Conscience Nègre

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Ah ! Ces premières dames

AH ! CES PREMIERES DAMES

 

L’histoire politique de l’humanité regorge de femmes qui ont été de dignes représentants de leurs peuples et qui ont su conduire le chemin et le destin des hommes vers le bonheur avec efficacité, dans la rigueur et la dignité. Sont de celles là (le Pharaon Cléopâtre VII d’Egypte, la reine Pokou des Baoulés, les reines Ravaloany de Madagascar et Lalla Khenatha du Maroc, la princesse Yennega des Moose, sans oublier les fameuses et célèbres amazones comme Naga et Nansica du Danhomé et Béatrice du Congo, la Jeanne d’Arc congolaise, etc.,). Celle-ci nous révèle aussi que la vie des nations regorge d’exemples de femmes qui, sans avoir été des dirigeantes ou des activistes politiques, ont marqué positivement et utilement leurs sociétés. Cependant, ces situations n’ont rien à voir avec ce que l’on peut observer, de plus en plus, dans nos pays, avec l’implication très fréquente des épouses de certains premiers responsables africains dans le domaine politique, après celui de l’économique, sans être détentrices d’aucun mandat. Même si l’on peut constater que de nombreux exemples existent, où des compagnes d’hommes d’Etat ont su jouer ou continuent de jouer de grands rôles auprès de leurs époux, de façon discrète mais efficace, on peut aussi déplorer l’activité débordante de certaines autres notamment dans la sphère politique. Même si certaines femmes de président ont été des acteurs politiques avant l’accès de leur époux à la présidence, à l’image d’une Winnie Mandela et d’une Simone Ehivet Gbagbo, par exemple, ou avant leur mariage avec un chef de l’État, il y a bien, cependant, un ensemble de facteurs nouveaux dans la réalité internationale et dans les modes d’exercice du politique qui a permis la montée en puissance des Premières dames et qui conforte cette dynamique. Celle-ci découle d’abord d’une période d’émancipation des femmes dans les pays démocratiques et développés ainsi que de l’action soutenue de certaines institutions internationales et organisations non gouvernementales. Elle correspond aussi à un moment, autrement plus controversé, marqué par un essor sans précédent des idéologies néo-libérales (dérégulation, privatisation et démocratisation) caractéristiques du phénomène de mondialisation, et de la valorisation des différentes facettes des sociétés civiles nationales et internationales. Pourtant, le personnage même de Première dame recouvre un paradoxe. En effet, ce personnage peut être considéré comme une négation, un non-sens puisque la Première dame n’existe que par la fonction de son mari et ne dispose, a priori, d’aucune autonomie ou indépendance par rapport au pouvoir. Par ailleurs, présente dans l’intimité de ce dernier, elle apparaît bien souvent comme une figure apolitique, humaine et bienfaitrice. Cette position paradoxale est symptomatique des évolutions et des ambiguïtés du rôle des premières dames, notamment en Afrique. Il ne s’agit donc pas ici de nier le rôle que peut jouer l’épouse d’un homme d’Etat auprès de son compagnon. Le problème se situe plutôt au niveau du statut politique et social que l’on a tendance, actuellement, à attribuer aux « Premières dames » dans une République, dans un Etat de droit où seule l’élection par le vote démocratique confère à un citoyen ou à une citoyenne un statut avec des prérogatives qui y sont rattachées. En effet, que constatons-nous de nos jours?

 

