ne réservaient l'acquisition de ces parcelles aux européen mais leur prix trop élevé excluait en fait les indigènes. En mars 1923, quatre lots urbains d'une dimension allant de 16,66 ares à 33,33 ares furent vendus aux enchères publiques. Leur mise à prix allait de 1 666 francs à 2 000 francs21. Or, le salaire journalier d'un indigène travaillant, par exemple, pour le service des travaux publics s'élevait alors à 0,75 francs22. Le déplacement du quartier haoussa en 192123 qui était en bordure du quartier administratif fut une manifestation concrète de cette politique de séparation. Il s'agissait ici de libérer des terrains « pour les besoins des services publics et pour le développement du centre urbain de Ouagadougou24».

Le second plan de lotissement avait, à son tour, modifié profondément l'organisation spatiale de Ouagadougou. Il avait poursuivi la différenciation fonctionnelle des quartiers tout en y superposant une différenciation raciale. Désormais s'ébauchait à Ouagadougou l'opposition entre une ville blanche et une ville noire.

L'officialisation de la ségrégation

Le 15 mai 1926, un plan de lotissement complémentaire fut dressé à Ouagadougou. Il fut précédé de deux mois par une circulaire du Lieutenant-Gouverneur Hesling donnant de nouvelles instructions pour la concession des permis d'occupation urbaine25. Ces nouvelles instructions organisaient la ségrégation à l'intérieur de tous les centres urbains de la colonie. Pour la capitale, cette circulaire généralisait et précisait en fait, avant l'application de l'extension de lotissement, les pratiques ségrégationnistes déjà ébauchées lors des plans précédents. Le Lieutenant-Gouverneur Hesling divisait les indigènes en trois catégories : les "évolués", les "semi évolués" et les "non évolués". Les premiers, en principe, pouvaient accéder à la propriété dans le quartier dit européen « qui forme le centre de l'agglomération urbaine26 ». Les deux autres catégories ne pouvaient habiter que dans des quartiers indigènes. ceux-ci étaient divisés en deux zones. La première, la plus voisine du quartier européen, était exclusivement réservée aux indigènes "semi évolués" tandis que dans la seconde se dressaient les cases des indigènes "non évolués". La circulaire précisait également les modalités de séparation des deux zones et du quartier européen : « Le quartier dit européen devra être séparé des quartiers indigènes par un large boulevard de 50 mètres si possible que l'on plantera d'arbres27 ». Quant aux deux zones indigènes, elle devait être séparée par un boulevard d'au moins 40 mètres. Leur découpage était également notifié : « Les deux zones sont à découper au moyen de rues de 20 mètres de large en lots autant que possible réguliers de 80 /80 mètres28». Chaque lot devait être divisé en 4 parcelles de 40/40 mètres. Une différence de statut était, de plus, introduite entre les zones indigènes. Les habitants de la première zone obtenaient des permis d'occupation provisoire puis des titres de propriété réguliers s'ils remplissaient certaines conditions tenant notamment au mode de construction. Par contre, l'administration ne délivrait que des "autorisations de s'installer" aux habitants de la seconde zone. Elle se réservait ainsi le droit de procéder à des déguerpissements si la croissance du quartier européen ou du quartier indigène "semi évolué" le nécessitait.

Dès lors et jusqu'en 1932, Les opération de lotissement de la ville se poursuivirent selon un rythme moyen de 29 hectares par an et dans le respect des instructions du Lieutenant-Gouverneur contenu dans la circulaire de mars 1926. Elles juxtaposèrent ainsi au découpage fonctionnel de la ville, un découpage racial et renforcèrent de fait l'opposition à Ouagadougou d'une ville blanche et d'une ville noire.

Entre 1919 et 1932, le pouvoir colonial bouleversa l'organisation spatiale traditionnelle de Ouagadougou. Se conformant aux nouvelles règles urbanistiques, il construisit un quartier administratif et un quartier commercial nettement séparés des quartiers traditionnels et du centre historique de la cité. Il favorisa ainsi l'émergence d'un nouveau centre ville constitué par le quartier du gouvernement. Il superposa bientôt au découpage fonctionnel de la ville, un découpage racial par une réglementation et des pratiques foncières ségrégationnistes. Le quartier administratif devint ainsi le quartier européen ou la ville blanche et les quartiers traditionnels la ville indigène ou la ville noire.

2. De nouveaux modes de construction

Les nouvelles règles urbanistiques s'appliquaient également à la conception des bâtiments. Pour lutter contre les incendies, elles préconisaient l'utilisation de matériaux durables et non inflammables tels que le ciment et le fer. Reprenant la théorie hygiéniste de circulation des flux, elles conseillaient, pour lutter contre la prolifération des germes, une ventilation optimale des habitations et des locaux. A ses arguments sécuritaires et hygiéniques, se superposaient sous les tropiques des motivations esthétiques voire impérialistes : « Le centre de la ville capitale devait symboliser la puissance des colonisateurs, représenter la colonie vis-à-vis de l'extérieur et donc posséder tous les attributs de la Métropole29».

