Conscience Nègre

Conscience Nègre

Cheikh Anta Diop et la nouvelle génération africaine

 CHEIKH ANTA DIOP ET LA NOUVELLE GENERATION AFRICAINE

 

 I- Introduction

 Parmi les élites et les intellectuels africains, Cheikh Anta Diop est incontestablement un de ceux qui ont le plus marqué la vie des Africains au cours de la seconde moitié du XXe siècle en oeuvrant à désencombrer leur conscience des pesanteurs idéologiques consécutives à plusieurs siècles d’esclavage et de domination coloniale afin qu’ils assument pleinement leur destin et leur propre développement. A la fois intellectuel, nationaliste et panafricain, il a laissé une œuvre riche, abondante et pluridisciplinaire. Plusieurs facettes de la personnalité et de l’œuvre du savant peuvent, en effet, être évoquées. Mais, au delà de celles de l’historien, de l’égyptologue et du militant politique, c’est l’influence de son œuvre et son combat intellectuel et politique pour réhabiliter la pensée et la conscience historique africaines et pour l’unification politique de l’Afrique qui nous préoccupera ici, très particulièrement. Cela, d’autant plus que sa contribution est, aujourd’hui, capitale pour le renforcement du mouvement pour la renaissance africaine tant en Afrique que sur d’autres continents et pour la mise en œuvre des différentes approches de l’unité politique et culturelle actuelles de l’Afrique. Comme l’a si bien souligné le Professeur Goma-Thethet : « il est incontestablement l’un des rares intellectuels africains de sa génération à jouir encore de la considération qui était dévolue aux personnalités qui ont joué un rôle politique au cours de la période de l’accession aux indépendances[1] ». Ce n’est donc point étonnant que lors du premier Festival mondial des arts nègres tenu à Dakar, au Sénégal, en 1966, Cheikh Anta Diop ait partagé avec feu le professeur William Edward Burghardt Du Bois, pour l’ensemble de son œuvre, le premier prix du festival, comme l’auteur qui a exercé la plus grande influence sur la pensée nègre du XXe siècle. Ce n’est point un hasard, non plus, si son ouvrage « Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ? » figurait dans la sélection des douze (12) meilleurs livres africains du XXe siècle lors de la foire internationale du livre du Zimbabwé en février 2002. Dans la préface de L’Afrique de Cheikh Anta Diop publié chez Karthala par François-Xavier Fauvelle, en1996, Elikia M’Bokolo écrit à propos du savant africain : « L’Afrique noire a produit, depuis plus d’un siècle, un nombre significatif et une variété remarquable de talentueux historiens professionnels et philosophes de l’histoire. Mais aucun, assurément, n’a connu de son vivant, ni après sa mort, la notoriété qui est celle de Cheikh Anta Diop depuis le milieu des années 1950. Cette notoriété, Cheikh Anta Diop la doit à la qualité exceptionnelle de ses travaux de recherche et à son indéfectible engagement à faire redécouvrir aux Africains leur patrimoine historique et culturel (jeté aux calendes grecques par des siècles d’hégémonie européenne), mais aussi et surtout à aider à la construction d’une Afrique unie, maîtresse de son avenir ». Quant à Jean-Marc Ela, dans son magnifique ouvrage « Cheikh Anta Diop ou l’honneur de penser », il campait le savant sénégalais en ces termes : « Cheikh Anta Diop n’a pas seulement légué un riche héritage aux générations africaines : c’est l’apport de cet homme à l’histoire de l’humanité qui doit être pris en compte. Ce chercheur doit être situé à son vrai niveau qui est l’aventure de la raison dans l’histoire ». Cependant, il faut souligner que jusqu’à nos jours, ses thèses font l’objet de remises en cause et d’attaques périodiques et quelquefois violentes de la part de certains chercheurs, principalement occidentaux. En Afrique aussi, des voix s’élèvent pour préconiser un « dépassement du maître » grâce à une relecture de son œuvre. Pourtant, plus que jamais, les thèses de Cheikh Anta Diop ne cessent de connaître une adhésion fulgurante chez les intellectuels et chercheurs d’Afrique et de la Diaspora ainsi qu’au niveau de la jeunesse scolarisée.

Aujourd’hui, au moment même où partout en Afrique noire on célèbre le cinquantenaire des indépendances, il convient d’apprécier à sa juste valeur les analyses de Cheikh Anta Diop qui apparaît comme un grand visionnaire. En effet, depuis les indépendances des années 60, on constate que la grande majorité des pays africains n’a pas encore réussie à poser les bases d’un développement endogène et durable malgré l’énorme potentiel humain et matériel dont elle dispose. Pourquoi ? On peut se risquer d’avancer que c’est parce que les Etats africains n’ont pas su ou pu se baser sur leur patrimoine historique et culturel pour mobiliser leurs peuples sur les chemins du progrès technique et du développement technologique. Nos dirigeants et nos élites n’ont pas su réunir tous les éléments culturels et idéologiques nécessaires à leurs citoyens pour asseoir et bâtir des Etats nations. C’est ce que les œuvres de Cheikh Anta Diop nous permettent de comprendre. En effet, partout où de nouvelles nations se formèrent, l’exaltation du passé précéda et prépara l’indépendance nationale. C’est pourquoi, au moment des indépendances, s’opposant à certains leaders politiques qui soutenaient qu’il fallait sauter le stade intermédiaires des cultures nationales pour s’intégrer d’emblée à la culture universelle[2], Cheikh Anta Diop rappela que l’Europe elle-même ne l’a pas fait et s’est basée sur ses idéologies nationales pour bâtir des nations au cours du XVIIIe siècle pour la plupart d’entre elles. L’indépendance politique, disait-il, est inconcevable sans indépendance culturelle, sans l’acquisition ou la réactivation d’une identité culturelle surtout pour nous autres africains qui sortions de quatre (4) siècles d’esclavage et de colonisation avec comme conséquence une stagnation culturelle et un effacement politique accentué. Il était donc nécessaire sinon obligatoire pour les peuples, à l’image des peuples asiatiques, au sortir de la face nocturne de leur histoire, de se doter d’une superstructure idéologique et culturelle solide afin de se réapproprier leur passé et d’en être pleinement conscients car, comme il le précisait avec insistance à la veille des indépendances : « En redécouvrant ainsi notre passé, on contribue à recréer la conscience historique sans laquelle il n’y a pas de grandes nations ». C’est ainsi que l’objectif de Cheikh Anta Diop dans ses travaux a toujours été de rétablir la « vérité » sur l’humanité noire et à fournir aux africains, notamment aux hommes politiques, leurs véritables thèses de combat pour l’émancipation du Continent. On est en droit de se poser la question de savoir pourquoi donc, avec leur accession à l’indépendance, les pays africains n’ont pas pu enlever aux puissances coloniales leurs suprématies encore incontestées ? C’est vraisemblablement parce qu’ils n’ont pas fait l’effort de rechercher les continuités historiques reliant l’Afrique antique à l’Afrique coloniale en exhumant une histoire africaine et une interprétation du passé afin que l’Afrique cessât d’être le parent pauvre de l’histoire, de la civilisation, de la science, de l’abstraction, de l’innovation sociale et organisationnelle.

Dans cet article nous examineront l’influence des travaux et de la production intellectuelle de Cheikh Anta Diop sur la restauration de la conscience historique africaine, mais aussi, sur la problématique de la réalisation de l’unité politique du Continent. Ces questions constituent aujourd’hui une préoccupation majeure pour la nouvelle génération africaine et continuent, jusqu’à nos jours, de préoccuper de nombreux intellectuels et praticiens politiques africains et de la diaspora et à leur servir de terrain de réflexion. Pour ce faire, après avoir campé le personnage à travers son itinéraire intellectuel, politique et scientifique, nous nous intéresserons à la question de la réappropriation de la conscience historique et à celle de l’unité africaine, deux thèmes très chers à Cheikh Anta Diop et qui demeurent incontournables pour tous ceux qui sont préoccupés aujourd’hui par le destin et l’avenir politique de l’Afrique. Enfin, nous nous interrogerons sur l’impact de son œuvre et de son combat sur la jeunesse africaine actuelle ainsi que sur les élites intellectuelles et politiques du Continent.

      II-   Le parcours scolaire et universitaire de Cheikh Anta Diop

Cheikh Anta Diop est né le 29 décembre 1923 dans le village de Caytou situé dans la région de Diourbel, à environ 150 km à l’est de Dakar, en pays wolof, au Sénégal. C’est une époque où le continent tout entier est soumis à la domination coloniale impérialiste qui impose ses lois politiques, culturelles, sociales et économiques aux populations. Le temps des grands empires et de la prospérité a été balayé par la traite négrière pour céder la place aux armées et aux états-majors européens en quête de nouvelles richesses, au mépris total de toute forme d’humanisme. Cheikh Anta Diop est issue d’un milieu d’opposants déclarés à la colonisation, celui des fondateurs de la grande confrérie islamique des Mourides (son fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba, en raison de ses prises de position à l’encontre de l’administration coloniale, fut déporté pendant sept ans au Gabon puis en Mauritanie). II tient son prénom de son oncle maternel Cheikh Anta M’Backé, (un des fils de Cheikh Ahmadou Bamba) qui fut, lui aussi, exilé au Soudan – l’actuel Mali – par l’administration coloniale. Son père, Massamba Sassoum Diop est décédé peu de temps après sa naissance. Sa mère, Magatte Diop, vécut jusqu'en 1984. Son éducation intellectuelle commence à l'âge de cinq ans quand il est envoyé à l'école coranique.