Depuis un certain temps, en Afrique noire, notamment concernant les anciennes colonies françaises, une grande et coûteuse entreprise de médiatisation et de mobilisation se mène autour de ce qui tend à devenir, à l’image des grandes rencontres internationales des chefs d’Etat, des réunions pompeusement intitulées « sommets des Premières dames d’Afrique ». Des sommets qui commencent à prendre des allures structurées et bientôt légalisées de nature à semer la confusion dans les esprits. Et comme on l’a constaté à Ouagadougou, ceux-ci ressemblent plus à des « Janjoba » qu’à des « brain-trusts » destinés à trouver de véritables solutions aux problèmes de nos sociétés pour lesquels ces dames ne sont pas, du reste, mandatées. Que les compagnes de nos chefs d’Etat s’adonnent à des activités philantrophiques de nature à rehausser l’image de la femme (qui, il faut l’avouer est malmenée dans nos sociétés « modernes » actuelles) et partant de leurs pays sinon même de leurs époux, est compréhensible et même souhaitable. Mais, de là à créer une véritable association de femmes des chefs d’Etat avec tous les égards dus à des élus est inconcevable en République, surtout quand ces dernières s’arrogent des prérogatives qui dépassent largement leurs compétences. Qu’elles mènent des activités de promotion et de sensibilisation dans différents créneaux comme dans la santé, dans la lutte contre la pauvreté, dans la protection de l’enfance, dans la protection de l’environnement, dans l’érection de fondations humanitaires, etc., en dehors des excès protocolaires officiels et politiques tapageurs, se conçoit bien et se justifie totalement. A travers le monde, du reste, elles sont nombreuses les premières dames qui mènent des activités similaires à l’image de madame Mitterand avec sa fondation France-Libertés en faveur des droits de l’homme. Mais, on constate, de manière générale, que sur le Continent, les Premières dames ont tendance à outrepasser le rôle que leur confère leur statut. Leur position au cœur même d’un pouvoir d’État qui se veut démocratique est aujourd’hui privilégiée mais reste intrinsèquement ambiguë. Ainsi, la dimension politique chez certaines Premières dames prend le pas sur leurs activités philanthropiques. Tel fut le cas de Rosine Vieyra Soglo qui en s’engageant dans la vie politique en créant, en 1992, un parti politique, la Renaissance du Bénin, avec la double casquette de Première dame et de chef de parti, s’est révélée être un entrepreneur politique atypique, tout en imprimant une orientation patrimoniale et népotiste au pouvoir pourtant démocratique acquis par son mari. Il en est ainsi, aussi, de Simone Ehivet-Gbagbo qui, depuis l’élection de son époux à la magistrature suprême et, surtout, depuis le déclenchement de la guerre en 2002, occupe une place centrale dans le processus décisionnel et dans les arcanes du pouvoir. Pour beaucoup de gens, son intransigeance est largement responsable de la radicalisation du régime. La situation de Winnie Byanyima, ancienne combattante du National Resistance Movement/Army de Yoweri Museveni est unique. Devenue figure charismatique de la nouvelle opposition au régime au pouvoir, cette ancienne maîtresse du président Museveni, dans son cheminement politique est restée en phase avec ses idées et ses engagements des années de lutte dans la guérilla. Pour cela, elle a dû rompre avec son amant et son parti prouvant ainsi que l’accession au pouvoir n’aurait pas signifié une rupture avec les valeurs défendues avant. Quant à Chantal Biya et Chantal Compaoré, leur imbrication dans la sphère politique est subtile pour ne pas dire informelle. En effet, on peut noter que d’une relative discrétion au départ, elles semblent coordonner, actuellement, leurs génies pour se donner l’image d’égéries, d’inspiratrices de leurs hommes à tel point, qu’aujourd’hui, elles symbolisent et détiennent, dans les champs associatifs de la santé (lutte contre la pandémie du sida) et de l’éducation pour la première ; de l’émancipation de la femme, de la santé (lutte contre le sida), de la protection de l’enfance, de l’action sociale et même du sport et de la culture, pour le seconde, tous les attributs traditionnellement dévolus au pouvoir politique et aux différents démembrements de l’Etat qui leur ont quasiment délégué une grande partie du domaine public. En dehors de cette dimension, on peut relever certaines spécificités liées à certaines Premières dames qui contribuent à leur donner une image pas toujours reluisante. Ainsi, au Kenya, avec l’arrivée au pouvoir du Président Kibaki, le rôle de la Première dame, pratiquement inexistante du temps du Président Arap Moï, fut réactivé, mais de manière négative, du fait de l’excentricité et des frasques défrayant quotidiennement les chroniques de son épouse. En effet, l’interventionnisme intempestif de Lucy Kibaki, à tout propos, oblige le président à négocier pratiquement les relations entre sa vie privée et sa vie publique. Enfin, il existe des cas où le couple présidentiel représente l’alliance de deux strates différentes des élites et où les stratégies matrimoniales peuvent également servir des desseins géopolitiques ou sous-tendre des alliances régionales, comme en témoignent éloquemment le mariage avec des connotations plus ou moins politiques noué par les présidents Denis Sassou-Nguesso et Omar Odimba Bongo ou dans la passé par Félix Houphouët-Boigny et Blaise Compaoré. Manifestement, l’environnement, les pratiques et les droits que s’arrogent ces Premières dames sont non seulement fort complexes, mais aussi, reviennent excessivement cher. Cette question interpelle donc nos dirigeants politiques et nos législateurs afin que des normes précises soient arrêtées afin d’éviter toute confusion dans la dévolution démocratique du pouvoir tout en se penchant sur cette exception dans les rubriques de dépense de l’Etat dans le but d’y mettre un terme. Si l’on n’y prend garde, on ne tardera pas à voir se former et prendre corps des Associations des épouses de Premiers ministres et pourquoi pas de celles des Présidents des Assemblées Nationales, avec leurs sommets respectifs. Cela peut faire sourire, mais il y a des pratiques actuellement en Afrique qui n’étonnent plus.