Une architecture à l'européenne mais des modes de construction autochtones

Hesling ne concevait pas Ouagadougou autrement que comme une vitrine de la Haute-Volta. Il désirait, de plus, attirer dans sa colonie, une population européenne jusqu'à présent très réticente. Il choisit donc, dès la construction du chef-lieu du Gouvernement, d'appliquer dans la capitale les règles hygiénistes relatives à l'habitat. Ainsi, les dimensions des nouveaux bâtiments furent spacieuses, leurs murs épais (80 cms) et les voûtes romanes coiffées d'une épaisse toiture en terre battue. Leur isolation thermique fut confortée par de profondes vérandas périphériques30. Le tout reposait sur de puissants piliers, « véritables contreforts qui devaient compenser la force centrifuge des voûtes et de leurs solives31 ». Par contre, les matériaux utilisés pour la construction restaient autochtones. La nécessité d'établir au plus vite le gouvernement, le peu de moyens financiers et de personnels ainsi que les difficultés de transport en était la principale raison. Douze chantiers, qui s'ajoutaient aux chantiers de construction des bâtiments, furent mis en place pour fournir les matériaux nécessaires. L'un était, par exemple chargé de la fabrication et du transport des briques sèches, un autre du mortier, un autre encore de la menuiserie32... Les bâtiments ne comportaient donc ni béton, ni armatures en fer mais des briques crues, de la terre battue, du bois et du banco.

 

 

 

Habitations de fonctionnaires33

 

 

L'Hôtel du Gouvernement fit l'objet, dans sa conception, d'un soin tout particulier. En effet, abritant le plus haut dignitaire de la colonie, le gouverneur Hesling, il se devait d'en être digne et de représenter symboliquement son autorité et par la même celle de la France qu'il incarnait. Il bénéficia ainsi d'une architecture plus imposante que les autres bâtiments. Sa surface habitable était considérable. Aucune source n'indique ses dimensions précises, seules celles du lot qui lui avait été dévolu sont connues. Elles étaient de 210 mètres sur 175 mètres, de loin le lot le plus important concédé jusqu'en 192434. Par comparaison, l'Hôtel du secrétariat se dressait lui sur un lot de 150 mètres sur 100 mètres. De plus, la photographie de l'Hôtel du Gouverneur (en page 1) confirme visuellement le volume imposant de l'édifice. Elle donne, en outre, quelques indications sur son architecture et sa fonctionnalité. Le bâtiment principal affectait la forme d'un rectangle surmonté de trois tours. Sur la tour centrale, la plus haute d'entre elles, flottait le drapeau français. Comme il était d'usage, les pièces de réception devaient se trouver au rez-de-chaussée tandis que les étages dans les tours devaient comporter les appartements privés du Gouverneur et de sa famille. Respectant les règles élémentaires de l'hygiénisme, le rez-de-chaussée était légèrement élevé par rapport au sol favorisant l'aération et entièrement ceint par des vérandas ouvertes sur l'extérieur et soutenues par de hautes arcades de dimensions variables. Le côté le plus long du bâtiment principal en comptait 17 et son côté le plus étroit, 7. Sa porte d'entrée, qui donnait sur une vaste place (la place du gouvernement) devant le bâtiment principal était monumentale. Elle était tenue, de part et d'autre, par deux murs symétriques dotés de portes annexes et d'un chemin de ronde. De larges marches permettaient ensuite d'accéder au perron de l'Hôtel qui formait une large terrasse devant le bâtiment. Plusieurs dépendances lui étaient attenantes et abritaient une cuisine, un magasin, un garage pour deux autos, une écurie pour cinq chevaux et deux voitures, deux corps de garde, 4 logements de domestiques, 4 logements de palefreniers, chauffeur et jardinier, un poulailler et une terrasse de 50 mètres sur 2535. L'aspect architectural de l'Hôtel du Gouverneur était, par contre, loin d'être prestigieuse, faute de temps et de matériaux d'ornements. Faute également, peut-être, à l'absence de fonctionnaire des Travaux Publics et d'architecte dans la colonie. En effet, bien qu'un service des travaux publics existait depuis 1919, aucun agent spécialisé dans ce domaine ne fut affecté à Ouagadougou pendant les premières années d'existence de la colonie. Aussi, ce service fut-il dirigé par un simple administrateur des colonies, Rougier, jusqu'alors commandant de cercle de Say. Bien que compétent, Hesling le qualifia même d' « homme idoine comme organisateur de chantiers et constructeurs36 », son savoir-faire ne lui permit sans doute pas de concevoir un style très élaboré du bâtiment. Il se conforma, sans jamais s'en éloigner, au plan de type A préétablis par le Gouvernement Général.

 

Porte d'entrée de l'hôtel du gouvernement37

 

 

 

Perron de l'Hôtel du Gouvernement38

 

Aucune source ne permet de juger de la conformité des bâtiments construits par les particuliers aux nouvelles règles urbaines. Par ailleurs, aucun règlement imposant certains modes de construction ne fut énoncé jusqu'en 1926 par le Lieutenant-Gouverneur Hesling. Cependant, les lots du second plan ayant tous été concédés à des Européens, nous pouvons supposer qu'ils adoptèrent le style architectural de l'administration, directement inspiré du modèle européen.