Il est ensuite scolarisé à l'école française, précisément à l'école régionale de Diourbel où il obtient son certificat d'études primaires en 1937. De 1938 à 1945 il poursuit ses études secondaires à Dakar et à Saint-Louis. En 1945, il obtient son « Brevet de capacité coloniale » (équivalent du bac) en mathématiques (juin 1945) et en philosophie (octobre 1945). Arrivé à Paris au cours de l'année 1946, Cheikh Anta Diop qui ambitionnait de faire des études en aéronautique, à l’instar de son ami Cheikh Fall (premier PDG africain d’Air Afrique), s'inscrit en classe de Mathématiques Supérieures au lycée Henri IV. En attente de la rentrée académique de l'année 1946-1947, il commence simultanément une licence de philosophie à la Sorbonne, sous l’enseignement du professeur Gaston Bachelard, et entreprend des études de linguistique au côté d’Henri Lhote, le découvreur des fresques sahariennes du Tassili. En 1949, il s’inscrit en thèse de doctorat ès lettres avec comme sujet : « L’avenir culturel de la pensée africaine » sous la direction du Professeur Gaston Bachelard. Sa thèse complémentaire : « Qu’étaient les Egyptiens prédynastiques ?» était placée sous la direction du professeur Marcel Griaule (le révélateur du savoir scientifique des Dogons). L’audace et la témérité affichées par Cheikh Anta Diop dans cette entreprise lui valent une grande hostilité dans le milieu universitaire. Le jury ne sera jamais constitué. Mais la thèse, non soutenue, paraît en 1954, aux éditions Présence africaine et connaîtra un succès retentissant sous le titre « Nations nègres et culture – De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui ». Le livre « le plus audacieux qu’un Nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique », soulignera Aimé Césaire, en 1955, dans son « Discours sur le Colonialisme ». Tellement audacieux que très peu d’intellectuels africains, à l’époque, oseront le soutenir ouvertement ou suivre sa voie. Dans la préface à l’édition de 1979, Cheikh Anta Diop soulignera cette réalité et rendra hommage à Césaire en précisant que : « Aimé Césaire : après avoir lu, en une nuit, toute la première partie de l’ouvrage fit le tour du Paris progressiste de l’époque, en quête de spécialistes disposés à défendre, avec lui, le nouveau livre, mais en vain ! Ce fut le vide autour de lui ».

Aussi faut-il attendre vingt ans pour qu'une grande partie de ses théories se trouve confortée, à la suite du colloque international du Caire de 1974, organisé sous l'égide de l'Unesco et réunissant des spécialistes parmi les plus éminents égyptologues du monde entier. Et plus de vingt autres années pour qu'il soit pris acte de son oeuvre après sa disparition. Malgré cette hostilité en son endroit, Cheikh Anta Diop, afin de mieux affiner et défendre ses thèses, poursuit des études pluridisciplinaire, d’abord en chimie (chimie générale et chimie appliquée) à la faculté des sciences de Paris en 1950 et, ensuite, en physique nucléaire grâce à l’appui du grand physicien français Frédéric Joliot‑Curie, professeur au Collège de France. Cela lui permet d’entreprendre une spécialisation au laboratoire de chimie nucléaire de cette structure et des recherches à l’Institut du radium, en 1953. La même année, il épouse, à Paris, une Française, Louise Marie Maes, diplômée d'Etudes supérieures en Histoire et Géographie. Quatre fils naîtront de cette union. En 1956 et 1957, il se réinscrit en thèse d’État de lettres, avec un nouveau sujet. La thèse principale est intitulée : « l’étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l’Europe et de l’Afrique, de l’Antiquité à la formation des Etats modernes ». « Les domaines du matriarcat et du patriarcat dans l'antiquité classique» est le titre de sa thèse complémentaire. Après bien de vicissitudes académiques, le 9 janvier 1960, Cheikh Anta Diop soutient publiquement durant sept heures d’horloge, à l’amphithéâtre Louis Liard de la Sorbonne, sa thèse de doctorat d'Etat en lettres. Le préhistorien André Leroi-Gourhan (professeur au Collège de France) était son directeur de thèse, et son jury était présidé par le professeur André Aymard, doyen de la faculté des Lettres (spécialiste de l’antiquité grecque). Il comprenait, en outre, les éminents spécialistes suivants : Roger Bastide (Sociologue), Hubert Deschamps (ethnologue) et Georges Balandier (Africaniste). Une foule immense se déplace pour suivre les débats, sans oublier les média qui ne manquent pas de recueillir les démonstrations enthousiastes du jeune diplômé ainsi que les avis du jury. Cheikh Anta Diop déclare alors à la Radiodiffusion d’Outre-Mer : « j’ai voulu dégager d’une façon générale, l’unité culturelle africaine et d’un autre côté, animer l’histoire de tout le continent sur une période de 2 000 ans au moins ». Il ne manque pas non plus, de confirmer son désir de rentrer au pays pour servir au développement général du continent. Conscient du « danger » intellectuel que représentait Cheikh Anta Diop, une mention honorable qui lui ferme la carrière universitaire lui est attribuée. Au Sénégal, le président Senghor se chargera, par la suite, de veiller personnellement, à ce que Cheikh Anta Diop n’enseigne jamais aucune matière. C’est donc dans un contexte historique et idéologique extrêmement hostile que Cheikh Anta Diop a conduit ses recherches sur la genèse de l’humanité et de la civilisation dont les conclusions étaient aux antipodes des fondements des idées généralement admises en Occident et dominées par une vision anhistorique et atemporelle de l’Afrique.

Certains de ses amis l’avaient, du reste, mis en garde par rapport aux difficultés que son entreprise ne manquerait pas de poser. Ainsi, Marcel Griaule qui ne vivra pas jusqu’à la soutenance de sa thèse, l’avait prévenu : « Le sujet que vous vous imposez n’est rien moins que planétaire et de nombreux spécialistes vous tomberont sur le dos, comme la première fois »[3]. En effet, les membres du jury se déchaînent : « Vous vous êtes entêté, malgré mes conseils…[4] », lance le doyen Aymard, le Président de séance, même s’il concède après : « Votre œuvre, œuvre d’une pensée africaine est pour nous dans son ensemble, un travail précieux qu’on lit avec vif intérêt ». « Vous m’êtes d’une sympathie qu’il serait inutile pour moi de décrire ici, mais j’ai envie de vous boxer pour votre indiscipline[5] », tempête André Leroi‑Gourhan. « …vous êtes encore trop jeune pour traiter de questions aussi étendues. Vous avez le mérite d’avoir posé le problème de l’homme prométhéen… [6]», proteste le professeur Bastide.  La thèse sera immédiatement publiée, aux Éditions Présence Africaine sous les titres : « L'Afrique noire précoloniale » et « L'Unité culturelle de l'Afrique noire ». La même année, paraît la première édition de son livre : « Les fondements culturels, techniques et industriels d'un futur Etat fédéral d'Afrique noire ». Ce ne sera qu’à partir de 1980, après le départ du président Senghor, que la situation académique de Cheikh Anta Diop connaîtra une nette amélioration au Sénégal. En effet, en 1981, il sera enfin nommé professeur associé d’histoire ancienne à la faculté des lettres de l’université de Dakar où il enseignera et dirigera des thèses jusqu’à sa disparition. Cheikh Anta Diop décède le 7 février 1986, à son domicile de Fann, quartier situé non loin de l'Université de Dakar. Au lendemain de sa mort, son nom est donné à l’ancien Institut français d’Afrique noire (IFAN) ; en 1987, sur le vœu de l’ensemble du corps universitaire, l’université de Dakar, qui lui avait si longtemps fermé ses portes, devient l’université Cheikh Anta Diop.

 III-      L’itinéraire politique de Cheikh Anta Diop

 Deux grandes périodes marquent l’itinéraire politique de Cheikh Anta Diop. D’abord, celle du militant étudiant et intellectuel qui s’engage dans le combat anti-colonial dès son arrivée en France en 1946 où, jusqu’en 1960, il lutte pour l’indépendance de l’Afrique et du Sénégal et contribue, de façon multiforme, à la prise de conscience et à la formation politique de nombreux étudiants et intellectuels africains. Ensuite, à partir de 1961, de retour au Sénégal, c’est celle de l’homme politique qui prend le relais.

