Conscience Nègre

Conscience Nègre

Qui était Cheikh Anta Diop ?

 

 

                    Cheikh Anta Diop: un savant exceptionnel

 

Cheikh Anta Diop est né le 29 décembre 1923 dans le village de Caytou situé dans la région de Diourbel, près de la ville de Bambey, à environ 150 km à l’est de Dakar, en pays wolof, au Sénégal. C’est une époque de tourmentes et le continent tout entier est soumis à la domination coloniale impérialiste qui impose ses lois politiques, culturelles, sociales et économiques aux populations. Le temps des grands empires et de la prospérité a été balayé par la traite négrière pour céder la place aux armées et aux états-majors européens en quête de nouvelles richesses, au mépris total de toute forme d’humanisme. Cheikh Anta Diop est issue d’un milieu d’opposants déclarés à la colonisation, celui des fondateurs de la grande confrérie islamique des Mourides (son fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba, en raison de ses prises de position à l’encontre de l’administration coloniale, fut déporté pendant sept ans au Gabon puis en Mauritanie). II tient son prénom de son oncle maternel Cheikh Anta M’Backé, (un des fils de Cheikh Ahmadou Bamba) qui fut, lui aussi, exilé au Soudan – l’actuel Mali – par l’administration coloniale. Son père, Massamba Sassoum Diop est décédé peu de temps après sa naissance. Sa mère, Magatte Diop, vécut jusqu'en 1984. Son éducation intellectuelle commence à l'âge de cinq ans quand il est envoyé à l'école coranique.

 

 

 

 

 

                                              Le Jeune C. A. DIOP

 

 Il est ensuite scolarisé à l'école française, précisément à l'école régionale de Diourbel où il obtient son certificat d'études primaires en 1937. De 1938 à 1945 il poursuit ses études secondaires à Dakar et à Saint-Louis. En 1945, il obtient son « Brevet de capacité coloniale » (équivalent du bac) en mathématiques (juin 1945) et en philosophie (octobre 1945). Arrivé à Paris au cours de l'année 1946, Cheikh Anta Diop qui ambitionnait de faire des études en aéronautique, à l’instar de son ami Cheikh Fall[1], s'inscrit en classe de Mathématiques Supérieures au lycée Henri IV. En attente de la rentrée académique de l'année 1946-1947, il commence simultanément une licence de philosophie à la Sorbonne, sous l’enseignement du professeur Gaston Bachelard, et entreprend des études de linguistique au côté d’Henri Lhote, le découvreur des fresques sahariennes du Tassili. En 1949, il inscrit sur les registres de la Sorbonne son sujet de thèse de doctorat ès lettres intitulé : « L’avenir culturel de la pensée africaine » sous la direction du Professeur Gaston Bachelard. Sa thèse complémentaire : « Qu’étaient les Egyptiens prédynastiques ?» était placée sous la direction du professeur Marcel Griaule (le révélateur du savoir scientifique des Dogons). L’audace et la témérité affichées par Cheikh Anta Diop dans cette entreprise qui fait appel à l’histoire, à la sociologie, à l’anthropologie, à la linguistique, à la philosophie, à l’esthétique - son objectif étant de remettre en cause les fondements même de la culture occidentale relatifs à l’histoire de l’Afrique et à la genèse de l’humanité - lui valent une grande hostilité dans le milieu universitaire. Le jury ne sera jamais constitué. Mais la thèse, non soutenue, paraît en 1954, aux éditions Présence africaine et connaîtra un succès retentissant sous le titre « Nations nègres et culture – De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui ». Le livre « le plus audacieux qu’un Nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique », soulignera Aimé Césaire, en 1955, dans son « Discours sur le Colonialisme ». Tellement audacieux que très peu d’intellectuels africains, à l’époque, oseront le soutenir ouvertement ou suivre sa voie. Dans la préface à l’édition de 1979, Cheikh Anta Diop soulignera cette réalité et rendra hommage à Césaire en précisant que : « Aimé Césaire : après avoir lu, en une nuit, toute la première partie de l’ouvrage fit le tour du Paris progressiste de l’époque, en quête de spécialistes disposés à défendre, avec lui, le nouveau livre, mais en vain ! Ce fut le vide autour de lui ».

 

 

 

 

 