La ségrégation par les modes de construction

En 1925, le Lieutenant-Gouverneur Hesling déclarait que « Dorénavant, toutes les constructions seront faites en matériaux durs (murs de pierre, charpentes métalliques, toiture en ciment armé)39 ». Ce nouveau mode de construction fut « inauguré dès la fin 1925 par l'ouverture du chantier de construction d'un pavillon pour Européens à l'hôpital de Ouagadougou40 ». Cependant, il ne se généralisa pas. En effet, si l'imprimerie fut entièrement construite en maçonnerie et pièces métalliques en 1926, les nouveaux pavillons de l'hôpital construit en 1928 furent encore dotés de mur en banco. Toutefois, malgré la persistance de l'utilisation du banco, les modes de constructions s'améliorèrent nettement pendant la période. En 1926, Hesling précisait : « Pour donner aux immeubles en banco plus de stabilité sur leurs assises et les garantir contre le ruissellement des eaux de pluie ou leur infiltration, les différents bâtiments... ont été édifiés sur des assises de maçonnerie41 ». En 1928, l'assise des nouveaux pavillons de l'hôpital était en pierre, les parquets des salles et vérandas cimentés et les murs en banco également revêtu de ciment42.

A partir de 1925, Hesling tenta d'imposer le modèle de construction européen aux habitations des particuliers. Dans la circulaire du mois de mars 1926 déjà citée, nous avons vu qu'il distinguait trois types d'indigènes selon leur degré d'évolution ou encore leur degré d'adoption du genre de vie des peuples civilisés. Or, l'habitat utilisé par les indigènes constituait un indice flagrant de ce degré d'évolution. Ainsi, la distinction entre indigène évolué ou semi évolué et non évolué recoupait celle entre indigènes « capables de construire des maisons saines et propres de type européen43 » et indigènes vivant dans des cases sans aucun confort. Les premiers, pour conserver leur titre de propriété étaient obligés de respecter certains modes de construction : « aménagement et clôture dans un délai très court, édification d'immeubles en dur, permanents, solides, sains dont les habitants disposent d'un cube d'air suffisant et dont la hauteur des plafonds, le nombre et la dimension des ouvertures seront prévus ainsi que la valeur de l'immeuble44». La valeur des constructions édifiées devait être au moins cinq fois supérieure à la valeur du terrain lorsqu'il a été acheté pour donner droit à la délivrance d'un titre de propriété définitif. Or, les revenus des habitants autochtones ne leur permettaient pas de réaliser des travaux aussi importants et si coûteux. L'administration elle-même ne parvint pratiquement jamais à construire des bâtiments en dur. Elle imposait donc aux indigènes une réglementation qu'elle ne pouvait pas respecter. Cette réglementation n'était en fait qu'une nouvelle façon insidieuse d'exclure les indigènes du quartier européen voire même de ses abords immédiats.

3. Le traitement sanitaire de la ville

La prise de conscience hygiéniste en métropole associée au progrès médicaux du début du Xxème siècle, incitèrent les urbanistes à faire du traitement sanitaire de la cité une priorité tant en Europe qu'Outre-mer. Dans les colonies, les mesures d'hygiène varièrent d'un territoire à l'autre en fonction des spécificités locales. Ces dernières « renvoient aux données climatiques et pathologiques, notamment la fréquence des fièvres et épidémies, mais aussi aux présupposés ou justification idéologiques à l'oeuvre dans l'urbanisme colonial45 ». Ouagadougou, située en pleine zone soudanaise, était soumise à un climat caractérisé par l'alternance d'une longue saison sèche et d'une saison très humide (l'hivernage). Elle ne bénéficiait pas, de plus, de cours d'eau permanent. L'eau était ainsi très abondante voire trop abondante pendant deux à trois mois de l'année. Elle favorisait alors, par sa stagnation, la prolifération de moustiques et donc le paludisme et la contamination par le ver de Guinée. Puis, l'eau se raréfiait progressivement et favorisait alors les maladies gastriques ou encore ophtalmologiques. Aussi, la gestion de l'eau à Ouagadougou devint-elle très vite un impératif sanitaire pour le gouvernement. Parallèlement, ce dernier tenta de rendre Ouagadougou moins insalubre en organisant l'évacuation des nuisances : déchets et excréments d'origine humaine et animale.

Mise en place de services sanitaires locaux à Ouagadougou

Afin de soutenir sa politique de salubrité publique dans la capitale, le lieutenant-gouverneur mit en place divers organes administratifs locaux. Le 8 août 1921, il promulguait un arrêté instituant un service d'hygiène urbaine à Ouagadougou et détaillait ses attributions46. Dirigé par un médecin, ce service procédait à l'inspection des voies publiques et privées et de l'exécution, si nécessaire, des mesures d'assainissement présentant un caractère d'urgence. Il exerçait aussi une surveillance sur les immeubles publics et privés. Pour ces derniers, le service devait enjoindre les propriétaires ou occupants à exécuter les mesures d'assainissement et pouvait dresser des contraventions s'ils n'obtempéraient pas. En outre, « le service de la voirie, de la distribution publique de l'eau potable, le service des vidanges, de l'enlèvement des ordures, la surveillance des puits et citernes privés, l'abattoir, le service d'égout sont placés sous le contrôle du médecin du service d'hygiène47». Ce dernier était aussi obligatoirement consulté avant toute délivrance de permis de construire. Enfin, le service assurait la surveillance des services de la désinfection et vaccination et le contrôle de l'établissement du casier sanitaire des maisons.

