Conscience Nègre

Conscience Nègre

« Voyage aux pays du coton »

 

 

« Voyage aux pays du coton »

Qui réécrira la vraie Histoire du coton ?

 

Par : Basile L. Guissou

 

L’académicien français, Erik Orsenna vient de publier aux Editions Fayard (Paris) un livre de 283 pages pour rendre compte de son « voyage aux pays du coton ». Ce « petit précis de mondialisation » de l’année 2006, se veut une tentative d’analyse de la bataille que se livrent les pays et les marchés dans « l’affaire du coton ». Bien sûr, l’appel qui en découle est celui de
s’en remettre sagement au verdict de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour imposer les mêmes règles à tous. Justement, tout le problème est là. L’OMC est-elle « neutre », juste et équitable, lorsque Monsieur Orsenna lui-même affirme : p. 273) « officiellement, la concurrence est à l’économie ce que la démocratie est à la politique : la loi morale et le moteur du progrès. En fait, seul le Brésil, fort de ses avantages naturels, joue le jeu pur et dur de l’offre et de la demande. Tous les autres pays que j’ai visités, tous, s’arrangent pour fuir les rigueurs et les volatilités du marché : subventions ouvertes ou déguisées, manipulations monétaires ou douanières, batailles de normes, contrats préférentiels… Dans cet art de l’esquive, les pays ne sont pas égaux. Comment le Mali peut-il lutter, lui qui ne dispose d’aucune de ces armes interdites ? ». Tout est dit : Mali, Burkina, Tchad et autres quantités négligeables, il faut rester tranquilles, les « Grands » qui ont les armes interdites vous feront une « petite » place à chacun de vous, selon votre degré de soumission et de servilité. Seule la lutte paie ! Pour l’Afrique, il n’y a aucune illusion à se faire ou à entretenir. Il vaut mieux s’organiser pour mieux étudier les problèmes posés et à résoudre, resserrer les rangs et trouver des propositions à faire. C’est ce que les pays sont en train de faire. Ils doivent se battre sans esprit défaitiste. Même si au bout, il n’y a pas de victoire, il faudra, comme Napoléon, savoir que « les armées défaites sont à bonne école ». Il faudra apprendre à transformer les défaites d’aujourd’hui en victoires de demain, petit-à-petit. La Chine impériale s’était autoproclamée « l’Empire du Milieu », donc le Centre du monde. Mais les puissances européennes de l’époque ont décidé de conquérir la Chine et la coloniser. Elles ont pu. La Chine fut humiliée, ses palais furent pillés, son territoire éclaté en « mille morceaux » avec des « War lords » (Seigneurs de la guerre) qui pillaient les populations en toute impunité. C’était l’époque de la guerre de l’opium et des traités iniques obligeaient les chinois à importer et à consommer l’opium. Le Centre du monde s’était déplacé de Pékin à Londres. Ensuite, l’Angleterre première puissance maritime du monde va perdre une de ses colonies après la guerre d’indépendance des Etats-Unis (1776) pour en arriver de nos jours à n’être plus qu’une colonie de sa colonie d’hier. Encore une fois, le Centre du monde s’est déplacé de Londres à Washington. Et voilà pourquoi, Eric Orsenna constate que (p. 59) « comme Washington est la capitale des décisions les plus importantes, des décisions qui concernent toutes les parties du monde, il y a beaucoup de couleurs de peau dans les rues. Forcément. Les êtres humains viennent de toutes les parties du monde pour tenter de participer à la décision qui les intéresse… à la pointe ouest du triangle formé par la 18th Street, H Street et Penn Sylvania Avenue. Vous avez une vue imprenable sur un immeuble de verre, rendez-vous de tous les peuples de la terre… Mon immeuble de verre est la plus géante des cliniques en même temps que la plus sévère des écoles de la modernité. On y répare la moitié (pauvre) du monde et on tente de lui inculquer les règles de base de toute civilisation. Mon immeuble de verre est l’immeuble le plus important du monde, puisque c’est celui de la Banque Mondiale ». Fin de citation. Même si ce qui est dit semble être « des vérités d’Evangile », pour l’essentiel, l’auteur fait le choix idéologique d’ignorer les bouleversements de la géopolitique mondiale depuis 1945, au sortir de la guerre entre l’Allemagne nazie et la France. À l’époque, incontestablement, Washington devenait le centre du monde, et seule la Banque Mondiale dictait ses règles pour « réparer » le monde entier, et non pas seulement « sa moitié pauvre » ! Cette moitié n’existait pas. Selon l’intelligente formule du professeur agrégé d’Histoire et savant africain, Joseph