 A.  Le militant étudiant et intellectuel

 C’est en France que le parcours politique de Cheikh Anta Diop se précisera au niveau du mouvement étudiant et intellectuel. En effet, ce n’est qu’entre 1946 et 1950, après la deuxième guerre mondiale, que l’on assiste à la création des premières organisations politiques regroupant des étudiants et intellectuels d’Afrique noire pour mener des actions culturelles, politiques et syndicales. Auparavant, le nombre des étudiants africains en France était très réduit (moins d’une centaine en 1941, selon un recensement de l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF)). Parmi les plus connus on peut citer Léopold Sédar Senghor, Sourou Migan Apithy, Alioune Diop, Abdoulaye Ly, Quenum Tovalou, Marc Sankalé, etc. A cette époque, les étudiants d’Afrique noire étaient très peu organisés et cela d’autant plus que l’administration française mettait tout en œuvre pour les éloigner des milieux politiques. Cependant, vers les années 1933, il existait une amicale des étudiants ouest-africains avec à sa tête Léopold Sédar Senghor. Ses activités, essentiellement culturelles, se limitaient à des causeries littéraires. Ce n’est qu’à partir de 1946, après la deuxième guerre mondiale, que les étudiants d’Afrique noire s’organiseront véritablement en vue de mener des actions culturelles, politiques et syndicales. Ainsi, l’Association des Etudiants Africains de Paris (AEAP) sera créée en 1946. Cheik Anta Diop en est l’un des principaux initiateurs et animateurs avec Cheikh Fall et Amadou Mahtar M’Bow. Celle-ci deviendra, plus tard, l’Association Générale des Etudiants Africains de Paris (AGEAP) qui jouera un rôle déterminant dans la création de la FEANF[7]. Par la suite, plusieurs associations d’étudiants regroupées sur la base de leur territoire d’origine verront le jour. Successivement naîtront l’Association des Etudiants du Togo « Jeune Togo », en mars 1947 ; l’Association des Etudiants de la Côte d’Ivoire (AECI), en juillet 1947 ; l’Association des Etudiants Camerounais (AEC), en février 1948 ; l’Association des Etudiants Dahoméens en France (AEDF), en 1948. L’Association des Etudiants Soudanais (Soudan français) sera créée en janvier 1949. En octobre 1949, c’est l’Association des Etudiants du Gabon qui verra le jour. Le 16 juillet 1950 voit la création de l’Association des Etudiants de Haute Volta. Enfin, l’Association des Etudiants de Guinée en France naîtra en octobre 1950. Soit au total huit (8) associations territoriales légalement reconnues. Parallèlement, on assiste à des regroupements d’étudiants africains dans les académiques universitaires françaises. En 1950, on en dénombrait seize (16). A côté de ces associations, on note aussi, l’existence d’organisations politiques qui travaillaient à mobiliser les étudiants africains. On peut citer le Groupement africain de recherches et d’études politiques (GAREP) créé en 1948 par Abdoulaye Ly et ses camarades dont Solange Faladé (qui sera la première présidente de la FEANF en 1951) et l’Association des Etudiants du Rassemblement Démocratique Africain (AERDA), créée en 1949 mais légalisée seulement le 23 octobre 1950. Son programme politique affirme clairement la participation de ses membres à la lutte pour « l’émancipation politique, économique, sociale et culturelle en vue de l’indépendance nationale ».

C’est ainsi que cette Association combattra les positions des parlementaires RDA après le mot d’ordre de repli tactique de 1950. Organisée en sections dans les différentes académies, il existait en son sein deux tendances distinctes : celle des nationalistes dirigée par Cheikh Anta Diop (qui avait intégré le RDA en 1950) et qui luttait pour l’indépendance des pays africains tout en accordant une grande priorité aux problèmes culturels, de langues, d’histoire et de civilisation, et celle animée par le groupe constitué par Mamadou Ciré Dia, Babakar Niang et Abdou Moumouni qui se référait au marxisme et qui était rattachée au Parti communiste français[8]. Cheikh Anta Diop fut le secrétaire général de l’AERDA de 1951 à 1953. En 1952, pendant qu’il assurait le secrétariat général de l’AERDA, il influence de façon non négligeable les positions avant-gardiste du RDA en animant l’aile radicale et révolutionnaire de ce parti, notamment par rapport à la question de l’Indépendance politique au moment même où le parti africain le plus puissant dans la lutte anticolonialiste commence à connaître des dissensions et des problèmes politiques, à la base comme dans ses instances dirigeantes où les questions théoriques et pratiques en rapport avec la lutte pour l’indépendance politique et économique ne rencontraient pas un consensus entre les dirigeants fondateurs du RDA (Sékou Touré, Modibo Keïta, Ruben Um Nyobé, Félix Moumié, Houphouët-Boigny, Mamadou Konaté, Gabriel d’Arboussier, etc.) et cela, en dépit des vents d’espoir consécutifs à l’ascension de la révolution algérienne, sans oublier la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu, au Vietnam, devant les vagues révolutionnaires du Général Giap. C’est d’ailleurs en ces moments d’effervescence révolutionnaire que Cheikh Anta Diop se montra très actif en organisant, du 4 au 8 juillet 1951, le premier congrès panafricain des étudiants africains. La WASU (West African Student Union), basée à Londres, y participe avec une délégation de 33 personnes. Ce congrès posa le problème de l’indépendance immédiate de l’Afrique, ce qui était nettement au delà des positions du RDA. L’AERDA publiait un bulletin mensuel : « La voix de l’Afrique noire ». En février 1952, c'est dans cet organe que Cheikh Anta Diop, dans un article intitulé « Vers une idéologie politique africaine », énonce pour la première fois, en Afrique francophone, les principes de l'indépendance nationale et de la constitution d'une fédération d'Etats démocratiques africains à l'échelle continentale. Il publie l’année suivante, dans le numéro de juin 1953, un autre article intitulé : « La lutte en Afrique noire » où il dénonce l’Union française qui « quel que soit l’angle sous lequel on l’envisage, apparaît comme défavorable aux intérêts des Africains, en ce sens qu’elle impliquera toujours une exploitation unilatérale de l’Afrique par la métropole et un étouffement des aspirations légitimes d’indépendance nationale des peuples colonisés ».

Tout en travaillant sur sa nouvelle thèse, l’activité militante et politique de Cheikh Anta Diop se poursuivra intensément jusqu’en 1960, date de son retour définitif au Sénégal. Elle sera ponctuée par une importante et riche production intellectuelle. Parallèlement à son activité d’écriture, Cheikh Anta Diop donne plusieurs conférences dont celle organisée par Présence Africaine, à la Salle des Sociétés Savantes, à Paris sur le thème : « Les origines nègres de la civilisation égyptienne ». « Y a-t-il une unité culturelle de l'Afrique noire ? », est une conférence qu'il donne, les 1er et 2 juillet 1959, en clôture des Journées Africaines de Rennes organisées par la FEANF et l'Association Générale des Étudiants de Rennes (A.G.E.R.) sur le thème : "Les langues vernaculaires en Afrique noire et structures sociales de l'Afrique noire en liaison avec le problème des pays sous-développés ». En 1956, il participe au premier Congrès des Écrivains et Artistes noirs qui se déroule à la Sorbonne. Il y fait une communication intitulée : « Apports et perspectives culturels de l'Afrique » qui paraît dans un numéro spécial de la revue « Présence Africaine ».

Trois ans plus tard, en 1959, à la veille des indépendances, il participe au second Congrès des Ecrivains et Artistes noirs qui se tient au Capitole, à Rome. Sa communication porte sur l'Unité culturelle africaine qui sera publiée aussi dans un numéro spécial de « Présence Africaine ». C’est à cette rencontre qu’à l’unanimité, les participants à ce Congrès qui représentaient la crème de l’intelligentsia noire d’Afrique et de la Diaspora décidèrent « de reconnaître la validité du travail du professeur Cheikh Anta Diop[9] » et recommandent même aux chercheurs africains de poursuivre systématiquement ses pistes de recherches.  

C’est donc conscient des difficultés qui l’attendaient au pays ainsi que de la noble mission qui incombait à tous les intellectuels patriotes africains dans le cadre de l’émancipation du Continent que Cheikh Anta Diop s’exprime ainsi, peu avant son retour : « Je rentre sous peu en Afrique où une lourde tâche nous attend tous. Dans les limites de mes possibilités et de mes moyens, j'espère contribuer efficacement à l'impulsion de la recherche scientifique dans le domaine des sciences humaines et celui des sciences exactes. Quand à l'Afrique noire, elle doit se nourrir des fruits de mes recherches à l'échelle continentale. Il ne s'agit pas de se créer, de toutes pièces, une histoire plus belle que celle des autres, de manière à doper moralement le peuple pendant la période de lutte pour l'indépendance, mais de partir de cette idée évidente que chaque peuple a une histoire[10] ».

 B.  L’homme politique

 De retour au Sénégal, Cheikh Anta Diop est nommé, le 1er octobre 1960, assistant à l’Université de Dakar, où toute chaire lui est refusée, pour servir à l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) dirigé, alors, par l’honorable professeur et grand  humaniste Théodore Monod. Il poursuit son activité de sensibilisation et de conscientisation politique en prononçant plusieurs conférences qui auront un grand écho au sein de l’intelligentsia sénégalaise. Eloigné des honneurs, il vit en modeste chercheur scientifique, au laboratoire de datation au carbone 14 qu’il entreprend de créer, à partir de 1961, au sein de l'IFAN de Dakar.