Un cadre d'agents de police, recrutés parmi les anciens gradés libérés, secondait le service d'hygiène.

Le 31 mai 1923, une équipe sanitaire fut organisée pour assurer la prophylaxie palustre dans le centre urbain de Ouagadougou. Placée sous l'autorité de l'administrateur du cercle et la surveillance technique de l'autorité sanitaire, l'équipe se chargeait de l'exécution des travaux d'assainissement. Le mois suivant, un arrêté portait création à Ouagadougou d'un service local de l'assistance médicale. Dirigé par un médecin major de 1ère classe assisté d'un médecin indigène, le service local assurait l'assistance médicale indigène, dirigeant et administrant notamment l'hôpital du service local. Il assurait également un service médical plus général avec, en particulier, la surveillance du service d'hygiène urbaine, la visite des école, de la prison...

Dès 1923, le chef-lieu de la colonie disposait donc des services locaux d'hygiène nécessaire à son assainissement sanitaire. A partir de 1927, l'ensemble de ces services sanitaires fut placé sous l'autorité de la Commune mixte de Ouagadougou sans que cela apporte de modification à leurs attributions. En effet, le 24 octobre, le lieutenant-gouverneur par intérim de la haute-Volta soumettait au Gouverneur général un projet d'érection en communes mixtes de Ouagadougou et Bobo Dioulasso. Ce projet se justifiait, précisait-il, « par le développement de ces villes et notamment au point de vue commercial et économique. Les établissements commerciaux de plus en plus nombreux sur les deux places, ainsi que le degré d'évolution des populations indigènes permettent d'ores et déjà la formation des commissions aux conditions prévues. Ces organes administratifs... ne manqueront pas de jouer un rôle très utile et notamment dans la question de l'hygiène publique qui est au premier plan de nos préoccupations48». L'arrêté du 4 décembre 1926 concrétisant l'instauration d'une Commune Mixte à Ouagadougou49 précisait ses limites territoriales dans son article 2 : « une route circulaire englobant au nord le village de Dapoya, à l'est le village de Palemntenga, au sud le village de kamsaoghin, à l'ouest le village de Gounghin ». Puis, la composition de la commission municipale dans son article 3 : « l'Administrateur-Maire, président, quatre notables citoyens français et quatre notables sujets français, membres titulaires... ; deux notables citoyens français et deux notables sujets français, membres suppléants... ». L'arrêté fixait, en outre, les sources de ses recettes ordinaires et extraordinaires ainsi que ses dépenses obligatoires dans ses articles 4, 5 et 6. Ces derniers sont intégralement reproduit dans les documents en annexes.

La gestion de l'eau

Dès 1919, le Gouverneur Hesling prit toute la mesure du problème de l'eau qui accablait sa capitale. Ainsi, la présence de nappes souterraines fut-elle déterminante dans son choix définitif du site qui abriterait le chef-lieu de son gouvernement. Très vite, il ébaucha les idées directrices d'une politique de l'eau et en confia l'application aux divers services sanitaires locaux de Ouagadougou. Cette politique visait à améliorer l'alimentation en eau de la capitale et l'écoulement des eaux de pluies.