Ki-Zerbo : « L’Afrique a une histoire. Le temps n’est plus où, sur des pans entiers de mappemondes ou de portulans, représentant ce continent alors marginal et serf, la connaissance des savants se résumait dans cette formule qui sent  un peu son alibi : « ibi sunt léones ». Par là on trouve des lions. Après les lions, on a découvert les mines, si profitables et par la même occasion, les tribus indigènes qui en étaient propriétaires, mais qui furent incorporées elles mêmes à leurs mines comme propriétés des nations colonisatrices ». Une à une, les « populations indigènes » se sont forgées des consciences, des identités culturelles propres et se sont organisées pour s’inventer des futurs avec plus ou moins de bonheur. Incontestablement, en Asie, la Chine, l’Inde et aussi le Japon ont réussi à devenir des Etats et des pays qui comptent et qui contribuent à la prise de décision même à Washington ! À l’inverse, un continent comme l’Afrique demeure éclaté en cinquante trois (53) pièces détachées, pompeusement baptisées « Etats souverains et indépendants » dans un contexte géopolitique où les affrontements d’intérêts économiques et politiques s’organisent par continents pour déplacer le Centre du monde, encore une fois. Des Empires disparaissent et d’autres naissent, qu’ils soient économiques, financiers ou politiques. L’ex Empire soviétique est mort il y a à peine quinze ans. Aujourd’hui, c’est Erik Orsenna qui sous titre dans son livre, (p. 221) : « Chine : un capitalisme communiste ». C’est assurément un néologisme d’académicien que le politologue burkinabè aura de la peine à comprendre et à classer dans la typologie des systèmes politiques existants. L’auteur va plus loin en affirmant (p. 241) que : « À Datang, le communisme a le capitalisme dans le sang. Bien avant qu’en 1992 Deng Xiaoping décide le Grand Virage, le parti s’est donné pour tâche principale d’insuffler aux masses le sens des affaires ». Et ça marche très bien même selon le constat de l’auteur qui poursuit (p. 246/247) : « Il faut voir les paysans, vêtus comme des paysans, discuter avec les ingénieurs coréens, italiens ou chinois. Aux quatre coins, des banques rivalisent par voie de panneaux ou de calicots. Peu ou prou, leurs discours se ressemblent. Elles rappellent premièrement que la Chine est le pays de tous les possibles, deuxièmement que le crédit est le meilleur ami de l’homme (industrieux), troisièmement qu’attendre c’est reculer » (fin de citation). Il n’y a pas qu’en Chine que tout est possible. C’est partout que la nouvelle mondialisation rend chacun et tous (individus, communautés humaines, pays ou continents) potentiellement capables du meilleur comme du pire. Il n’y a plus de limites aux « possibles » liés au savoir, au pouvoir et à l’avoir. C’est ce « triangle magique » qui a rendu jusqu’ici, le monde si déséquilibré, au seul profit d’une infime minorité qui est très loin d’être « la moitié » de l’humanité. La « bataille du coton » est une parfaite illustration comme le montre très bien le livre de Erik Orsenna.  La réponse de son interlocuteur et interprète chinois (Bo Chen) à sa question (p. 255) « comment vois-tu l’avenir de la Chine ? » est digne d’intérêt. Bo Chen répond spontanément et sûr de lui : « Pas différent de son passé. Mon pays a toujours été la première puissance du monde. Sauf durant les deux derniers siècles. Dans vingt ans, il aura recouvré son rang ». Le Centre du monde reviendra-t-il dans l’ex Empire du milieu ? C’est à cette question que le dernier livre du professeur Joseph Ki-Zerbo cherche à répondre. Et ce n’est pas aisé comme exercice, même pour le savant qu’il est, du moins, à l’unanimité de ceux qui se considèrent (à tort ou à raison) comme des éclaireurs dans la sphère du débat d’idées sur l’avenir de l’Afrique. Un de mes contradicteurs locaux, surtout dans les colonnes du quotidien privé « L’observateur », mon aîné Charles Guibo me posait une fois la question de savoir pourquoi les travaux de recherche historique de Cheikh Anta Diop( ) ont tant d’importance à mes yeux : « À quoi ça sert de savoir que les pharaons de l’Egypte antique étaient des Africains noirs comme nous ? ». La lecture de Erik Orsenna lui donnera une réponse indirecte à la page 278 : « En Chine, la passion pour l’avenir n’est pas celle du nouveau riche. Si l’on veut tant d’argent et la puissance, c’est qu’on les a déjà connus. La guerre n’est pas la même quand on bataille pour retrouver. Les grecs ne s’agitaient pas au hasard sous les remparts de Troie. Ils venaient chercher