Cheikh Anta Diop durant toute sa vie ne cessera, parallèlement à ses recherches pour rétablir la vérité sur le patrimoine historique et culturel de l’Afrique, de mener une vie politique très active au point où beaucoup lui reprocheront une trop grande influence de son engagement et son combat politiques sur ses théories scientifiques. L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, un ami et proche de Cheikh Anta Diop, ancien militant du RND (Rassemblement National Démocratique) créé en 1976 par Anta Diop, disait en février 2005, lors de la célébration du 19e anniversaire de la mort du savant, que la dimension politique de Cheikh Anta Diop et son travail sur les langues priment sur son œuvre scientifique. Il poursuivait ainsi : « Le deuxième aspect pour lequel nous devons être redevables, reconnaissants à Cheikh Anta Diop, c'est la dimension du politique chez lui...C'est quelqu'un qui a vécu très modestement. Il n'a jamais été obnubilé par l'argent. On n'a jamais pu le corrompre par l'argent. On n'a jamais pu le corrompre par les honneurs. Et il est mort dans la pauvreté (…) Cela, il faut le dire aux jeunes parce qu'on vit une période où les gens pensent qu'il n'y a que les valeurs matérielles qui comptent. Il y a donc chez Cheikh Anta Diop une certaine figure du politique [11]». Toujours selon Boris Diop, le chercheur a été amené à « négocier » des « virages » sur le terrain politique. « A chaque virage, on lui rappelait la lutte des classes. Probablement, il n'y croyait pas. Mais toute la jeunesse africaine était dans cette mouvance-là et pour rester collé à cette jeunesse, il lui fallait faire des compromis. Mais au fond, pour lui, le volet culturel était plus fondamental ». Cheikh Anta Diop avait choisi l'histoire, a encore souligné l'écrivain : « Il y a ceux qui sont dans la politique pour un positionnement dans l'histoire et ceux qui sont dans la politique parce que leur horizon est beaucoup plus proche. Cheikh Anta était dans un horizon plus lointain (…) Il y a des gens qui disent qu'il n'aurait pas dû faire de la politique. Pour eux, Cheikh Anta aurait dû se contenter de faire des recherches ». En réalité, la puissance révolutionnaire de Cheikh Anta Diop le menait à un isolement qu’il accepta stoïque, attendant le moment où des consciences élevées, ou des demandes de vérité historique fortes se réapproprieraient ses travaux. L’écrivain sénégalais estime, cependant, que s'il ne s’était préoccupé que de ses recherches « peut-être que nous ne serions pas en train de parler de lui. C'est ça le problème, parce que ses recherches scientifiques le conduisaient sur le terrain politique. Pour que sa pensée qui était subversive puisse se diffuser, il fallait s'investir en politique (...) Je crois que cette démarche a été payante parce que ce que les Sénégalais ne savent pas, c'est que, quand on va en Afrique centrale par exemple, Cheikh Anta Diop est considéré par les jeunes comme une espèce de Dieu. Je ne pense pas qu'il y ait un autre intellectuel sénégalais qui ait atteint une telle aura dans le reste du monde (...) Ce qui est dommage, c'est qu'on est en retard sur beaucoup d'autres pays africains en ce qui concerne l'appropriation de l'œuvre de Cheikh Anta Diop. Je n'arrive pas à comprendre cela[12] ». En fait, Cheikh Anta Diop, influencé par son milieu social farouchement opposé au système colonial, n’a cessé, depuis son jeune âge, de mener une lutte contre l’injustice et pour la liberté. Sa prise de conscience précoce des valeurs culturelles traditionnelles, son refus de la compromission et de la résignation et surtout l’exclusion de l’Afrique noire de l’histoire de l’humanité, dans un contexte de marginalisation du continent africain caractérisé par des idées obscurantistes visant à justifier et légitimer la domination politique, économique et militaire, constituèrent un facteur déterminant pour son action politique et influencèrent beaucoup l’orientation de ses recherches. A l’université comme en politique, Cheikh Anta Diop est un quasi‑dissident. Il crée, en 1961, le Bloc des masses sénégalaises (BMS), un parti politique d'opposition au régime en place dirigé par le Président Léopold Sédar Senghor. Il en est le Secrétaire général. Son activité politique lui vaut une incarcération à la prison de Diourbel de mi-juillet à mi-août 1962. En 1963, Senghor lui propose plusieurs (5) postes ministériels et de députés en échange de l’intégration du BMS à l’Union Progressiste Sénégalais (UPS), le parti au pouvoir. Cheikh Anta Diop refuse et le BMS est dissout. En 1964, son nouveau parti, le Front National Sénégalais (FNS), créé immédiatement après la dissolution du Bloc des masses sénégalaises, est à son tour dissout. Ce n’est que douze ans plus tard, le 3 février 1976, qu’il crée 1e Rassemblement national démocratique (RND). C’est alors que la loi dite « loi des trois courants » — socialiste, libéral et marxiste-léniniste — est promulguée le 19 mars 1976 et appliquée de manière rétroactive dans le but de rendre illégal le RND et l’exclure de la scène politique. Cette loi impose à l'opposition de se référer explicitement aux trois courants précités qui devaient désormais réglementer la vie politique au Sénégal. Le RND de Cheikh Anta Diop refuse de se plier à cette exigence et engage un bras de fer politico-judiciaire avec le gouvernement de Senghor pour sa reconnaissance et pour la défense des acquis démocratiques et le progrès de la démocratie au Sénégal. C’est ainsi qu’en 1977, à l'initiative du RND, une pétition demandant le retour à un multipartisme véritable au Sénégal est signée par plusieurs centaines d'intellectuels sénégalais et même étrangers. Fort de ce soutien sur le plan national et même international, le RND se maintiendra dans l’illégalité comme quatrième formation politique du pays. Il s’illustrera par sa contribution à l’essor d’un syndicat paysan (Syndicat des cultivateurs et éleveurs du Sénégal) en envoyant des étudiants à la campagne. En 1979, le gouvernement de Dakar engage des poursuites judiciaires contre Cheikh Anta Diop, qui se voit signifier l’interdiction de quitter le territoire sénégalais. La situation de Cheikh Anta Diop ne connaîtra une amélioration qu’après la démission de Léopold Sédar Senghor, en décembre 1980.

En effet, immédiatement après son départ, l'Assemblée nationale vote une loi supprimant la limitation du multipartisme. Le 7 avril 1981, le Tribunal correctionnel de Dakar met un terme aux poursuites judiciaires engagées par le gouvernement sénégalais contre Cheikh Anta Diop. Le 18 juin 1981, le RND est enfin reconnu après cinq années d'une lutte sans relâche. Elu député aux élections législatives de 1983, Cheikh Anta Diop décide de ne pas siéger à l’Assemblée nationale, accusant le pouvoir d’une ample fraude. Par son intégrité morale, son refus de toute compromission, son infatigable combat pour la reconnaissance des droits du peuple, des langues nationales et du panafricanisme, l’homme politique, comme l’a souligné Madior Diouf, secrétaire général du RND, « a largement et dignement servi l’avancée de la démocratie au Sénégal ». Malheureusement, son œuvre politique est difficilement assumée par ceux qui se présentent, aujourd’hui, comme ses héritiers politiques qui se sont scindés en trois partis politiques revendiquant chacun son héritage. Certes, il y a eu des tentatives de réunification de la famille « antaïste », mais elles ont toutes buté sur des querelles de leadership, ce qui est contraire à la philosophie de Cheikh Anta Diop qui professait de faire de la politique pour des idées et non pour des postes «…afin de transformer les fonctions politiques en postes de travail [13]».

 IV- Le Chercheur scientifique et le savant humaniste

 Toute sa vie Cheikh Anta Diop n’a cessé de mener des recherches pour l’émancipation du Continent et pour un futur meilleur de l’Afrique. Le professeur Joseph Ki Zerbo lui rendant hommage, à son décès en 1986, a affirmé que Cheikh Anta Diop, grâce à son œuvre pluridisciplinaire, a accompli une véritable « révolution copernicienne » en ce sens qu’à l’image de Copernic qui a ouvert la voie à la modernité dans le domaine de l’astronomie, il a réussi à réajuster, voire à redresser l’image de l’Afrique et des Africains en la replaçant au centre de l’histoire. Autrement dit, Cheikh Anta Diop a réussi à faire accepter et admettre, de façon universelle, un éclairage nouveau sur l’Afrique en révélant son véritable passé.

Sa traversée du désert en politique, entre 1964 et 1976, lui permettra tout en continuant d’approfondir ses recherches, de développer des activités au niveau national comme international pour mieux faire connaître et partager ses thèses. La tenue au Caire d’un colloque international sur le peuplement de l'Égypte ancienne contribuera fortement à briser le mur de silence qu’une certaine communauté scientifique tentait de dresser devant lui pour s’opposer à une large diffusion de ses thèses. C’est lors de ce Colloque, réunie sous l’égide de l’UNESCO, du 28 janvier au 03 février 1974, sur le thème : « Le peuplement de l'Egypte ancienne et le déchiffrement de l'écriture méroïtique »  qu’un certain nombre de ses positions seront reconnues et validées face à une kyrielle de spécialistes de la communauté scientifique internationale provenant de quatorze (14) nations différentes. Pour faire face à cet aréopage de savants, il n’a choisit pour l’assister qu’un seul savant africain, le professeur Théophile Obenga qui deviendra son fidèle compagnon de lutte en matière de linguistique comparée, d’égyptologie et d’historiographie africaine. La contribution très constructive des deux chercheurs africains a été reconnue par les participants et consignée dans le compte-rendu du colloque[14], notamment dans le domaine de la linguistique. Cependant, même si les débats ont révélé la persistance de désaccords importants sur l'origine anthropologique des anciens Egyptiens, la conclusion générale de ceux-ci par le professeur Jean Devisse est très révélatrice de la qualité de la contribution des deux chercheurs africains car il indique de façon amère que : « La très minutieuse préparation des communications des professeurs Cheikh Anta Diop et Obenga n'a pas eu, malgré les précisions contenues dans le document de travail préparatoire envoyé par l'UNESCO, une contrepartie toujours égale. Il s'en est suivi un véritable déséquilibre dans les discussions ».

