Conscience Nègre

Conscience Nègre

Le rôle de la génération charnière Ouest Africaine indépendance et développement

 

NOTES DE LECTURE


Le rôle de la génération charnière Ouest Africaine indépendance et développement :
du vécu des adolescents de l’après-Seconde Guerre mondiale


 d’Amadou Booker Sadji- L’Harmattan 2006- 425 pages

Par Amadou Aly DIENG


L’ouvrage d’Amadou Booker Sadji, ancien chef du département de langues et civilisations germaniques à l’UCAD et professeur d’allemand à l’Université de Dakar, lui a été inspiré par son refus d’avaliser l’histoire officielle, qu’elle soit gouvernementale ou oppositionnelle, qui veut faire croire qu’en dehors des politiciens, les Etats africains n’ont pas eu, n’ont et n’auront pas de citoyens dignes d’être immortalisés, alors que ces citoyens non politiques ont incontestablement contribué beaucoup plus que les politiciens au développement des pays africains. Il a été guidé par la pensée de l’écrivain allemand Walser selon laquelle « ne pas écrire signifie rien d’autre que manquer de courage de faire usage de ses propres expériences ». Ainsi, il s’agit d’un témoignage sur les événements, les hommes, les écrits, tels qu’il les a vécus personnellement et directement et non pas d’un essai politique. Ce livre est conçu comme un complément à la biographie de son père, Abdoulaye Sadji, publiée à Présence Africaine.

La génération des enfants fondateurs dont il est question est celle des Africains nés dans les années vingt et trente ou un peu avant. Ce sont les adolescents de l’après-Seconde Guerre mondiale dont certains ont assumé, avec l’accession des pays africains à l’indépendance politique dans les années soixante, de hautes fonctions étatiques et nationales. L’émergence et l’accomplissement des éléments déterminants de la dite génération, par exemple dans le domaine politique, ne sont pas à dissocier en Afrique Occidentale Française de l’ouverture de l’enseignement secondaire aux Africains (F.J.Roger de Benoist, L’Afrique Occidentale Française de 1944 à 1960 Dakar NEA 1982).

Ce père blanc a fait la synthèse des données essentielles du développement de l’enseignement en AOF. Il met à juste titre en exergue la rentrée scolaire de 1947, comme celle où « le cycle du secondaire fut uniformisé et commença à la classe de 6éme dans tous les établissements, lycées, collèges modernes et classiques, cours secondaires et normaux ». (Op cité. p 146). Dans le cadre de cette évolution, un rôle fondamental fut dévolu particulièrement à certains établissements pionniers comme le lycée Faidherbe et le collège Blanchot de Saint-Louis, le lycée Van Vollenhoven de Dakar, l'Ecole normale William Ponty de Sébikhotane, l'Ecole normale des Filles de Rufisque.

Dans le sillage des deux seuls établissements secondaires qui existaient officiellement en AOF, en 1944, les lycées Faidherbe et Van Vollenhoven, sept nouveaux lycées et collèges furent fondés à partir de 1951 à Dakar, Saint-Louis, Bamako, Abidjan, Niamey, Porto Novo et Conakry. Vinrent s'y ajouter des collèges modernes, des cours normaux et des collèges techniques. Le lycée Faidherbe de Saint-Louis a été la quête de l'excellence pédagogique. A, B. Sadji cite des exemples de maîtres représentatifs : en sciences naturelles et physiques : Piot et Cance, en lettres : Galet, De Lestang, Denat, Platin, en langues vivantes : Schowing, en allemand, Menoux, en espagnol, Bernard et Mademoiselle Provost, en anglais.

Il cite des exemples d'élèves en langues vivantes : en espagnol avec comme spécimen Papa Mody Konaté, en allemand Pierre Sarr et François Gaye. Les maîtres en histoire et géographie étaient le Corse Lorenzini et Félix Brigaud. Le lycée Faidherbe a été un creuset de l'excellence et de la multiculturalité. A.B Sadji évoque les figures de certains élèves : Fernand Brigaud, Joseph Nègre, Ferdinand Sangaret, Khalilou Sall, Grand Cheikh Fall (Air Afrique) Louis Pascal Nègre, Christian Valentin, Camille Camara, Paul Sayegh, Pierre Béchélani, Moctar Diouri, Idriss Mekouar.

A.B Sadji présente l’après-Senghor immédiat comme un régime ésotérique. Il note l’appartenance de certains hommes politiques sénégalais à la franc-maçonnerie. A cette occasion, il évoque la disparition tragique de son ami Edouard Angelo Ballada qui ne sera jamais élucidée. Cet homme était surtout un joaillier officiel du gouvernement sénégalais et bien entendu du chef de l’Etat (Senghor et son Premier ministre, Abdou Diouf). Il eut maille à partir avec des douaniers. Mis sur le champ en état d’arrestation, il fut enfermé dans la salle d’attente officielle et s’y serait suicidé en se pendant. Il aimait à répéter : « Pour devenir quelqu’un au Sénégal sur le plan politique, il faut être franc-maçon ». Et si un jour tu faisais ton entrée dans la loge, tu allais être étonné d’y trouver des personnes s’y côtoyer qui pourtant, dans la vie quotidienne politique, apparaissent comme des adversaires voire des ennemis’ (p. 82).

