Conscience Nègre

Conscience Nègre

A propos des "aspects positifs" de la colonisation

 

A PROPOS DES « ASPECTS POSITIFS » DE LA COLONISATION

 

Quand un pays ne se projette plus dans l’avenir, et quand ses dirigeants ont du mal à comprendre le présent, il est toujours tentant et réconfortant de réécrire le passé, notamment en instruisant le procès de l’histoire à la lumière des codes en vigueur aujourd’hui. C’est ce à quoi on songe quand on pense aux débats actuels en France autour de l’article 4 de la loi 2001, obtenue par la député française d’origine antillaise Christiane Taubira et qui reconnaît l’esclavage comme crime contre l’humanité. Déjà, en 1953, Aimé Césaire, dans son « discours sur le colonialisme », avec des mots chauffés au four de la révolte et de l’indignation s’attaquait au « mensonge principal à partir duquel tous les autres prolifèrent ». Celui-ci postulait que l’entreprise coloniale était une œuvre civilisatrice. Aujourd’hui la France, confrontée à un réel problème de cohabitation et d’intégration entre ses différentes communautés, revisite son passé colonial et déroulant les rouleaux de sa mémoire, elle ramène le fagot de bois qui lui plait. Ainsi, la vieille baliverne de la mission civilisatrice invoquée pour justifier l’entreprise coloniale ressurgit sous les avatars d’une loi qui dans un de ses articles, affirme le rôle positif de la colonisation, et préconise que celui-ci soit enseigné dans les programmes scolaires.

 