quelqu’un qu’ils connaissent, une certaine Hélène. La présence, en soi, d’un grand passé confère à la conquête plus de tranquillité profonde. Je veux dire : plus de force » (fin de citation). Mon respectable aîné Charles Guibo qui est très sensible aux « choses de l’esprit » comprendra pourquoi, la bataille des chercheurs européens africanistes (français en particulier sur le Burkina) pour refuser de reconnaître que l’Empire du Moogho Naaba est plus ancien que l’Empire de Charlemagne qui ne date précisément que du XIIe siècle. Et pourtant c’est la réalité historique. L’Empire mooaga date incontestablement du Xe siècle. À partir de cela (une simple datation) la mission civilisatrice de l’impérialisme colonial français devient plus compliquée à défendre et à justifier. L’idéologie mercantiliste de course aux matières premières et de brigandages sur les terres d’autrui (le colonisé) apparaît trop nettement et trop clairement. C’est pareil en ce qui concerne les origines lointaines des civilisations africaines de nos villages actuels. Si les zoulous d’Afrique du Sud, les lobis du Burkina, les dogons de Bandiagara (Mali), les fulani du Cameroun et les bassari du Sénégal, tout comme les matabele du Zimbabwe, sont tous des descendants directs des pharaons noirs Toutakamon, Ramsès et autres Akhenaton, tout est remis en cause ! L’ordre historique mis en place par les experts savants et africanistes occidentaux pour nous développer est remis en cause. Il faudra inverser les rôles. Faut-il que ce soit l’Afrique avec son prestigieux passé pharaonique qu’aucune civilisation européenne (Grèce, Rome) n’a osé prétendre avoir jamais dépassé qui doit « aider l’Europe » à se civiliser ? Les chinois, eux, ont toujours traité les européens « barbares » dans leurs langues ! Sans un passé incontestablement reconnu, consciemment mémorisé et légitimement glorifié par tous, aucun peuple au monde n’a jamais pu se construire un présent stable et un futur prometteur. C’est le pourquoi du « réveil » asiatique (Chine, Inde, Japon, Vietnam, etc.). Ces peuples et leurs élites intellectuelles et politiques n’ont jamais, massivement, renoncé à leurs racines culturelles (langues, cultures, valeurs indigènes) pour s’identifier à leurs colonisateurs européens. Il n’y a jamais eu d’Inde « anglophone » ou de Vietnam « francophone » où les langues nationales sont « clandestines » et où les langues des colonisateurs sont les seules langues « légales et officielles ». L’Afrique est unique dans cette acceptation passive du « fait colonial accompli » que certains de ses fils et pas des moindres, glorifient même ! Dans aucun autre continent, l’Histoire officielle, les institutions officielles ne restent (encore en 2006) que seulement des « pâles copies » sans valeur ajoutée locale de ce que les colonisateurs ont fait, ont dit et ont écrit. Le développement officiellement accepté en Afrique, c’est l’imitation de l’Europe en tout. Par exemple, plus et mieux tu parles la langue française, l’anglais ou le portugais, plus tu es bien considéré socialement, bien payé par le budget national, bien nanti en prêts bancaires, etc. Ceux qui maîtrisent bien leurs langues maternelles peuvent tout au plus être des « traducteurs-interprètes-vedettes » chargés de haranguer les foules lors des meetings politiques ! En la matière, il n’existe pas de diplômes reconnus par le Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CAMES) pour exiger d’être engagé, classé ou reclassé à la fonction publique. Reconnaître que les pharaons étaient des NOIRS AFRICAINS, c’est tuer le mythe de l’infériorité des langues africaines incapables de transmettre la science et les techniques modernes. D’abord la langue pharaonique (l’écriture méroïtique) est la première langue écrite qui a permis de calculer, mesurer et construire les pyramides dans la vallée du Nil. C’est une langue de nègres, écrite, qui existe encore (les hiéroglyphes) mais qu’aucune université africaine n’enseigne. Ensuite, on saura que les philosophes grecs (Socrate, Thalès, Pythagore, Hippocrate, etc.) sont des élèves qui sont venus en Afrique pour apprendre les sciences auprès de Maîtres Noirs dans les « écoles des mystères » de l’Egypte des pharaons. Beaucoup de complexes accumulés dans nos consciences tombent d’eux-mêmes dès que ces réalités pénètrent nos cerveaux. C’est cette « nourriture intellectuelle » qui réveille les consciences et permet la reconquête de l’initiative historique par les peuples. L’Europe n’a pas créé l’Afrique depuis l’esclavage et la