Conscience Nègre

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Qu’est-ce qu’un conte ?

Qu’est-ce qu’un conte ?


Conteur amateur ou conteurs professionnels ?


Le statut du détenteur de la parole en Afrique change beaucoup d’un peuple à l’autre. Souvent, ce sont des non professionnels qui profèrent la parole traditionnelle, mais il existe également un grand nombre de spécialistes de la parole : barde, musiciens, chanteurs, généalogistes, historiens, conteurs, griots. Ils ont chacun un rôle bien précis. Nous étudierons plus précisément la place et le rôle des conteurs et griots dans les sociétés traditionnelles. Mais tout d’abord, nous allons nous pencher sur le cas des amateurs. Traditionnellement, seuls les vieillards et les sages pouvaient conter car ils représentaient la tradition et la sagesse de la société. Puis le genre s’est démocratisé et aujourd’hui tous peuvent conter : hommes, femmes, enfants. Les amateurs content dans un cadre privé, intimiste. Ils content le soir après une journée de travail. Dans de nombreuses ethnies, chacun peut intervenir librement au cours des veillées à condition de respecter le protocole de distribution de la parole. Le conteur doit tout d’abord s’annoncer, ensuite, il doit avoir une parfaite maîtrise du texte qu’il veut conter. Enfin, il ne doit pas s’arrêter en cours de route. Pour que la récitation se déroule bien, il faut que la relève soit assurée à la fin de chaque conte. Les femmes peuvent conter le jour aux enfants. Leur répertoire est composé de contes sur la famille, la vie de femme, le mariage... Les enfants content surtout entre eux pour mémoriser les contes. Ils peuvent conter aux adultes mais ce seront des contes brefs qu’ils auront entendus à l’extérieur. Quand les hommes content entre eux, ce sont souvent des contes grivois que les femmes n’ont ni le droit d’entendre ni le droit de conter. Certains contes sont réservés aux femmes, d’autres aux hommes. Cette règle est respectée sous peine de grand malheur. Dans les questionnaires et les entretiens que nous avons étudiés, nous avons pu remarquer que ce sont souvent les femmes qui content et plus particulièrement les grands-mères. Aujourd’hui, avec le bouleversement des structures traditionnelles, les rôles ne sont plus vraiment respectés et chacun peut conter.

 

Conteurs professionnels


Christiane SEYDOU a étudié les conditions du Griot dans la société peule. Nous nous sommes largement appuyée sur son étude pour comprendre cette caste particulière. Chez les Peuls, il est fait une grande distinction entre les personnes de naissance et de condition libres et les esclaves ou captifs. Les griots font partie de cette deuxième classe et se situent dans la caste inférieure avec les bijoutiers, les tisserands, les cordonniers, les artisans du bois... La classe des griots se subdivise elle-même en sous-classes : les mâbo, les gawlo et les tiapourta.

  Les mâbo Ces griots sont généralement rattachés à une grande famille dont ils connaissent parfaitement la généalogie. Ils rapportent l’histoire de la famille en s’accompagnant d’un luth. Leur répertoire est constitué de récits glorieux ou édifiants qui mettent en scène un héros célèbre de la tradition épique ou un héros historique. Les mâbo sont aujourd’hui des conteurs itinérants pour les Nobles ou alors restent attachés à une seule famille. Ils remplissent les fonctions d’un clerc conservateur des archives d’une grande famille. Les mâbo ont une grande culture coranique, ils connaissent la théologie et le droit musulman et participent très généralement aux discussions avec les érudits lettrés musulmans.

       Les gawlo Ces conteurs connaissent très bien la tradition mais l’utilisent d’une manière détournée pour leurs propres intérêts. Ils ne parlent que pour obtenir des présents et de l’argent. Ils ne se taisent qu’à cette condition. S’il arrive qu’un gawlo ne soit pas satisfait de son indemnisation, il se sert de ses connaissances de l’interlocuteur pour le couvrir de sarcasmes, de chansons satiriques ou de pamphlets.

       Les tiapoura. Tiapoura en peul signifie " ceux qui n’ont pas honte de pêter ". Ces griots se placent tout en bas de la hiérarchie des griots. Ils jouissent d’une extrême liberté dans la parole et dans leur manière d’être. Leur répertoire est constitué principalement d’obscénités. Ces conteurs par leur frivolité libèrent la société de toutes les pressions et les tensions sociales. Chez les Dogons, le griot est lui aussi généalogiste, poète et musicien ? Comme chez les Peuls, il vit essentiellement de ce que lui rapporte son art. Sa parole n’est pas négative, elle est généralement plaisante, mais il ne lui est accordée aucun crédit car elle est comme la parole des femmes : " agréable et trompeuse ". Le griot est souvent considéré comme un menteur. Au Sud-Cameroun et au Gabon, le conteur professionnel est appelé " mbômmvet ". C’est un homme libre qui doit son grand prestige à ses ancêtres. Il se situe au-dessus de tous les clans et préside à la plupart des cérémonies initiatiques. Habillé de façon très excentrique (coiffure en plume, manteau en peau de genettes, cache-sexe en pagne d’écorce, collier en cauris), il joue du mvet et interprète des compositions de style lyrique, épique, voire satirique. Colporteur de nouvelles, il est aussi animateur culturel et médiateur des conflits. Ces exemples, même s’ils ne concernent que trois sociétés sont représentatifs de la condition du griot en Afrique. A la fois admiré et haï, au service de rois ou mendiant, le griot a un rôle important dans les sociétés orales : il détient la parole traditionnelle.