Ce colloque a marqué une étape capitale dans l'historiographie africaine. Pour la première fois des experts africains ont confronté, dans le domaine de l'égyptologie, les résultats de leurs recherches avec ceux de leurs homologues d’autres pays, et qui plus est, sous l’autorité de l'UNESCO. La légitimité scientifique de rechercher systématiquement les liens, quels qu'ils soient, pouvant exister entre l'Egypte ancienne et le reste de l'Afrique noire a été reconnue, pour la première fois, au plan international. A l'issue du colloque, Cheikh Anta Diop appelle de ses vœux une réorientation des études égyptologiques qui doit s'accompagner d'un dialogue avec les chercheurs africains. Il l’exprime ainsi au journal Le Soleil n° 1128 de janvier 1974 : « Ce colloque peut-être considéré comme un tournant qui a permis à l'égyptologie de se réconcilier avec l'Afrique et de retrouver sa fécondité. […] Le dialogue scientifique sur le plan international est instauré et l'on peut espérer qu'il ne sera pas rompu. A la suite des débats certains participants n'ont pas manqué d'exprimer leur volonté de réorienter leurs travaux vers l'Afrique et d'intensifier leur collaboration avec les chercheurs Africains. Le fait que l'Egypte ancienne soit traitée dans le cadre de l'Histoire générale de l'Afrique, ainsi que la rédaction par Cheikh Anta Diop du chapitre I du Volume II intitulé « L'origine des anciens Egyptiens » (cf. l'Histoire générale de l'Afrique, pp. 39-72), constituent deux exemples des retombées directes du colloque du Caire. On peut même dire que les acquis du colloque du Caire provoquèrent des fissures dans le dispositif d'isolement dressé autour de Cheikh Anta Diop. La technicité du débat scientifique atteste de l’ampleur et de la qualité du travail abattu par les deux chercheurs africains. Par la suite, on notera que Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga s’attacheront, de manière plus soutenue et parallèlement à leurs recherches, à sensibiliser les Africains à l'histoire de l'Afrique avant la colonisation, aux enjeux vitaux qui lui sont associés, à faire naître des vocations, au moyen de conférences, de colloques et d’interviews en Afrique, en Europe, dans les Caraïbes, aux Etats-Unis, etc. Ainsi, au fil des années des Africains s’engageront, de plus en plus, dans la voie de l'égyptologie, tout en se heurtant, d’une part, à l’hostilité de certains milieux universitaires, notamment francophones, où une telle orientation est jugée « politiquement incorrecte » et, d’autre part, à la faiblesse des moyens matériels. En dépit de ces difficultés, une école africaine d'égyptologie s'est progressivement constituée en s’appuyant fortement sur l'importance de la connaissance de l'intérieur de l'univers négro-africain, particulièrement de la langue, de la culture matérielle, des conceptions philosophiques, religieuses et sociopolitiques. On touche là du doigt les critères mêmes que les véritables spécialistes africains de l'Afrique ancienne devront désormais satisfaire. Les retombées du Colloque du Caire sont énormes et entraineront le savant sénégalais dans une intense activité intellectuelle. Il marquera de son empreinte un grand nombre de rencontres internationales qui lui offriront l’occasion d’exposer et de défendre ses thèses tout en lui permettant de contribuer de façon significative à l’enrichissement du patrimoine historique et culturel de l’humanité et de l’Afrique.  Ainsi, il donne, du 8 au 13 mai 1984 à Niamey au Niger, une série de conférences à l'invitation du Gouvernement nigérien. Le 7 juin 1985, il prononce, au Centre Georges Pompidou de Beaubourg, à Paris, une conférence portant sur « L'importance de l'ancienne Egypte pour les civilisations africaines » dans le cadre des « Journées des Cultures Africaines » organisées par l'Association Kaléidoscope et le Service des Affaires Internationales du Ministère français de la Culture. Cette intense activité intellectuelle et scientifique lui vaut une grande notoriété et la reconnaissance de ses mérites à travers le monde. Ainsi, aux USA, le 4 avril 1975, l'association « The African Heritage Studies Association » lui décerne une plaque commémorative pour sa contribution à la préservation et au développement de la vie et du patrimoine des peuples d'origine africaine dans le monde. Le 25 février 1980, l'Université nationale du Zaïre lui décerne la Médaille d'Or de la recherche scientifique africaine et le Grand Prix du Mérite scientifique africain. Invité à Atlanta aux USA, en 1985 ; Cheikh Anta Diop est reçu et fait Docteur Honoris Causa à Morehouse University (où étudia notamment Martin Luther King) par l'Association Martin Luther King et en présence du maire d’Atlanta Andrew Young. Pendant son séjour, il prononce plusieurs conférences et réalise plusieurs interviews. Le 4 avril 1985 est proclamé « Dr. Cheikh Anta Diop Day [15]». Jusqu’à son dernier souffle, il n’a cessé de se battre pour faire mieux connaître et partager ses idées sur l’Afrique et son devenir. Sa dernière conférence, il la donne le 8 janvier 1986 au Palais des Congrès de la capitale camerounaise alors qu’il présidait, du 6 au 9 janvier, le Colloque sur l'Archéologie camerounaise. Le thème était : « La Nubie, l'Egypte et l'Afrique noire ».

 V- Le combat de Cheikh Anta Diop pour la restauration de la conscience historique africaine par une reconstitution scientifique et critique du passé

 La production intellectuelle de Cheikh Anta Diop est non seulement exceptionnellement prodigieuse, mais encore, ses travaux révèlent une remarquable unité. On peut les regrouper en trois catégories et perspectives majeures. D’abord une perspective anthropologique que l’on trouve dans « Nations Nègres et Culture » (1954) ; « Antériorité des Civilisations Nègres » (1967) et « Civilisations et Barbarie » (1981). Ensuite, une approche historique que l’on retrouve de façon significative dans « L’Unité Culturelle de l’Afrique Noire »  et dans « L’Afrique Noire Précoloniale » (1960) ; mais aussi, dans « Nations Nègres et Culture » (1954) et « Antériorité des civilisations nègres » (1967). Enfin, une perspective politique qui constitue l’épine dorsale de l’ouvrage intitulé : « Les Fondements Culturels, Techniques et Industriels d’un Etat Fédéral d’Afrique Noire » (1960). Ces trois perspectives, dans le travail de Cheikh Anta Diop, traduisent deux positions majeures par rapport auxquelles il s’est clairement prononcé et qui amènent ses lecteurs soit à le vénérer ou à le haïr. La première est à la fois anthropologique et historique dans sa nature et se résume aux quatre points suivants :

1- L’humanité est divisée en trois races qui ont une origine commune ;

2- Le premier homme était noir, y compris l’Australopithèque, l’Homo erectus et l’Homo sapiens ;

3- Les mutations sont survenues plus tard ;

4- La civilisation égyptienne était noire.

La seconde découle d’un développement logique de ses recherches sur les plans anthropologique et historique. Il estime, en effet, que si l’Afrique veut occuper une place respectable dans le concert des nations, elle doit réaliser son unification politique. L’examen de deux de ses œuvres, considérées comme ses textes de base et que ses ouvrages ultérieurs viendront préciser et approfondir, nous permettra de mieux saisir ses thèses fondamentales. Il s’agit de : « Nations nègres et Culture » (Paris, Présence Africaine, 1954) et des : « Fondements culturels, techniques et industriels d'un futur État fédéral d'Afrique noire » (Paris, Présence Africaine, 1960). 

  1. « Nations nègres et culture » ou la restauration de la conscience historique africaine

 L’ouvrage de Cheikh Anta Diop paraît à un moment où un grand nombre d’intellectuels, d’anthropologues et d’historiens africanistes, d’égyptologues, de philosophes, etc., pour la plupart français et occidentaux, sont encore pétris de terribles préjugés sur l'infériorité de la race noire, sur le prélogisme de la mentalité primitive et l'exclusion du monde africain noir de l'histoire universelle. Cheikh Anta Diop va prendre le contre-pied théorique de ce milieu solidement établi dans l'enceinte même de l'université française. Il y fait la démonstration que la civilisation de l'Egypte ancienne était négro-africaine, justifiant les objectifs de sa recherche en ces termes : « L'explication de l'origine d'une civilisation africaine n'est logique et acceptable, n'est sérieuse, objective et scientifique, que si l'on aboutit, par un biais quelconque, à ce Blanc mythique dont on ne se soucie point de justifier l'arrivée et l'installation dans ces régions[16] ».

Si l'ouvrage dérange, c'est non seulement parce que Cheikh Anta Diop propose une « décolonisation » de l'histoire africaine, mais aussi parce que le livre fonde une « Histoire » africaine à partir de l’analyse de l'identification des grands courants migratoires et la formation des ethnies, de la délimitation de l'aire du monde noir qui s'étend jusqu'en Asie occidentale, dans la vallée de l'Indus et de la démonstration de l'aptitude des langues africaines à supporter la pensée scientifique et philosophique. En redonnant une histoire, une conscience historique aux Africains, il souhaite surtout rétablir leur dignité. Cependant, il ne faudrait pas se tromper de combat en s’arc’boutant sur les idées de Cheikh Anta Diop pour prouver l'intelligence et les mérites de l'Homme noir face au reste de l'humanité. Il s’agit plutôt pour lui de lever le voile obscurci par des années de mensonge d’une certaine intelligentsia, de scientifiques et penseurs occidentaux sur l’histoire de l’Afrique.