La manière dont les obsèques de son ami E. Ballada ont été organisés au cimetière de Bel-Air a achevé de convaincre Amadou Booker Sadji que sa place n’était pas dans les loges : « Il devait vraiment être un franc-maçon pur et dur, car, il n’y eut, ni prière, ni croix, ni prêtre, ni eau bénite. De quoi me convaincre définitivement que je n’avais pas ma place dans la franc-maçonnerie sénégalaise » (p. 85). Comme compagnons francs-maçons, il n’y avaient apparemment que des Blancs que l’on connaissait plus ou moins sur la base de la rumeur publique. Son ami et avocat, Maître Danon, peut être un de la loge, prononça une brève oraison funèbre, sibylline pour les non-initiés.

A la suite du caractère mystérieux des tenants et des aboutissants de la mort d’Edouard Ballada, A.B. Sadji conclut ainsi : « Les activités et la mort de Ballada sont en tout cas une des illustrations du manque de transparence dans la vie au Sénégal sous le régime du parti unique de fait institué par Senghor et les membres de sa génération; mais dont les instruments d’exécution furent souvent des personnes de notre génération ». (p. 85). A.B. Sadji présente les victimes idéalistes prématurées des régimes de Senghor et d’Abdou Diouf avec comme principaux spécimens : Cheikh Anta Diop, Mbeugne Faly Diouf, Moustapha Diallo. Parmi les représentants des autres promotions du lycée Faidherbe, figurent Pape Maguette Kamara, fils du médecin Gaspard Kamara de Tivaoune, Mamadou Diallo Denguela dit Diallo John, Waly Ndaw, Amadou Lamine Ndiaye.

Le lycée Van Vollenhoven est fondamentalement différent du lycée Faidherbe. Leurs deux corps de professeurs étaient presque intégralement composés d’Albo-Européens. Cependant, la mentalité des professeurs de Faidherbe était en général celle de non raciste même si certains comme le professeur de sciences naturelles, Piot était d’un patriotisme hexagonal parfois agaçant. Par contre, un nombre non négligeable de professeurs à Van Vo était de véritables racistes (Mme Tranchant). Parmi les maîtres représentatifs, figurent en mathématiques : Marchand, Mme Damon, en sciences physiques et naturelles, Masson et Priam, en lettres Pinson, en philosophie, Louis-Vincent Thomas à la grande érudition qui entrait en concurrence avec Vigneau du lycée Faidherbe, en langues vivantes, Lasserre, Mme Colas en anglais, Colas en Allemand, Flosi en Italien, en géographie Arnaud, en gymnastique (sport) Coquegniot.

A.B. Sadji présente quelques spécimens d’élèves représentatifs comme Samba Sow, Roland Priam, Abdel Kader Diallo, Bara Diéye, Babacar dit Mbaye Niang, Amadou Moustapha dit Doudou Wade, Maguette Pathé Séne, Assane Bassirou Diouf, Ousmane Mbaye Noël, Lamine Diack. L’Université de Dakar créée en 1950 deviendra un creuset des étudiants ressortissants de toute l’AOF. A.B. Sadji présente la composition des différents bureaux de l’Association Générale des Etudiants de Dakar (AGED), créée en 1950 et devenue en 1956 l’Union Générale des étudiants d’Afrique Occidentale (UCEAO).

De longs développements sont consacrés à la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) créée en 1950 et dissoute en 1980 par le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing. La section de Toulouse, siège du journal L’Etudiant d’Afrique Noire est un pôle d’avant-garde parmi les sections académiques. La ville de Toulouse est devenue à la fin des années cinquante un centre de vie politique et syndicale internationale. A.B. Sadji donne la liste des ouvrages (P 197) marxistes qu’il a lus à Toulouse avec Mamadou Barry dit Petit Barry et des appréciations. Des informations précieuses sont données sur son passage au Parti Démocratique Sénégalais et sur ses rapports avec Abdoulaye Wade, par devoir de mémoire. Son souci d’informer les jeunes sur l’itinéraire et la nature des dirigeants de ce parti est constant à la suite des informations fausses actuellement véhiculées par certains « Griots ».

Ce livre est un témoignage courageux et documenté. Beaucoup d’anciens étudiants africains ou élèves des lycées Faidherbe et Van Vollenhoven s’y retrouveront. Il est temps que d'autres témoignages soient faits pour enrichir l’histoire contemporaine des pays africains. On peut regretter qu’Amadou B. Sadji n'ait pas évoqué les batailles politiques engagées par le Parti Africain de l'Indépendance (PAI) et le Mouvement de Libération Nationale (MLN) dont les deux dirigeants demeuraient à Toulouse.

 


 



01/07/2011
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