 

L’art de conter


Certains conteurs sont uniquement des diseurs, appréciés pour leur sobriété et la profondeur de leurs paroles. Mais la plupart sont des amuseurs, des conteurs-acteurs. L’art de conter est à mi-chemin entre l’art de la parole et l’art du geste. Le conteur est l’acteur principal de son spectacle, il donne vit à tous les protagonistes du conte. Il est successivement animal, végétal, gentil, méchant, homme, femme. Le récit du griot est vivant parce que variable. A partir d’une même structure, le conteur peut improviser librement des milliers de contes. L’art du griot est dans sa façon originale d’actualiser la tradition ; de s’adapter à son public et à ses besoins. La littérature traditionnelle et plus particulièrement le conte -puisque c’est notre sujet, nous apparaît comme un genre codé très ritualisé et fortement ancré dans une société aux antipodes de la nôtre. Cette constatation nous pousse à nous interroger sur les difficultés que deux sociétés si opposées : la société africaine et la société occidentale peuvent rencontrer lorsqu’elles sont en contact. Mais aussi sur les conséquences que peuvent avoir ces contacts sur la structure de ces sociétés et la mentalité des populations. C’est pourquoi nous allons étudier plus précisément les notions de culture et d’interculturel.

 

Les fonctions du conte


Nous l’avons vu, la littérature orale remplit de nombreuses fonctions dans la société : initiation, éducation, distraction... Le conte, est plus particulièrement le miroir de la société, il souligne les mentalités, révèle les croyances et valorise certaines conduites. N’SOUGAN étudie en détail les fonctions du conte eYe selon cinq axes. Tout d’abord, le thème central met en valeur un problème ou un conflit au sein de la communauté. Par exemple, le conte expose des problèmes dans les rapports entre co-épouses. Dans le dénouement, il propose une solution à ce problème. " C’est un cours à la fois théorique et pratique que la société par le truchement de ce genre littéraire, donne à ses membres. C’est un véritable cours d’éducation morale. ". Le conte provoque chez les auditeurs de forts sentiments et impose des normes morales. Il mobilise toutes les ressources de l’individu : " de la pensée aux muscles ". Le public s’engage dans le conte et la société y trouve son modèle de référence. Le thème secondaire joue un rôle de " thérapeutique préventive ". Ce thème secondaire met à l’épreuve le système, et dévoile ses failles, ce qui permet une prise de conscience et une plus grande prudence. Enfin, le dénouement a une fonction éducatrice évidente. Il peut être sous forme de conseils ou de morale. Le rôle social et pédagogique du conte n’est plus à prouver. Ce que nous remarquons ici est que le caractère didactique n’est pas uniquement réservé aux enfants. Le conte agit comme une " formation continue " puisqu’il répond à l’évolution des besoins et des manques. Le conte en le remettant en cause, assure la stabilité du système. Il souligne sa fragilité, ce qui oblige le peuple à être vigilant. C’est essentiellement sur ce point que les contes africains et européens divergent. Le conte africain est un enseignement et il le revendique. Le conte européen, lui, est un amusement populaire. Tout d’abord, par " conte européen ", nous désignons les contes populaires oraux et ruraux et non pas les contes littéraires remaniés pour les goûts que la Cour par des auteurs comme Perrault. Les contes populaires sont ceux qui se rapprochent le plus du conte africain : pratique sociale, narration orale et publique, divertissement et cohésion sociale. Ce genre a quasiment disparu en France au XVIIIeme siècle. De nombreuses études ont été entreprises par des linguistes, des ethnologues et des psychanalystes comme Bettelheim, Jüng et Freud qui ont mis en avant les fonctions éducatives du conte populaire, son importance dans la construction du Moi de l’enfant, le dépassement des interdits... Nous ne remettons pas ici en cause ces théories fort intéressantes. Mais s’il est possible que le conte aide l’enfant à se forger son Moi, ce n’est pas là sa fonction première. Le conte populaire français est un divertissement, c’est un moment agréable et un moyen ludique de passer le temps. D’ailleurs, Emilie MAGNE définit le conte populaire comme un " récit simple et souvent emprunté aux sources populaires " dont le but est de " réjouir les enfants ".

 

Pour aller plus loin :

 

LOISEAU Sylvie, 1992, Les pouvoirs du conte, PUF, L’Educateur, Paris

 

LAFFORGUE Pierre, 1995, Petit Poucet deviendra grand : ke travail du conte, Mollat Editeur, Paris

LEQUEUX Paulette, L'enfant et le conte : du réel à l'imaginaire, L’Ecole

 

 

JEAN Georges, 1981, Le pouvoir des contes, Casterman, Paris, 239 pages

 

 

GUÉRETTE, C., 1991, Peur de qui ? Peur de quoi ? : le conte et la peur chez l’enfant, Ville LaSalle, Éditions Hurtubise HMH

 

 

BOYES, D., 1988, Initiation et sagesse des contes de fées, Paris, Albin Michel

 

 

N’DAK Pierre, 1988, Le conte africain et l'éducation, L’Harmattan, Paris

 



23/08/2011
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