Le 31 mai 1920, Hesling notait dans une circulaire adressée à tous les Administrateurs de cercle : « Partout où la disposition des lieux, à proximité des agglomérations ou des routes suivies par les troupeaux, permet de fermer le lit d'un marigot par un barrage, un réservoir d'eau doit être aménagé50 ». Dans le cercle de Ouagadougou, où déjà quatre barrages existaient, la construction d'une cinquième retenue d'eau fut entreprise51 . L'alimentation en eau potable fut également favorisé par le creusement de puits. Dès la première campagne de travaux dans la capitale, celle de 1919-1920, la construction de 20 puits accompagna l'édification de 17 bâtiments du quartier administratif52. Les documents d'archives ne mentionnent plus, par la suite, de façon détaillée, l'installation de ces infrastructures. Cependant, en 1923, Hesling notait encore : « ce n'est que dans la construction de six puits pour l'agglomération européenne... que le ciment a été employé53 ». Nous pouvons ainsi supposer que la construction de puits se poursuivit selon un rythme assez soutenu, proportionnel à celui de la construction de bâtiments par le pouvoir colonial. En 1923, les propos du chef du service de santé le Major Le Dentu viennent confirmer la présence d'un nombre important ( ou du moins suffisant) de puits dans le quartier du Gouvernement : «Nous avons constaté à Ouagadougou, que les indigènes qui demeurent dans la ville (fonctionnaires, écrivains, infirmiers, vaccinateurs, boys...) et qui ne boivent, en général, que l'eau de puits, contractent le ver de Guinée dans la proportion approximative de 1 sur 10...54 ». Ces propos laissent entendre, de plus, que les puits étaient essentiellement situés dans le quartier européen car seuls les indigènes au service des Européens bénéficiaient des bienfaits sanitaires des puits. Ainsi, le compartimentage fonctionnel et racial des quartiers s'accompagnait d'un traitement sanitaire inégalitaire. Le quartier européen de Ouagadougou semble bien bénéficier de privilèges par rapport aux autochtones puisqu'en 1923, il n'y avait, en Haute-Volta qu'un puits pour 200 à 300 habitants55 . Or, le nombre d'Européens à Ouagadougou à cette époque n'excédait pas 300 personnes. A partir de 1923, la construction de puits s'intensifia et s'étendit également aux quartiers indigènes. En effet, les conclusions d'une étude faite par le chef du service de santé accusaient les eaux stagnantes d'être à l'origine du ver de Guinée et du paludisme56. Or, la présence de ces eaux stagnantes tenaient « presque exclusivement » à une pratique indigène qu'il décrivait ainsi : « il creuse le sol tout à côté de l'endroit où il bâtira sa case pour prendre de la terre argileuse dont il fait ses murs ; l'excavation souvent grande qu'il a ainsi créée deviendra pendant l'hivernage une mare dont l'eau servira à tous ses besoins57». Il préconisait, par conséquence, d'interdire aux indigènes de ce livrer à cette pratique « en dedans d'un périmètre d'au moins 500 mètres de toutes les habitations58 » et de « mettre en quantité suffisante, à la portée de l'indigène, une eau non contaminée59 ». Seul le puits pouvait alors remplir cette fonction, aussi concluait-il par ces mots : « intensifier leur construction et veiller à leur entretien, voilà la vraie prophylaxie60 ». En octobre 1923, le lieutenant-gouverneur Hesling informa par une circulaire les commandants de cercle de ces conclusions et les incita à appliquer dans leur circonscription les mesures préconisées par le chef de la santé. Aussi, dès l'année suivante, la construction et l'entretien de puits devinrent le quatrième poste de dépense du cercle de Ouagadougou. 9 000 journées de prestations lui furent affectées61. L'effort de construction se poursuivit jusqu'en 1932. En 1926, le lieutenant-gouverneur Hesling notait encore : « Un certain nombre de puits ont été cimentés62 » et en 1931-32, Dulac notait dans son rapport d'inspection qu'ils constituaient encore une charge importante pour le cercle, aux côtés de l'entretien des routes et des barrages63. A partir de 1927, l'adduction de la ville en eau potable fut envisagée. Le chef du service de santé proposa alors un projet reposant sur « la construction de quatre postes comprenant chacun un puits cimenté, une pompe électrique élévatrice et deux réservoirs64 ». Il faudra cependant attendre l'année 1932 pour qu'une étude soit réalisée par le service des travaux publics « sur la nappe de Ouagadougou en vue de l'établissement d'un projet d'adduction d'eau65 ». celle-ci ne fut donc pas installé avant la fin de notre période.

Si l'administration tenta d'accroître la capacité d'alimentation en eau de la ville, elle essaya également d'améliorer la qualité de l'eau de boisson. Dans les premières années, l'utilisation du puits constitua, dans ce domaine, l'essentiel du progrès. Le docteur Le Dentu notait, en effet, en 1923 : «Le puits est un excellent filtre naturel dont l'eau ne doit pas être infectée si elle n'est pas volontairement souillée. Sa profondeur ( de 5 à 10 mètres) le met à l'abri de la contamination à travers le sol66». Pour éviter sa contamination en surface par des déchets ou des larves de moustiques, l'administration préconisa de boucher son orifice après chaque utilisation. L'arrêté du 15 septembre 1921, réglementant l'hygiène à Ouagadougou, ordonnait ainsi : « les orifices des puits et des citernes doivent être bouchés par un couvercle plein ou un grillage fin67». En 1928, le service de santé mena une campagne d'information pour les indigènes sur l'utilisation de l'eau qui conseillait notamment de protéger leau des puits. Il les encourageait 'également à construire des canaris filtrants68. Quant aux Européens, s'ils connaissaient la pratique de stérilisation de l'eau par ébullition ou javellisation, il semblerait qu'ils ne l'utilisaient pas suffisamment. En 1928, ils furent mis en garde par voie de circulaire et de petites affiches contre « les dangers de l'eau stérilisée par des moyens autres que l'ébullition et les procédés chimiques69 ». On constatera à nouveau ici la différence de traitement entre Européens et indigènes.

Des efforts soutenus furent également fournis par l'administration pour favoriser l'écoulement des eaux usées à Ouagadougou. Lors de l'édification du chef-lieu du gouvernement, les bâtiments avaient été munis de gouttières et la voirie de caniveaux couverts et découverts70. Le cercle de Ouagadougou fut chargé de développer ces structures d'évacuation dans sa circonscription. Ainsi, en 1926, d'importants travaux de canalisation furent entrepris afin de drainer toutes les eaux de ruissellement vers l'axe des marigots71. L'administration cherchait également après chaque hivernage à assécher les nombreuses flaques d'eau qui s'étendaient dans l'agglomération ou aux abords immédiats de la ville. En 1928, 709 trous d'eau et trois mares furent comblés par les manoeuvres du cercle. L'une d'entre elle mesurait pas moins de 200 mètres de long sur 50 à 80 mètres de large pour une profondeur d'1,5 à 2 mètres72.