 

Un rapide survol de cette réalité au Burkina Faso, par exemple, nous permettra de faire quelques constats assez inquiétants. En effet, le grand nombre de parrainages (en croissance exponentielle) assumés par les épouses de nos hommes politiques (Président du faso, Premier ministre et Président de l’Assemblée Nationale, notamment) qui prennent carrément des allures de marketing politique ne peut laisser indifférent. Il n’est point acceptable en République que la « Première dame » et même la « Deuxième dame » se transforment pratiquement en demi-chefs de gouvernement et acquièrent quasiment un statut, sinon même jouent des fonctions qu’aucun texte, ni aucun article de la Constitution ne leur confère. Il faut voir avec quelle déférence, voire même allégeance, les femmes politiciennes (ministres et députés) ainsi que toute une faune de courtisanes et de courtisans, sont attelées à leurs pieds et sont aux petits soins pour elles. Les exemples foisonnent et peuvent être constatés fréquemment lors des grandes manifestations impliquant l’Etat et ses démembrements comme la commémoration de la journée mondiale de la santé où le ministre de la santé lui-même est mis au second plan ; idem pour le lancement de la saison sportive ; il n’est même pas utile de parler de la journée de la femme où les ministres directement concernées servent plutôt de protocole, etc. Quant aux parrainages des inaugurations, des cérémonies et autres manifestations à travers le pays, elles ont une activité débordante. On a l’impression que des attributions quasi officielles leur sont conférées tant leur rôle est mis en exergue. On peut aisément imaginer les dépenses occasionnées par tout cet activisme et cela d’autant plus qu’elles sont traitées avec tous les égards dus à des personnages officiels de l’Etat (couverture médiatique, notamment radio et télévision, sécurité, protocole, etc.). C’est le lieu, ici, de s’interroger sur les coûts occasionnés par de telles comportements et leurs poids sur les finances publiques. L’illustration de cette réalité nous est donnée par le dernier sommet des « Premières dames d’Afrique» de Ouagadougou dont le coût, à n’en pas douter, est sans aucune mesure avec les résultats attendus et obtenus. Même si l’on ne peut rien reprocher à leur plaidoyer pour la paix et pour lutte contre le sida, il est évident que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Cependant, il convient de souligner qu’au Burkina Faso, cette pratique n’était pas ancrée dans les mœurs politiques jusqu’à très récemment. En effet, depuis la Haute-Volta jusqu’au Burkina, les épouses des différents hommes d’Etat et celles des plus hauts dignitaires de notre pays se sont toujours illustrées par leur discrétion et leur simplicité à tel point que beaucoup de nos compatriotes ne se rappellent même plus ou ne connaissent même pas le visage de madames Maurice Yaméogo, Sangoulé Lamizana (n’eût été son récent départ), Saye Zerbo et Jean-Baptiste Ouédraogo ; de mesdames, Gérard Kango Ouédraogo, Issoufou Conombo, Issouf Ouédraogo, Kadré Désiré Ouédraogo pour ne citer que celles-ci qui ont toutes été « Premières » et « Deuxièmes » dames et qui pourtant soutenaient leurs hommes et qui présidaient ou s’adonnaient aussi à des activités philanthropiques. Il est grand temps que des mesures ou des textes soient pris pour codifier le statut de ces dames avant que cette pratique ne s’ancre dans les mentalités et les mœurs politiques tout en servant de fonds de commerce pour certains personnages spécialistes des flatteries et des flagorneries.

 

Pour conclure, il est nécessaire, afin d’éviter tout malentendu ou de voir une quelconque volonté de malveillance dans la lecture de cet article, de faire cette remarque essentielle. En effet, si celui-ci est axé sur les Premières dames du continent, cette problématique ne se limite évidemment pas au seul cas africain puisque, ailleurs, en Europe, en Amérique latine ou en Asie, une dynamique de même nature a pris forme faisant passer la Première dame de l’effacement à une visibilité accrue grâce à l’action humanitaire ou sociale et lui octroyant un rôle politique manifeste[1], encore que cela reste dans des limites qui sont largement mieux définies et plus civilisées. Ainsi, on peut citer de nombreux exemples contemporains ou passés dont celui de Bernadette Chirac qui bien qu’ayant un mandat politique local formel, agit aussi, au plan national, dans l’informel politique. On peut retenir, en plus, l’activisme d’une Marta Sahagun au Mexique ou de feue Mme Suharto en Indonésie ; les manifestations d’un pouvoir ombrageux d’une Himelda Marcos aux Philippines, ou encore, dans un passé plus lointain, l’activité débordante et intrigante de madames Mao Zedong et Ceaucescu, etc. On peut nous rétorquer que cette pratique répond à un contexte mondial caractérisé par le boom de l’information et de la communication et l’importance accordée à la place et au rôle de la femme. Si tel était le cas, qu’en serait-il dans les pays plus avancés que nous ? En effet, peut-on imaginer, une seule seconde, l’organisation d’un sommet des « Premières dames d’Europe » ou d’Asie comme celui qui s’est tenu à Ouagadougou ? Evidemment, non. Mais en Afrique, avec l’Etat « indigène » et sa gestion patrimoniale du pays, tout est possible.



[1] Pour en savoir plus, se reporter au numéro 95, octobre 2004 de « Politique africaine ».



04/05/2011
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