 A.1 L’origine nègre de la civilisation égyptienne

 Cheikh Anta Diop s’est attelé toute sa vie et à travers toutes ses œuvres à démontrer que sans s’appuyer sur l’affirmation de leur personnalité et sans travailler à la réappropriation de leur conscience historique, les Africains n’arriveront jamais à s’émanciper totalement de la domination politique, économique et culturelle étrangère. C’est ainsi que toute l’œuvre historique de Cheikh Anta Diop s’organise autour de cette thèse centrale, à savoir que l’ancienne civilisation égyptienne fut une civilisation nègre. Ainsi, remontant à l’origine nègre de la civilisation égyptienne, Cheikh Anta Diop rétabli la continuité historique de l’Afrique et abouti à l’unité culturelle du Continent. Outre les objections scientifiques, cette thèse souleva de vives protestations : « tout simplement, parce qu’il s’agit d’un peuple noir qui a créé une civilisation»[17], estime Cheikh Anta Diop qui précise en même temps que les Grecs contemporains des Egyptiens étaient conscients du caractère nègre de ceux-ci. Les témoignages de grands érudits comme Hérodote, Strabon, Solon, Diodore de Sicile et bien d’autres anciens auteurs[18], l’attestent clairement. Du reste, quelques européens comme le savant français Volney qui voyagea en Egypte entre 1783 et 1785, l’architecte, archéologue et égyptologue français Emile Amélineau, le dessinateur, graveur et artiste Dominique Vivant Denon qui accompagna Bonaparte dans l'expédition d'Egypte (1798-1799) se sont également rendus compte de ce que Cheikh Anta Diop estime être une évidence. C’est dans son ouvrage « Nations nègres et culture » que Cheikh Anta Diop a fait ressortir et a analysé tous ces témoignages anciens oubliés ou sciemment écartés par les savants européens qui pendant cent cinquante ans d’érudition, ont réussi à imposer au monde entier un ensemble de mythe travestissant la réalité et niant le rôle civilisateur de la race noire. Ainsi, prit naissance, le « mythe chamite », théorie selon laquelle tout phénomène de civilisation du Continent noir serait dû, en dernière analyse, à la race chamite, dont on a fait une race caucasienne, donc blanche. Mais, Cheikh Anta Diop se demande pourquoi cette prétendue race chamite serait-elle blanche alors que la racine contenu dans Cham signifie en hébreu, en égyptien et même en ouolof, noir charbonné, chaleur[19]. Ce qu’on arrive pas à comprendre, au contraire, c’est comment on a pu faire des « Chamites » une race blanche. Ou, plutôt, nous dit Cheikh Anta Diop, on ne le comprend que trop bien. En effet, « suivant les besoins de la cause, Cham est maudit, noirci, et devient l’ancêtre des nègres. C’est le cas chaque fois que l’on parle de relations et des questions sociales. Mais il est blanchi chaque fois que l’on cherche l’origine de la civilisation parce qu’on le trouvera là, habitant le premier pays civilisé du monde. C’est alors qu’on imagine la notion de Chamites orientaux et occidentaux qui n’est autre chose qu’une invention commode, pour enlever aux Nègres le bénéfice moral de la civilisation égyptienne et des autres civilisation africaines[20] ». Ainsi donc, à en croire les défenseurs du mythe chamite, « c’est en vain qu’on chercherait, jusqu’au cœur de la forêt tropicale, une seule civilisation qui, en dernière analyse, serait l’œuvre de Nègres. Les civilisations éthiopiennes et égyptiennes, malgré le témoignage formel des Anciens, celles d’Ifé et du Bénin, celle de Ghana, toutes celles dites néo-soudanaises (Mali, Gao, etc.) seraient l’œuvre des Blancs[21] ». C’est pourquoi, pour combattre l’ensemble des théories élaborées par la science occidentale, il importe pour Cheikh Anta Diop, en tout premier lieu, de prouver, d’une manière irréfutable, l’origine nègre de la civilisation égyptienne. C’est ce à quoi, il se consacre dans la première partie de « Nations nègres et culture ». Plus tard, en 1962, Cheikh Anta Diop publiera, dans le Bulletin de l’IFAN, une longue étude sur ces questions. Il y reprend les points les plus attaqués de ses thèses en les approfondissant et en se fondant sur de nouveaux éléments. En effet, nous entrainant dans les représentations humaines de la préhistoire, il s’emploie à nous convaincre qu’elles relèvent de personnages indubitablement nègres ; que la nature nègre de l’Egyptien s’est maintenue à travers toute l’histoire égyptienne pharaonique ; qu’elle ressort également de l’examen scientifique des momies dont l’épiderme atteste la pigmentation qui caractérise le Nègre. Et Cheikh Anta Diop d’affirmer : « de la préhistoire à Cambyse, l’Egypte est peuplée de Nègres métissés à des degrés divers sans que ce métissage ait jamais atteint une ampleur suffisante pour provoquer un bouleversement des constantes raciales[22] ».  Du reste, si les Egyptiens avaient été de race blanche, ils n’auraient pas reproduit en noir le dieu Osiris, leur ancêtre[23]. En réalité, la thèse sur l’origine nègre des Egyptiens chez Cheikh Anta Diop a pour but d’établir ou de rétablir la continuité historique de l’Afrique et l’unité culturelle du Continent.

 A.2 La continuité historique de l’Afrique : La préhistoire et l’Antiquité

 Après avoir constaté que les efforts des savants européens pour reconstituer le passé de l’Afrique n’ont jamais abouti à rattacher la culture africaine à une souche quelconque, Cheikh Anta Diop recommande au chercheur africain de s’armer au départ d’une certitude : à savoir que sa culture « n’est pas une création spontanée et ne peut être que la continuation d’une culture antérieure dont la détermination doit être l’objet de ses recherches[24] ». Pour réfuter la prétendue supériorité de la race blanche bâtie autour du « mythe chamite », théorie selon laquelle tout phénomène de civilisation du continent noir serait dû, en dernière analyse, à la race chamite, Cheikh Anta Diop interroge la préhistoire et remonte jusqu’à l’origine de l’humanité. L’homme moderne, Homo sapiens sapiens (homme deux fois sages) est indubitablement apparu en Afrique, Il n’a acquis son potentiel d’émigration hors d’Afrique que depuis seulement 40.000 ans à la faveur d’une période de réchauffement pendant la glaciation de Würm, quatrième glaciation du pléistocène apparue il y a 100.000 ans.

Tous les savants s’accordent aujourd’hui sur ces faits ainsi que sur le rattachement de l’homo sapiens au type négroïde. Selon Cheikh Anta Diop : « Chronologiquement, c’est cette race de Grimaldi que l’on trouve d’abord, à l’exclusion de toute race blanche, jaune ou autre ». Il sortit d’Afrique il y a 40.000 ans et évoluera dans un processus d’adaptation au milieu pour donner naissance à l’homme de Cro-Magnon, le premier spécimen d’homo sapiens de race blanche, il y a environ 20.000 ans. C’est ainsi que s’est réalisé le processus de leucodermisation de l’humanité nègre en environnement glaciaire. Les races humaines sont donc en toute rigueur d’origine glaciaire avant de devenir une problématique idéologique. Le blanc est sorti du noir dans les mêmes grottes, dans une région de très grand froid. De nos jours ces données sont irréfutables sur le plan scientifique. En effet, les techniques de datation actuellement en vigueur en paléontologie humaine situent l’homme de Cro-Magnon au solutréen, c'est-à-dire il y a seulement 20.000 ans. Il faut donc reconnaître « en toute objectivité que le premier homo sapiens était un « négroïde ». D’autres spécialistes confirment aussi cette analyse. Ainsi, Ki Zerbo écrit : « Pour l’ethnologue préhistorique, il semble qu’il y a 20.000 ou 30.000 ans, la race noire était de beaucoup la plus répandue dans le monde, que son aire géographique s’étendait de la Corée aux rives du Danube et du sud de l’Inde aux rivages méditerranéens en couvrant également la totalité du continent noir[25] ». Ce n’est donc pas pour rien que l’on a appelé l’Afrique « le continent noir ». Il poursuit ensuite en ces termes : « Nous devons remonter à nos sources et jusqu’aux plus lointaines. Je pense ici à ce qu’on peut appeler la question d’Egypte et même la bataille d’Egypte. Deux questions se posent ici. D’abord la parenté entre l’Egypte et l’Afrique noire actuelle. Les témoignages de cette parenté pullulent et tous sont prêts à les admettre. Alors se pose la deuxième question, celle de l’antériorité et du sens du courant d’influence. Alors certains égyptologues mettent le véto. C’est le mérite de Cheikh Anta Diop d’avoir, après les historiens et savants comme Hérodote, Volney, Amélineau, accumulé les preuves tendant à identifier les Egyptiens comme d’authentiques nègres[26] ». Léopold Sédar Senghor, lui-même, au 2ème Congrès des Ecrivains et Artistes noirs en 1959, à Rome, s’écrira : « Qu’étaient l’Europe au quatrième millénaire avant Jésus-Christ, quand florissait la civilisation égyptienne – pour ne pas parler de la dravidienne qui recouvrait l’Inde ? La plupart de ses peuples n’étaient alors, aux dires des historiens anciens, que des hordes nomades ».