La falsification et la négation de l’histoire africaine


Au départ, le projet colonial était une vaste entreprise de conquête de territoires et de richesses d’une Europe en pleine révolution industrielle, ayant un fort besoin de matières premières, de débouchés, et d’espaces. Cette expansion territoriale et économique débutée sous l’Ancien Régime se développa et se renforça sous le Second Empire. Aux arguments économiques et politiques, vint s’ajouter la mission civilisatrice de l’Europe qui est justifiée par un discours raciste. En effet, pour  être pleinement efficace et acceptée par toutes les couches de la société européenne, cette domination et les moyens de son exercice ont été justifiés et légitimés au plan moral, philosophique et religieux. Des penseurs européens décrètent alors l’infériorité intellectuelle du Nègre et l’anhistoricité des sociétés africaines. Ainsi sont élaborées le mythe du bon sauvage et la théorie de la table rase qui faisait des terres colonisées des lieux sans Culture et sans Histoire, qu’il convenait de sortir de la nuit de la sauvagerie. Ces idées furent si répandues sous l’apparente bonhomie de l’évidence que même des esprits brillants de l’époque y adhérèrent. Parmi les plus célèbres de ces théoriciens de l’infériorité innée des nègres, on peut retenir, pour faire court, des philosophes, des hommes de lettres et des scientifiques de renom comme : Montesquieu, Voltaire, Cuvier, Gobineau  et Lévy-Bruhl en France ; Hume en Angleterre ; Hegel en Allemagne. Ainsi, Montesquieu - Charles de Secondat à l’état civil - écrit dans « De L’Esprit des Lois » : « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est impossible de les plaindre ... Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes,.. ». On trouve chez Voltaire, François Marie Arouet de son vrai nom, philosophe du Siècle des lumières, certains éléments fondamentaux des théories racistes qui prendront au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle, en Europe, leur forme achevée : « Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu'ils ne doivent point cette différence à leur climat, c'est que des Nègres et des Négresses transportés dans les pays les plus froids y produisent toujours des animaux de leur espèce, et que les mulâtres ne sont qu'une race bâtarde d'un noir et d'une blanche, ou d'un blanc et d'une noire » (cf. Essai sur les mœurs et l'Esprit des Nations, tome 1, Paris : J. Esneaux, 1821, p. 6 et 7). David Hume défie qui que ce soit de lui citer l'exemple d'un nègre qui ait montré des talents, et il affirme que : « parmi les centaines de mille de noirs transportés loin de leur pays, et dont un grand nombre cependant ont été mis en liberté, il ne s'en est jamais trouvé un seul pour produire quelque chose de grand dans les arts, dans les sciences ou dans quelque autre noble discipline, tandis qu'il n'est pas rare de voir des blancs issus de la plèbe susciter l'admiration du monde par l'excellence de leurs dons ... » (Cf. : Essays Moral and Political). Le zoologiste français Georges Cuvier caractérise ainsi les noirs d’Afrique : « la plus dégradée des races humaines, dont les formes s'approchent le plus de la brute, et dont l'intelligence ne s'est élevée nulle part au point d'arriver à un gouvernement régulier » (Cf. Recherches sur les ossements fossiles, Vol.1. Paris : Deterville, 1812. p. 105). Avec le comte Joseph Arthur de Gobineau (Cf. : Essai sur l’inégalité des races humaines, Paris, Nouvel Office d’Édition, 1963, Introduction, p.368), on atteint un niveau inégalé de théorisation sur l’infériorité de la race noire. Il résume ainsi les caractères de celle-ci dans son ouvrage : « La variété mélanienne est la plus humble et gît au bas de l'échelle. Le caractère d'animalité empreint dans la forme de son bassin lui impose sa destinée, dès l'instant de la conception. Elle ne sortira jamais du cercle intellectuel le plus restreint. Ce n'est cependant pas une brute pure et simple, que ce nègre à front étroit et fuyant, qui porte, dans la partie moyenne de son crâne, les indices de certaines énergies grossièrement puissantes. Si ses facultés pensantes sont médiocres ou mêmes nulles, il possède dans le désir, et par suite dans la volonté, une intensité souvent terrible. Plusieurs de ses sens sont développés avec une vigueur inconnue aux deux autres races : le goût et l'odorat principalement ». Même le grand philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel écrit que l'homme, en Afrique, vit « dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l'empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation. L'Afrique, aussi loin que l'on remonte l'histoire est restée fermée, sans lien avec le reste du monde ; c'est le pays de l'or, replié sur lui même, le pays de l'enfance qui au-delà du jour de l'histoire consciente, est ensevelie dans la couleur noire de la nuit... Les africains... ne sont pas encore parvenus à cette reconnaissance de l'universel. Leur nature est le repliement en soi. Ce que nous appelons religion, état, réalité existant en soi et pour soi, valable absolument, tout cela n'existe pas encore pour eux. Les abondantes relations des missionnaires mettent ce fait hors de doute » (Cf. Hegel, La Raison dans l'Histoire. Introduction à la Philosophie de l'Histoire, trad. Kostas Papaioannou, Paris, Plon, 1965). C'est donc une véritable théorie raciste qui est élaborée par l’intelligentsia européenne. Elle établit une corrélation imaginaire, pseudo-scientifique, entre la couleur de la peau et les capacités intellectuelles qui vise en particulier à positionner le Nègre au bas de l’échelle dans son système de hiérarchisation des races et au sommet de laquelle est placé l’homme Blanc. De cette conception raciale et hiérarchisante de l’humanité découle le fait que l’Afrique noire ne peut pas et ne doit pas avoir une histoire, qu’elle ne peut pas constituer « un champ historique intelligible », qu'elle n'a pu créer aucune civilisation. Ainsi, l'initiative de s’organiser en entités socio-politiques structurées, policées, en Etats comme les vastes empires noirs du moyen âge avec leurs grandes villes bien structurées, ne peut avoir qu'une origine extérieure.

 

Quels sont donc ces « aspects positifs » d'une entreprise de conquête, de massacres, de pillage et d'asservissement des peuples ?