colonisation. L’Afrique a existé avant ces cinq petits siècles de domination. Il faut renouer avec ce passé indépendant, libre et autonome, pour repositionner nos sociétés, nos pays et notre continent dans la mondialisation, comme « acteurs » et non plus comme « sujets » ! Cheikh Anta Diop est, de ce point de vue, un authentique « hérétique du savoir institué » selon les termes de Jean Marc Ela, le sociologue camerounais. Il a intitulé son livre sur le Savant sénégalais, « Cheikh Anta Diop ou l’honneur de penser ». Tout y est dit. Si, encore en 2006, un académicien français ose affirmer que ce sont les arabes qui ont introduit la culture du coton en Egypte sans soulever de tollé général chez les historiens et les archéologues africains, pourtant « payés pour savoir » et dire le passé tel qu’il fut, il faut se poser sérieusement des questions. Erik Orsenna dans « voyage aux pays du coton » ignore royalement l’Afrique et son histoire propre. L’Egypte dont il parle c’est celle de la conquête arabe et du socialisme de Gamal Abdel Nasser. Pour parler des pyramides et de leurs bâtisseurs, il va aux Etats-Unis, à Memphis, où les cotonculteurs américains (Blancs, bien sûr) ont supprimé le nom du fleuve (mee-zoeese-bee) que les indiens utilisaient (malheur aux vaincus) pour le rebaptiser, « Memphis ». Il commente (p. 65) : « les premiers émigrés lui trouvèrent un petit air de Nil. Ils décidèrent de s’établir sur ses rives. Où trouver un endroit promis à un plus rayonnant avenir ? Et la ville qu’ils entreprirent de construire, ils la baptisèrent du nom de la toute première capitale de l’Egypte : Memphis (plus de vingt siècles avant Jésus Christ). Ces émigrés avaient de la culture. Et leurs successeurs, de la constance : ils ont élevé près du pont une pyramide géante à l’endroit même où fut assassiné Martin Luther King » (fin de citation). Ni les indiens décimés par les « émigrés », ni les noirs africains (constructeurs de Memphis et des Pyramides de l’Egypte et ensuite esclaves dans les champs de coton du Sud des USA) ne sont propriétaires de rien. Le Centre du monde s’est décidément éloigné du « continent mère » de l’humanité. Et le vieux savant burkinabè reste tout à fait lucide en posant cette question qu’une vie entière de chercheur et d’intellectuel africain n’a pas permis de trancher clairement : « À quand l’Afrique » ? Le « voyage aux pays du coton » d’Erik Orsenna, est une fresque mondialisante où tout savoir, tout pouvoir et tout avoir sur le coton part de l’Europe et revient à l’Europe et aux Etats-Unis d’Amérique. C’est une vision parfaitement défendable dans le strict respect de la philosophie de l’histoire dont W. F. Hegel est le Grand Prêtre incontesté et incontestable. Cette vision est fausse. Elle doit être contestée et critiquée au nom de l’universalité de la science et de l’humanisme. Les libertés, les droits de l’homme, la démocratie autorisent aussi la vérité historique sur le sort inacceptable qui est celui des cotonculteurs africains, de l’Egypte, du Mali, du Tchad, du Bénin, comme du Burkina. Ce dernier pays a produit 750 000 tonnes de coton en 2005. Sa dépendance extrême des règles du commerce et des marchés mondiaux (le renard libre dans la basse-cour libre !) aggrave le déficit chronique de sa balance des paiements. L’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » N° 2374 du 9 au 15 juillet 2006, à la page 71, titre : « Burkina Faso l’or blanc ne suffit pas ». Il révèle que : « En 2005 les importations d’un montant de 500 milliards de F CFA (762 millions d’euros) ont été près de deux fois plus importantes que les exportations, évaluées à 263 milliards de F CFA (400 millions d’euros) malgré la bonne tenue de la filière coton, la première d’Afrique de l’ouest. L’Or blanc a représenté plus de trois quarts des ventes à l’étranger loin devant les bovins, les graines et semence, et les fruits. La dégradation du prix de la fibre sur les marchés mondiaux plombe l’économie du pays » (fin de citation). Il faut constater tout simplement que toute la valeur ajoutée du coton burkinabè se fait hors du Burkina et nécessairement « contre le Burkina », malgré les clauses de style employées joliment par Erik Orsenna et « Jeune Afrique ». Peut-être que le coton burkinabè et africain gagnerait plus en réécrivant lui-même sa propre histoire, pour se rendre enfin capable d’agir « en soi et pour soi ». Il faut donc faire mentir Friedrich Hegel ! Ce sera vraiment une autre histoire.

 

 

 



07/07/2011
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