Le Gouvernement imposa, par ailleurs, des mesures très contraignantes aux populations afin de favoriser l'écoulement des eaux. Elles furent résumées dans l'arrêté du 15 septembre 1921 réglementant l'hygiène à Ouagadougou73. Les propriétaires et locataires d'habitation devaient aménager celle-ci de façon à supprimer toute stagnation d'eau. Ainsi, il revenait notamment au premier de régulariser les dépressions du sol ; de remblayer les cours à hauteur des voies publiques et de les munir de rigoles ou encore de veiller au bon état des gouttières. Il était interdit aux seconds de constituer pour leur jardin intérieur des nappes d'eau permanentes et de laisser se former des eaux stagnantes dans les cours, caniveaux et terrasses. Des pénalités étaient prévues pour tous les contrevenants au règlement. En 1928, seulement 54 procès-verbaux avaient été dressés contre des indigènes pour infraction à l'arrêté74. Le nombre d'indigènes dans la commune de Ouagadougou s'élevant à 9 112 personnes, cela signifierait que plus de 99,4% de la population autochtone respectait les obligations et contraintes de ce règlement.

L'évacuation des nuisances

Le problème de l'évacuation des déchets d'origine humaine et animale était étroitement lié à celui de la qualité de l'eau. En effet, excréments et ordures polluaient les eaux de ruissellement qui venaient à leur tour contaminer les nappes d'eau souterraines et donc l'eau des puits. Les sources mentionnent peu les mesures prises pour évacuer ces multiples nuisances. Seules de vagues allusions y sont faites desquelles nous ne pouvons tirer que des hypothèses. En août 1921, l'arrêté créant un service d'hygiène à Ouagadougou75 notait dans ses attributions le contrôle du service des vidanges. Le Ouagalais disposait donc alors de deux endroits pour se "soulager" : soit utiliser directement la nature, soit utiliser les fosses d'aisance. Leur nombre, leur localisation n'apparaissent dans aucun document à notre disposition. Ni, non plus, la destination du produit des vidanges. En 1928, il semblerait que l'hôpital bénéficiât le premier de l'installation de water-closets tandis que huit vespasiennes étaient construites aux endroits les plus fréquentés de la ville76 . Cependant, si fosses d'aisance et toilettes publics avaient l'avantage de regrouper en un même endroit les excréments et de favoriser ainsi leur enlèvement, ils présentaient toujours d'importants inconvénients. Ils polluaient la nappe phréatique et leur vidange répandait dans toute la ville des odeurs nauséabondes. Seule l'installation d'un tout-à-l'égout ou du moins d'un système d'évacuation automatique des vidanges aurait permis d'évacuer ses nuisances efficacement. Mais ce type d'installation nécessitait l'existence d'un système d'adduction d'eau, or celui-ci ne fut installé à Ouagadougou qu'après notre période. De fait, le tout-à-l'égout ne fut jamais envisagé jusqu'en 1932.

Le système d'évacuation des ordures reste encore plus obscur. Il n'y est fait allusion qu'à une seule reprise, toujours dans l'arrêté créant un service d'hygiène publique à Ouagadougou77. Ce dernier précisait, en effet, que le service de l'enlèvement des ordures était placé sous le contrôle du médecin du service d'hygiène. De plus, certains règlements laissent supposer l'existence effective d'un tel système. Ainsi, en septembre 1921, l'arrêté réglementant l'hygiène publique interdisait « de jeter ou de déposer dans les caniveaux et ruisseaux situés sur la voie publique des décombres, de la terre, du sable, des ordures...78 ». Des poubelles devaient donc exister pour recevoir ce genre de déchets. En 1927, la commission municipale imposa aux habitants de Ouagadougou une taxe annuelle de 0,50 francs par mètre de clôture pour financer le service de nettoiement79.

L'administration lutta également contre la présence d'animaux dans la ville pour des raisons de salubrité publique mais également pour préserver son image, son apparence. Dès 1921, un arrêté du lieutenant-gouverneur ordonnait l'abattage de tout chien errant80. Puis, en juin 1927, la commission municipale imposa aux propriétaires de chiens une taxe de 15 francs par animal. Elle organisa également un système de fourrière. Tout chien errant était conduit en fourrière et abattu au bout de quatre jours s'il n'avait pas été réclamé par son propriétaire. Les droits de fourrière étaient fixés à 2 francs par jour81.Entre 1919 et 1932, la gestion de l'eau et l'évacuation des déchets connurent des améliorations importantes dans la capitale. Ainsi, dès 1928, le chef du service de santé notait la quasi disparition des affections d'origine hydrique à Ouagadougou. Quant au paludisme, il précisait « qu'il est bien moins répandu en Haute-Volta qu'on ne le croit communément82 ». Il ne faisait aucune allusion par contre au ver de Guinée. Cette maladie, si fréquente au début de la période, aurait-elle disparu ou le chef de santé aurait-il omis volontairement ou involontairement d'en parler ? La seconde hypothèse semble la plus plausible car cette maladie fait encore de nos jours d'importants ravages. Le chef du service de santé notait également en 1928 : « il a été possible d'exercer une politique sanitaire réellement efficace, de débarrasser Ouagadougou au moins en partie, des immondices...83 ».