De la colonisation, il ne s’agira, comme le précise Aimé Césaire dans son « Discours sur le colonialisme » : « ni d’une entreprise philanthropique, ni de volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni d’une extension du droit ». L’œuvre coloniale a pillé, vidé des sociétés de leurs richesses, ravagé des cultures, ruiné leurs magnificences artistiques, décérébré leurs élites, institué le code de l’indigénat et l’infériorité des indigènes, humilié et massacré des populations, torturé, imposé les travaux forcés, dépersonnalisé les sociétés colonisées, aliéné ses populations, transformé ses fils en chair à canon ; en somme elle a chosifié les colonisés. De la colonisation à la civilisation dira Césaire, la distance est infinie. Le Code noir rédigé sur l'initiative de Colbert en est une illustration parfaite. Cet ensemble de lois, promulgué par Louis XIV en 1685, se compose de soixante articles qui gèrent la vie, la mort, l'achat, la vente, l'affranchissement et la religion des esclaves. Si, d'un point de vue religieux, les Noirs sont considérés comme des êtres susceptibles de salut, ils sont définis juridiquement comme des biens meubles transmissibles et négociables.

Certains, parlant des « aspects positifs » de la colonisation, rappellent la construction des écoles, des hôpitaux et des dispensaires tout en occultant le fait qu’ils étaient destinés avant tout à la population coloniale et, dans une moindre mesure, aux notables indigènes. De toute façon, l’objectif visé était d’anesthésier la conscience des populations et de ce fait repousser la révolte contre le système colonial. Quelques infrastructures (routes, chemins de fer) furent mises en place par la force pour assurer la profitabilité de l’économie de traite (café cacao, coton, arachide, etc.) et assurer le fonctionnement et le confort de l’administration coloniale et de quelques fonctionnaires subalternes. Est-ce là le rôle positif dont on parle? Quelle éducation et quelle culture, la France nous a t-elle apporté ou transmis au point de nous exiger aujourd’hui un devoir de reconnaissance ? En réalité, l’école et l’éducation coloniales avaient pour mission de favoriser chez les africains, l’émergence et la pérennisation d’une élite « culturellement destructurée », de « blanc-noir ». Elles ont plutôt constitué, pour eux, une prison par excellence. La circulaire du gouverneur Chaudié, daté du 22 juin 1897 et relative au fonctionnement des écoles des pays de protectorats l’illustre, très bien : « .... l’école est, en effet, le moyen le plus sûr qu’une mission civilisatrice ait d’acquérir à ses idées les populations encore primitives et de les élever graduellement jusqu'à elle. L’école est en un mot, l’élément de progrès par excellence. C’est aussi l’élément de  propagande de la cause et de la langue française le plus certain dont le gouvernement puisse disposer. Ce ne sont pas, en effet, les vieillards imbus des préjugés anciens, ce ne sont même pas les hommes faits, pliés déjà à d’autres coutumes, que nous pouvons espérer convertir à nos principes de morale, à nos règles de droit, à nos usages nationaux. Pour accomplir avec succès cette œuvre de transformation, c’est aux jeunes qu’il faut s’adresser, c’est l’esprit de la jeunesse qu’il faut pénétrer et c’est par l’école, l’école seule, que nous y arriverons » (Cf. Turcotte, D. Lois, règlements et textes administratifs sur l’usage des langues en Afrique occidentale française (1826-1959). Il n’est point étonnant que nous nous trouvions aujourd’hui et très souvent, dans la plupart des pays africains, en face d’une élite « formée pour se comporter culturellement comme une assistance technique étrangère dans son propre pays ». 

 

« Ce n’est pas par la tête que les civilisations pourrissent, c’est par le cœur »