 A.3 L’unité culturelle de l’Afrique

 Après avoir atteint son premier objectif qui est d’établir la continuité historique de l’Afrique à travers l’analyse des rapports entre l’Egypte et l’Afrique, Cheikh Anta Diop recourt à une nouvelle thèse pour fonder l’unité culturelle africaine. En effet, selon lui, pour « établir la contribution africaine au progrès du monde », il entend procéder « par une simple méthode comparative en partant des traits fondamentaux de la culture africaine et en tenant compte de la chronologie[27] ». Il envisage donc la civilisation africaine en la comparant à celle de l’Europe et en la jugeant selon les critères occidentaux. C’est donc sous cet angle qu’il faut envisager les thèses de Cheikh Anta Diop sur le matriarcat et le patriarcat à partir de leurs « berceaux » respectifs à savoir : le « berceau méridional » et le « berceau nordique ». Son objectif, ici, étant de réfuter le mythe chamitique qui, selon le sociologue américain Saint-Clair Drake, ancien conseiller du président Kwamé N’Krumah, peut être défini comme  « un dogme qui soutient que les peuples noirs du continent, agriculteurs pour la plupart, étaient biologiquement inférieurs aux pasteurs nomades d’origine plus particulièrement caucasienne, qui erraient sur tout le continent, conquérant et répandant leur culture et leurs gènes supérieurs[28] ». Ce mythe né à l’époque du gobinisme est basé sur l’affirmation d’une supériorité chamite associée au mode de vie nomade et regroupant des pasteurs « d’un type physique supérieur et ayant un plus grand courage moral que les noirs ordinaires », sur le mode de vie sédentaire et agricole des noirs inférieurs de « basse condition ». La théorie de Cheikh Anta Diop sur le matriarcat et le patriarcat semble être la réplique exacte de ce mythe –réplique inversée – à l’avantage des noirs.

Dans son argumentation, Cheikh Anta Diop réfute successivement les thèses de Bachofen présentées en 1861 dans son livre intitulé « Das Muterrecht » (Le Droit de la mère) puis celles de l’américain Morgan (le père de l’anthropologie) développées dans son ouvrage « Systems of consanguinity and affinity of the human family » (1871) et enfin, il critique les thèses de Friedrich Engels qui a repris une partie des théories développées par Morgan et qu’il a précisé dans son ouvrage « l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat » (1884). Cheikh Anta Diop examine d’abord la théorie de Bachofen selon laquelle tous les peuples se sont élevés, peu à peu, du stade du matriarcat à celui du patriarcat. Considérant ainsi le matriarcat dans une perspective évolutionniste, celui-ci représente un état inférieur par rapport au patriarcat. Aussi, Bachofen conclut que, pour l’ensemble de l’humanité, le passage de l’un à l’autre marque une véritable ascension spirituelle. Cheikh Anta Diop conteste cette théorie. Pour lui, le matriarcat, loin d’être un stade évolutif de toute l’humanité, de même que le patriarcat, peuvent être localisés dans des régions bien déterminées et sont, l’un et l’autre, caractéristiques de deux types différents de civilisation. Il affirme en étayant son argumentation sur des données archéologiques selon lesquelles l’humanité s’est trouvée scindée à une époque en deux « berceaux » géographiquement bien distincts à savoir : les steppes eurasiatiques propices à la vie nomade (berceaux des peuples indo-européens) et les régions méridionales du globe, en particulier l’Afrique, propices à l’agriculture et à la vie sédentaire (berceaux des peuples noirs). Continuant dans son développement Cheikh Anta Diop étaye ses thèses à partir d’une étude comparative des structures politiques et sociales des deux « berceaux » qui relève assurément des spécialistes et dont certains aspects suscitèrent même l’admiration de son jury de la Sorbonne, notamment son analyse portant sur le mythe prométhéen (« Vous avez le mérite d’avoir posé le problème de l’homme prométhéen… » avait reconnu, le professeur Bastide) ainsi que sur le mythe originel des juifs, deux conceptions fondamentales du berceau nordique. L’exposé des théories de Cheikh Anta Diop sur le matriarcat et le patriarcat et leurs domaines respectifs peut être considéré comme une sorte d’ « anti-mythe » chamite où les nomades conquérants de race caucasienne sont dépouillés de tous leurs avantages au profit des agriculteurs sédentaires africains. Cela autorise Cheikh Anta Diop à interpréter l’histoire dans le sens d’une supériorité du « berceau méridional » sur le « berceau nordique ». Se basant sur une méthodologie historique qui se veut à la fois comparative et chronologique, Cheikh Anta Diop ne se contente pas seulement d’établir, pour l’histoire africaine, un schéma chronologique pareil à celui de l’histoire occidentale – ce qui la situe sur un pied d’égalité avec elle – elle lui permet encore d’affirmer, en annexant l’Egypte et l’Afrique noire, l’antériorité de l’histoire africaine sur l’histoire européenne. Et c’est là qu’intervient, comme l’a souligné Joseph Ki Zerbo (cf. « Histoire et conscience nègre », P.A., 16, 1957, 67-68), la question « du sens du courant d’influence ». Sur ce point, Cheikh Anta Diop recourt aux très nombreux témoignages de savants grecs sur les emprunts que la Grèce fit à l’Egypte, emprunts que nul, même parmi ses plus farouches contradicteurs, ne lui conteste. Pour Cheikh Anta Diop, l’influence de l’Egypte sur la Grèce ne souffre d’aucun doute car depuis les temps historiques, bien des grecs firent le voyage d’Egypte. Comme le rapporte Platon dans la Timée, Solon vint chez les prêtres égyptiens et reconnut auprès d’eux son ignorance. Ceux-ci s’en étonnèrent et jugèrent ces Grecs comme de jeunes barbares sans traditions culturelles, ainsi que le rapporte Platon : « Solon, Solon, vous autres Grecs, vous êtes toujours des enfants … Que veux-tu dire, demanda Solon ? – Vous êtes jeunes d’esprit, répliqua le prêtre égyptien, car vous ne possédez nulle tradition vraiment antique, nulle notion blanchie par le temps ». Platon lui-même, accompagné d’Eudoxe, séjourna treize ans en Egypte. Strabon rapportera plus tard qu’on montrait encore à Héliopolis la chambre où ils avaient habité[29]. On peut aussi verser au dossier de l’influence égyptienne sur la Grèce ce témoignage pathétique de Thalès de Milet dans un monologue sur les bords du Nil en l’an 564 AC : « Après seize années passées à m’instruire, j’ai quitté l’Egypte ; j’avais trente ans alors, je ne croyais plus la revoir ; mais j’ai voulu accompagner Solon qui vient ici pour la troisième fois (…) je viens vous voir encore avant de mourir, à l’âge de 70 ans, sombres Pyramides, et toi, Nil, qui coule, mystérieux comme le monde, sans que l’on sache d’où tu es sorti ! Voilà donc ces lieux qui ont attiré ma jeunesse, et qui m’appellent encore au déclin de ma vie. Je croyais que ce sol, qui s’éleva le dernier du sein des eaux, que ces vieux monuments de Memphis avaient une voix pour raconter l’origine de l’univers et la naissance du premier homme[30] ». Il faut admettre qu’il est difficile de mettre en doute le témoignage oculaire de tous ces savants, érudits et voyageurs grecs. Tout cela prouve clairement que leur source était l’Egypte. Et Cheikh Anta Diop d’affirmer : « la lignée est évidente ou presque de Thalès à Pythagore, Démocrite, Platon et Eudoxe, tous ceux-là mêmes qui ont créé l’école scientifique et philosophique grecque et qui passent pour les inventeurs universels des mathématiques, apparaissent à la lumière des faits qui précèdent, selon les témoignages de leurs propres nationaux qui font autorité aujourd’hui dans tout autre domaine, comme des disciples formés à l’école des prêtres égyptiens …. Même en faisant à la critique des textes toute la part qu’elle mérite, on peut supposer que si Platon, Eudoxe, Pythagore restèrent en Egypte de treize à vingt ans, ce n’était pas que pour apprendre des recettes[31]». Du reste, Cheikh Anta Diop établit un parallèle entre la situation actuelle de nos pays sous-développés et celle de leurs anciennes métropoles en ces termes : « il ne vient pas à l’idée d’un ressortissant de ces pays, quel que soit son nationalisme, de contester le fait que la technique moderne s’est diffusée à partir de l’Europe dans le monde entier. Les chambres d’étudiants africains dans les cités universitaires de Paris, de Londres, etc., sont comparables à tous points de vue à celles d’Eudoxe et de Platon à Héliopolis, et l’on pourra bien les montrer à des touristes africains d’après l’an 2000 [32]». La conclusion de tous ces développements s’impose avec évidence : à l’origine du « miracle grec », fondement de la culture européenne, il y a l’Egypte. L’antériorité de la culture africaine sur la culture occidentale est ainsi établie.