                              Cheikh Anta Diop étudiant à Paris


Aussi faut-il attendre vingt ans pour qu'une grande partie de ses théories se trouve confortée, à la suite du colloque international du Caire de 1974, organisé sous l'égide de l'Unesco et réunissant des spécialistes parmi les plus éminents égyptologues du monde entier. Et plus de vingt autres années pour qu'il soit pris acte de son oeuvre après sa disparition. Malgré cette hostilité en son endroit, Cheikh Anta Diop, afin de mieux affiner et défendre ses thèses, poursuit des études pluridisciplinaires et obtient, en 1950, deux certificats de chimie (chimie générale et chimie appliquée) à la faculté des sciences de Paris. Sa rencontre, en 1953, avec le grand physicien français Frédéric Joliot‑Curie, professeur de physique nucléaire au Collège de France lui permet d’entreprendre une spécialisation au laboratoire de chimie nucléaire de cette structure et des recherches à l’Institut du radium. La même année, il épouse, à Paris, une Française, Louise Marie Maes, diplômée d'Etudes supérieures en Histoire et Géographie. Quatre fils naîtront de cette union. En 1956 et 1957, il se réinscrit en thèse d’État de lettres, avec un nouveau sujet. La thèse principale est intitulée : « l’étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l’Europe et de l’Afrique, de l’Antiquité à la formation des Etats modernes ». « Les domaines du matriarcat et du patriarcat dans l'antiquité classique» est le titre de sa thèse complémentaire. Après bien de vicissitudes académiques, le 9 janvier 1960, Cheikh Anta Diop soutient publiquement durant sept heures d’horloge, à l’amphithéâtre Louis Liard de la Sorbonne, sa thèse de doctorat d'Etat en lettres. Le préhistorien André Leroi-Gourhan (professeur au Collège de France) était son directeur de thèse, et son jury était présidé par le professeur André Aymard, doyen de la faculté des Lettres (spécialiste de l’antiquité grecque). Il comprenait, en outre, les éminents spécialistes suivants : Roger Bastide (Sociologue), Hubert Deschamps (ethnologue) et Georges Balandier (Africaniste). Une foule immense se déplace pour suivre les débats, sans oublier les média qui ne manquent pas de recueillir les démonstrations enthousiastes du jeune diplômé ainsi que les avis du jury. Cheikh Anta Diop déclare alors à la Radiodiffusion d’Outre-Mer : « j’ai voulu dégager d’une façon générale, l’unité culturelle africaine et d’un autre côté, animer l’histoire de tout le continent sur une période de 2 000 ans au moins ». Il ne manque pas non plus, de confirmer son désir de rentrer au pays pour servir au développement général du continent. Conscient du « danger » intellectuel que représentait Cheikh Anta Diop, une mention honorable qui lui ferme la carrière universitaire lui est attribuée. Au Sénégal, le président Senghor se chargera, par la suite, de veiller personnellement, à ce que Cheikh Anta Diop n’enseigne jamais aucune matière. C’est donc dans un contexte historique et idéologique extrêmement hostile que Cheikh Anta Diop a conduit ses recherches sur la genèse de l’humanité et de la civilisation dont les conclusions étaient aux antipodes des fondements des idées généralement admises en Occident et dominées par une vision anhistorique et atemporelle de l’Afrique.


                                  

 

Certains de ses amis l’avaient, du reste, mis en garde par rapport aux difficultés que son entreprise ne manquerait pas de poser. Ainsi, Marcel Griaule qui ne vivra pas jusqu’à la soutenance de sa thèse (il succombera, malheureusement, à un infarctus en 1956), l’avait prévenu : « Le sujet que vous vous imposez n’est rien moins que planétaire et de nombreux spécialistes vous tomberont sur le dos, comme la première fois »[2]. Les membres du jury se déchaînent : « Vous vous êtes entêté, malgré mes conseils…[3] », lance le doyen Aymard, le Président de séance, même s’il concède après : « Votre œuvre, œuvre d’une pensée africaine est pour nous dans son ensemble, un travail précieux qu’on lit avec vif intérêt ». « Vous m’êtes d’une sympathie qu’il serait inutile pour moi de décrire ici, mais j’ai envie de vous boxer pour votre indiscipline[4] », tempête André Leroi‑Gourhan. « …vous êtes encore trop jeune pour traiter de questions aussi étendues. Vous avez le mérite d’avoir posé le problème de l’homme prométhéen… », proteste le professeur Bastide.  La thèse sera immédiatement publiée, aux Éditions Présence Africaine sous les titres : « L'Afrique noire précoloniale » et « L'Unité culturelle de l'Afrique noire ». La même année, paraît la première édition de son livre : « Les fondements culturels, techniques et industriels d'un futur Etat fédéral d'Afrique noire ». Ce ne sera qu’à partir de 1980, après le départ du président Senghor, que la situation académique de Cheikh Anta Diop connaîtra une nette amélioration au Sénégal. En effet, en 1981, il sera enfin nommé professeur associé d’histoire ancienne à la faculté des lettres de l’université de Dakar où il enseignera et dirigera des thèses jusqu’à sa disparition. Cheikh Anta DIOP décède le 7 février 1986, à son domicile de Fann, quartier situé non loin de l'Université de Dakar. Au lendemain de sa mort, son nom est donné à l’ancien Institut français d’Afrique noire (IFAN) ; en 1987, sur le vœu de l’ensemble du corps universitaire, l’université de Dakar, qui lui avait si longtemps fermé ses portes, devient l’université Cheikh Anta Diop.

 

 

Par : Amadou DIALLO

                            

 

 

 



[1] Premier PDG africain d’Air Afrique

[2] Zorgbibe, Charles. « Senghor et Cheikh Anta Diop ou la restauration de la conscience africaine », in : Geopolitique africaine / OR.IMA International, n° 13, 2004. pp. 161-174

[3] Zorgbibe, Charles. Op. Cit.

[4] Zorgbibe, Charles. Op. Cit.



13/07/2011
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