Par les temps qui courent, un vent de xénophobie souffle sur la France, il a décrispé et libéré un discours « anathémisant » et raciste. Qu’il prenne une élégante apparence, sous la plume d’un intellectuel, ou la gangue vulgaire de l’homme de la rue, il se déploie dans toute son imbécillité et en toute impunité. Ses soubassements sont les mêmes : la hiérarchisation des races et des cultures, le mépris de l’autre, l’intime conviction de sa supériorité, etc. Là sont les racines de la condescendance, et les germes d’un racisme que l’on ne prend plus la peine de cacher. Que vient faire cette loi dans le contexte sociopolitique actuel ? C’est comme s’il fallait un contrepoids à la loi de mai 2001 avec, en toile de fond, le débat sur l’immigration et l’intégration. Pour ses défenseurs, il s’agit d’une opération pare-feu  destinée à réfuter par anticipation des mémoires que l’on ne souhaite pas réhabiliter, en leur intimant l’ordre de se taire. Le message des tenants de cette idée est celui ci : « Certes nous sommes venus vous coloniser, mais, puisque celle-ci a aussi été positive pour vous, alors nous ne vous devons plus rien. Nous sommes quitte. Nous pouvons donc fermer nos frontières si nous voulons ». En définitive, lorsqu’il s’agit de traiter du passé colonial de la France, on minimise les faits, on relativise, on occulte le rôle majeur joué par les peuples d’outre-mer dans leur propre émancipation. Le but visé par ses constructions intellectuelles est de remodeler le champ mental des africains en leur imposant une lecture idéologisée de leur propre histoire. Pourtant, ces mémoires occultées ne quémandent pas la commisération. Elles exigent seulement qu’on les respecte et qu’on respecte leur histoire dans toute sa globalité et sa complexité. Après des siècles, d’expropriations, d’abâtardissements, de déni de leur dignité, que l’on ne vienne surtout pas dire aux africains qu’on leur a fait du bien. Fort heureusement, des voix se sont élevées contre cette grande machination : d’abord, celles des concernés au premier chef, à savoir celles des historiens qui refusent l’imposition d’une histoire officielle, puis, celles d’intellectuels et d’hommes de bons sens qui souhaitent que l’histoire soit assumée dans sa complexité. Cela a conduit le président de la république française à refuser, même si c’est avec des mots extrêmement pesés, l’imposition d’une histoire officielle. Ne pas abroger ce texte, c’est encourager un orgueil racial porteur de ténèbres. Aujourd'hui, on se demande si la colonisation a produit des aspects positifs pour les pays colonisés. Il serait judicieux aussi de se demander si elle a eu des aspects positifs pour la France elle-même car elle continue de payer chaque jour qui passe le prix de ses ambitions civilisatrices au sein même de tous les groupes et clans sociaux et politiques. Ainsi, à gauche comme à droite, on est contre la colonisation après la colonisation, tout comme on est contre la guerre, contre l’occupation, contre l’esclavage, contre la misère qu'on a pourtant contribuer à propager dans de nombreux pays africains (la Côte d’Ivoire en est l’exemple typique) détruits ou mis en déconfiture grâce à un soutien sournois et indéfectible sous le prétexte de conserver un « pré-carré » et par la mise en application de l’idéologie qui la sous-tend.

Il y a pire que la colonisation, c'est la décolonisation

Les colonisations ont été des violences, des traumatismes extrêmes, des dépossessions tragiques des sociétés colonisées. Mais ces sociétés ont du subir, notamment après 1945 en Afrique, un deuxième traumatisme extrême, aussi barbare, sinon plus, que la colonisation : la décolonisation capitaliste, forme supérieure de dépossession et d'aliénation raciste. On ne le dira jamais assez. Cette décolonisation a été la plus grande opération d'externalisation capitaliste de l'histoire humaine avec la complicité de la quasi totalité des élites politiques et intellectuelles locales prédatrices de leurs peuples, et supplétives de l'ordre mondial, installées et financées expressément  par les métropoles riches, de l'ouest ou de l'est. Les règle d'or de cette décolonisation / externalisation se résument ainsi :

- Abandonner les pertes, s'approprier les bénéfices.

- Abandonner toute responsabilité juridico-sociale dans les colonies, donner l'illusion de l'indépendance, tout en maintenant une dépendance mille fois plus perverse et implacable, basée sur l'appropriation complète des ressources, et l'entrée en scène de l'acteur néo-capitaliste par excellence : la pègre corrompue des marchands d'armes occidentaux et de toutes sorte de trafics, bloquant artificiellement à la source toute chance de ces peuples d'arriver à leur émancipation démocratique. Il est permis de dire légitimement que cette décolonisation a été pire que les colonisations, au sens où vraiment il est quasi-impossible d'y trouver des aspects positifs marginaux

Un proverbe bien africain dit : « Dieu est aveugle pour les couleurs, il ne voit que les hommes ». N’est-il pas temps pour nous aussi simples mortels de nous faire aveugles aux couleurs et considérer davantage les hommes ?



04/05/2011
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