Conclusion

Hesling, pendant les neuf années passées à la tête de la colonie, s'évertua à transformer Ouagadougou selon une conception européenne de l'urbanité. Il instaura la différenciation fonctionnelle des quartiers de la ville, créant ainsi un nouveau centre urbain constitué par le quartier administratif. II superposa bientôt à ce découpage fonctionnel, un compartimentage racial des quartiers. Il favorisa ainsi la scission de Ouagadougou en deux agglomérations distinctes : la ville blanche ou européenne et la ville noire ou indigène. Hesling tenta de diffuser à Ouagadougou l'architecture et les modes de construction européens. Ils ne purent cependant s'imposer que dans le quartier administratif, et encore subirent-ils là aussi de profondes adaptations. Le manque de moyens financiers ainsi que les difficultés du transport de matériaux ne permirent jamais d'abandonner l'utilisation de matériaux autochtones comme le banco. Cependant, le quartier européen, avec ses rues larges et droites et ses édifices rectangulaires se différenciait nettement des quartiers indigènes. Bénéficiant de l'électricité depuis 1923, il affichait encore sa singularité la nuit venue. Les modes de construction contribuèrent ainsi à accentuer la distinction entre la ville blanche et la ville noire. Les mesures sanitaires, par leurs inégalités d'application, participèrent également à l'affirmation d'une différenciation raciale des quartiers urbains. Mais, bien que privilégiée, même la ville blanche ne devint jamais salubre en l'absence de tout-à-l'égout et d'un système d'adduction d'eau.

Hesling n'était pas parvenu à façonner Ouagadougou à l'image de son idéal urbain. L'échec de sa politique urbaine reflétait celui de la politique générale conduite sur l'ensemble du territoire de la Haute-Volta. L'une et l'autre avaient soulevé de vifs mécontentements parmi la population autochtone, en particulier à Ouagadougou. Leurs réalisations et leurs financements avaient, en effet, nécessité un recours massif au système de prestation, l'inflation continue du taux de l'impôt, des recrutements forcés... Les habitants de la capitale furent sans doute les plus pressurée par l'administration. Ils furent utilisés à la fois pour soutenir la politique générale du Gouvernement et pour transformer Ouagadougou en capitale de colonie digne de son statut. Ainsi, Ouagadougou se vida progressivement de ses habitants. En 1919, la population s'élevait à 19 000 habitants, en 1926, elle chutait déjà à 12 000 habitants. En 1932, seul 7 000 autochtones résidaient encore dans la capitale. L'inspecteur Sol déclarait en 1932 : « Il est temps de modifier nos procédés d'administration si nous ne voulons pas nous exposer à ce que les moutons deviennent enragés et à ce que les réactions à venir prennent une forme moins pacifique que l'exode en territoire étranger ».

Le 5 septembre 1932, la colonie de la Haute-Volta était supprimée et son territoire divisé entre le Niger, le Soudan et la Côte d'Ivoire.

 

Par Anne Ricard

 


NOTES

 

Source : http://sites.univ-provence.fr/~wclio-af/numero/7/

 

1- GOERG (1997), op.cit.

2-DULUCQ Sophie (1996), "Les ambiguïtés du discours et des pratiques urbaines : Afrique noire francophone (1900-1980)" in La ville européenne outre mers : un modèle conquérant ? (Xvème-Xxème siècle), COQUERY-VIDROVITCH Catherine et GOERG Odile, Paris, L'Harmattan

3- CAOM, 14miom1693 (2G20-11), Rapport d'ensemble sur la situation de la colonie de la Haute-Volta au 31 mai 1920

4- 20 avril 1923, « L'urbanisme en Afrique noire », La République Française, Paris

5- Ibidem

6- CAOM, 14miom1693 (2G20-11), Rapport au 31 mai 1920, doc.cit.

7 CAOM, 14miom1693 (2G20-11), L'administrateur Rougier à Monsieur le gouverneur de la Haute-Volta, 15 juin 1920, doc.cit

8 Ibidem

9 Ibidem.

10 CAOM, 14miom1693 (2G20-11), Rapport d'ensemble au 31 mai 1920, op.cit

11 Ibidem

12 J.O.H.V n°31, Arrêté du 14 septembre 1920 réglementant la concession des terres domaniales dans la colonie de la Haute-Volta

13 GOERG (1997)

14 J.O.H.V n°31, Arrêté du 14 septembre 1920 réglementant la concession des terres domaniales dans la colonie de la Haute-Volta, doc.cit.

15 J.O.H.V n°157, Circulaire du lieutenant-gouverneur Hesling en mars 1926 au sujet d'instructions pour la concession des permis d'occupation urbaine.

16 Ibidem

17 J.O.H.V n°21, Arrêté du 4 août 1920 chargeant provisoirement des fonctions de géomètre de la propriété foncière dans la subdivision de Ouagadougou M.Simon, chef du service des travaux publics

18 J.O.H.V n°45, Arrêté du 13 avril 1921 approuvant et déclarant d'utilité publique le plan de lotissement de la ville de Ouagadougou

19 Voir le plan joint de Ouagadougou dressé en mai 1920 par le lieutenant-gouverneur Hesling

20 Ibidem

21 J.O.H.V N°83, Avis de vente aux enchères publiques de terrains urbains de la ville de Ouagadougou pour le 24 mai 1923

22 CAOM, 14miom1701 (2G23-21), Rapport politique annuel de la Haute-Volta, 1923, doc.cit

23 J.O.H.V N°42, Arrêté du 17 février 1921 déplaçant et transférant le quartier Haoussa de la ville de Ouagadougou

24 Ibidem

25 J.O.H.V n° 157, Circulaire du mois de mars 1926, doc.cit.

26 Ibidem

27 Ibidem

28 Ibidem

29 GOERG (1997), doc.cit.

30 CAOM, 14miom1693 (2G20-11), Rapport au 31 mai 1920, doc.cit.

31 COMBARY (1997), op.cit., p.59

32 CAOM, 14miom1693 (2G20-11), L'administrateur Rougier, 15 juin 1920, doc.cit.

33 CAOM, Fonds iconographique, 8FI96, 1919-1932, Habitations de fonctionnaires

34 Ibidem

35 Ibidem

36 CAOM, 14miom1693 (2G20-11), Rapport au 31 mai 1920, doc.cit.

37 Ibidem

Ce croquis a été réalisé à partir des photographies jointe au rapport d'Hesling.

38 Ibidem

39 CAOM, 14miom1708 (2G25-17), Rapport annuel politique et administratif sur la colonie de la Haute-Volta, 1925

40 Ibidem

41 CAOM, 14miom1711 (2G26-16), Rapport annuel politique et administratif sur la colonie de la Haute-Volta, 1926

42 CAOM, 14miom1719 (2G28-22), Rapport de santé, colonie de la Haute-Volta, 1928

43 J.O.H.V n° 157, Circulaire du mois de mars 1926, op.cit.

44 Ibidem

45 GOERG (1997), tome 2, p.307

46 J.O.H.V n°44, Arrêté du 8 août 1921instituant un service d'hygiène urbaine à Ouagadougou

47 Ibidem

48 CAOM, 14miom2089 (3G1-22), Création, fonctionnement, vérification de la commune mixte 1919-40, l'administrateur en chef des colonies, lieutenant P.I de la Haute-Volta au gouverneur général de l'A.O.F, Projet portant création de communes mixtes à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso

49 CAOM, 14miom2089 (3G1-22), Création, fonctionnement, vérification de la commune mixte 1919-40, Arrêté du 4 décembre 1926 portant création de la commune mixte de Ouagadougou

50 J.O.H.V n°16, Circulaire du lieutenant-gouverneur daté du 31 mai 1920 au sujet du programme de prestation pour 1921

51 CAOM , Fonds ministériels, Affaires Politiques, 3057, Mission Picanon, Rapport Haranguer, op.cit

52 CAOM, 14miom1693 (2G20-11), L'administrateur Rougier, 15 juin 1920, op.cit.

53 CAOM, 14miom1701 (2G23-21), Rapport politique annuel de la Haute-Volta, 1923, op.cit.

54 J.O.H.V n°95, LE DENTU R. (1923), "Paludisme et ver de Guinée en Haute-Volta, prophylaxie commune", le 2 septembre 1923

55 Ibidem

56 Ibidem

57 Ibidem

58 Ibidem

59 Ibidem

60 Ibidem

61 CAOM , Fonds ministériels, Affaires Politiques, 3057, Mission Picanon, Rapport Haranguer, op.cit

62 CAOM, 14miom1711(2G26-16), Rapport politique et administratif, 1926, op.cit.

63 CAOM, Fonds ministériels, Affaires Politiques, 3069, Mission Sol, Rapport Dulac, op.cit.

64 CAOM, 14miom1719(2G28-22), Rapport de santé, 1928, op.cit.

65 CAOM, 14miom2644 (2G32-176), Rapport du service des travaux publics, colonie de la Haute-Volta, 1932

66 J.O.H.V n°95, LE DENTU R. (1923), op.cit.

67 J.O.H.V n°47, Arrêté du 15 septembre 1921 réglementant l'hygiène à Ouagadougou

68 CAOM, 14miom1719(2G28-22), Rapport de santé, 1928, op.cit.

69 Ibidem

70 J.O.H.V n°47, Arrêté du 15 septembre 1921 réglementant l'hygiène à Ouagadougou, op.cit.

71 CAOM, 14miom1711(2G26-16), Rapport politique et administratif, 1926, op.cit.

72 CAOM, 14miom1719(2G28-22), Rapport de santé, 1928, op.cit.

73 J.O.H.V n°47, Arrêté du 15 septembre 1921 réglementant l'hygiène à Ouagadougou, op.cit.

74 CAOM, 14miom1719(2G28-22), Rapport de santé, 1928, op.cit.

75 J.O.H.V n°44, Arrêté du 8 août 1921instituant un service d'hygiène urbaine à Ouagadougou, op.cit.

76 CAOM, 14miom1719(2G28-22), Rapport de santé, 1928, op.cit.

77 J.O.H.V n°44, Arrêté du 8 août 1921instituant un service d'hygiène urbaine à Ouagadougou, op.cit.

78 J.O.H.V n°47, Arrêté du 15 septembre 1921 réglementant l'hygiène à Ouagadougou, op.cit

79 J.O.H.V n°188, Arrêté municipal du 10 juin 1927 fixant la taxe annuelle due par la population pour le service de nettoiement

80 J.O.H.V n°42, Arrêté du 15 février 1921 ordonnant l'abattage de tout chien errant

81 J.O.H.V n°188, Arrêté municipal du 10 juin 1927 fixant la taxe à percevoir sur les chiens

82 CAOM, 14miom1719(2G28-22), Rapport de santé, 1928, op.cit

83 Ibidem

 



25/07/2011
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