A partir de la conclusion de ses développements, Cheikh Anta Diop pense être ainsi parvenu à réaliser son grand dessein, à savoir que ses deux thèses principales, portant l’une, sur l’origine nègre de la culture égyptienne et l’autre, sur l’opposition fondamentale des civilisations issues du matriarcat et du patriarcat, constituent la démonstration de la continuité de l’histoire et l’unité culturelle de l’Afrique noire. Mieux, non seulement, Cheikh Anta Diop a réhabilité les « agriculteurs africains », en contestant le rôle civilisateur, sinon l’existence même, des « chamites nomades », mais encore, son édifice historique conteste à la race blanche son monopole de civilisation.  Il précise ainsi son point de vue : « Les Indo-Européens n’ont jamais créé de civilisations dans leurs berceaux primitifs, c'est-à-dire, les steppes eurasiatiques. Les civilisations qu’on leur attribue sont indubitablement situées au cœur des pays nègres, sur la partie méridionale de l’hémisphère nord : Egypte, Arabie, Phénicie, Mésopotamie, Elam, Inde. Dans tous ces pays, il y avait déjà des civilisations nègres au moment où les Indo-Européens y arrivèrent au cours du second millénaire à l’état de nomades frustres ». Cela l’histoire occidentale ne veut pas le reconnaître, au contraire : « Le procédé consiste à démontrer que se sont ces populations à l’état sauvage qui ont apporté dans leur ébranlement tous les éléments de la civilisation et les ont introduits partout où elles ont été. La question qui vient à l’esprit est : pourquoi tant d’aptitudes créatrices ne se manifestent-elles qu’au contact avec les noirs et jamais dans le berceau primitif des steppes eurasiatiques ? Pourquoi ces populations n’ont-elles pas créé la civilisation chez elles ?[33] ».

Aujourd’hui, le livre du savant, historien et philosophe de l’histoire sénégalais est plus que cinquantenaire. Depuis sa parution en 1954 à Présence africaine, il a connu quatre rééditions sans que l’auteur n’y apporte la moindre modification. Dans la préface de l’édition de 1979, il justifie cela en ces termes : « Il ne nous a pas paru utile de perfectionner ce livre de départ, au cours de ses rééditions successives. Il doit rester tel qu’il est, comme témoin de nos premiers efforts pour cerner les problèmes africains. Le développement des thèses et les diverses améliorations se trouvent dans les ouvrages antérieurs tels que Antériorité des civilisations Nègres : mythe ou vérité historique ? Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines[34] ». Par la portée de son questionnement, l’ambition de «Renaissance africaine» au seuil duquel elle porte le débat, cette œuvre a passé le temps et est devenue un classique et un incontournable des œuvres intellectuelles négro-africaines. « Nations nègres et culture » est une puissante oeuvre scientifique qui explore et développe des thématiques majeures que la recherche scientifique a depuis lors corroborée ou a retenu comme objet de ses préoccupations majeures : l’origine africaine de l’Homme, l’antériorité des civilisations africaines (industries, arts, organisations, écriture, etc.), l’appartenance de l’Egypte antique à l’Afrique noire, les grandes migrations et la formation des ethnies africaines, etc. La dimension universelle de l’ouvrage est affirmée dans la démonstration de la contribution africaine à l’évolution des civilisations humaines dans les domaines des mathématiques, de la médecine, des lettres, de la philosophie, de l’architecture, de l’astronomie, etc. Cheikh Anta Diop ne parle pas de peuples mais de « Nations nègres et culture » car l’expression peuple africain, pour lui, manque de précision alors que le concept de Nations et culture rend mieux comme le précise Jean Fonkoué : « l’idée de l’assimilation et de la présence des réalisations de la science, de la culture, de la technique et du progrès matériel dans l’histoire et la culture africaines d’origine égyptienne[35] ». La réflexion de Cheikh Anta Diop est consciente de son caractère révolutionnaire et attaque les préjugés et l’idéologie dominante, à savoir, l’eurocentrisme et la pensée raciste rationalisée depuis Gobineau et par la grande majorité des anthropologues africanistes européens et occidentaux. Avec « Nations nègres et culture », cette conception tombera de son piédestal intellectuel et sera l’objet d’une constante déconstruction. Cependant, bien de survivances des idéologies n’ayant vu l’Afrique que sous le prisme des esprits prélogiques, et les africains de primitifs incapables de rapport au rationnel, demeurent. Pis, cette conception a été inculquée à des africains qui ne s’en sont pas encore complètement départis. « Nations Nègres et Culture » traduit le dessein que l’auteur assigne à l’histoire, aux sciences sociales et à la réflexion des africains : produire une érudition, bâtir un corps d’humanités classiques d’élites au service de la Renaissance africaine, en vue d’une indépendance portée vers un état fédéral africain. Ce projet qui constitue le fil directeur de l’investissement du savant, l’amène à rechercher les continuités historiques reliant l’Afrique antique à l’Afrique coloniale. En exhumant une véritable histoire africaine et une juste interprétation du passé l’Afrique cesse dès lors d’être le parent pauvre de l’histoire, de la civilisation, de la science, de l’abstraction, de l’innovation sociale et organisationnelle. Le nègre se trouve désormais en compagnie des pharaons bâtisseurs des pyramides, des grands empires du Ghana, du Mali, de Zimbabwe. Le patrimoine africain ainsi expurgé de la chape de plomb des préjugés dévalorisants prend désormais une attractivité extrêmement mobilisatrice. « Nations nègres et culture » a connu un mouvement d’excitation collective et de passion communicative que peu d’ouvrages de réflexions et d’œuvres intellectuelles négro-africaines pourraient revendiquer. En effet, l’écriture diopienne est celle de la conscience historique africaine et de sa restauration. Elle démonte, démontre en même temps qu’elle interpelle. Embrassant l’Afrique pré-coloniale jusqu’aux civilisations antiques d’Egypte, d’Ethiopie, de Nubie, de Zimbabwe, l’ouvrage de Cheikh Anta Diop rapproche tout le substrat négro-africain du continent africain. Les Afro-descendants des Caraïbes et des Amériques ont, à la suite de ses travaux et de ceux de ses disciples, réinvesti le champ de l’histoire et de leurs origines africaines. Il est un fait établi aujourd’hui aussi que dans de nombreux pays africains la jeunesse commence à s’engouffrer dans le créneau ouvert par Cheikh Anta Diop. On assiste en effet, à un regain de dynamisme des Clubs, cercles d’études et d’Associations comme les Générations Cheikh Anta Diop dans plusieurs pays africains (Niger, Mali, Sénégal, Burkina Faso) et qui, au-delà même de l’étude et de la réflexion sur les thèmes d’étude du savant sénégalais, développent des activités diverses (conférences, colloques et initiations au hiéroglyphes, ciné-débats, articles et émissions dans les médias, etc.) sur la problématique de la souveraineté véritable de la plupart des pays africains et sur celle de l’unité du Continent.

Au niveau même de l’ensemble du Continent, le succès, de plus en plus perceptible, du concept de « Renaissance africaine » et les débats qu’il suscite témoigne de l’intérêt manifeste des élites nouvelles par rapport à cette question. En effet, ce concept que Cheikh Anta Diop avait déjà formulé dès 1948 (cf. l’article : « Quand pourra t-on parler d’une renaissance africaine » paru dans la revue le Musée Vivant, n° spécial 36-37, Nov. 1948, pp 65-97) est maintenant revisité par certains nombre de chercheurs et même par des structures de recherche en Afrique comme dans la diaspora en faisant appel aux valeurs culturelles africaines et en mettant l’accent sur le développement des langues africaines qui est une condition préalable pour une vraie renaissance selon Cheikh Anta Diop.

Le courant de pensée qui s’exprime à travers ce concept repose sur la conviction que le continent africain possède des ressources nécessaires à son développement, qu’il est possible de lutter contre les fléaux qui le minent et que la corruption peut être enrayée, à condition de favoriser l’instauration ou le renforcement des structures démocratiques. Ainsi, la Renaissance Africaine doit permettre une éclosion des valeurs culturelles et des systèmes de connaissance et des savoirs locaux, un dynamisme des langues africaines. L'éducation dans cette optique doit participer à libérer les enfants, les jeunes et les adultes de la subordination mentale et psychologique consécutive à plusieurs siècles de domination et de soumission. Peut-on mieux traduire que ce concept les différentes thématiques développées par Cheikh Anta Diop dans son œuvre ? Assurément non. C’est un fait extrêmement très rare, sinon unique, que les recherches d’un universitaire africain, de surcroît marginalisé par les institutions dominantes (même en Afrique) et évoluant dans un contexte à la limite de l’hostilité, aient pu s’imposer progressivement sur plusieurs continents (Afrique, Amérique, Europe, etc.) et même à s’imposer comme une référence et un modèle d’inspiration pour l’intelligentsia et la jeunesse africaine.

L’impact des thèses de Cheikh Anta Diop aura réussit, en partie, à retourner ce que des siècles de déportation avaient fait passer pour irréversible : la séparation et l’éparpillement physique et mental des Africains et des Afro-descendants. C’est pourquoi un des grands mérites de la révolution introduite par les travaux de Cheikh Anta Diop est d’avoir fécondé la révolution afro-centrique qui a favorisé un recentrage psychologique et intellectuel des Africains et Afro-descendants sur l’Afrique, ses valeurs et sa culture, à partir d’une base anthropologique scientifique et un questionnement philosophique rigoureux. Ainsi, la propagation des idées afro-centristes dans la presse, dans les milieux académiques, dans la musique et à l’occasion de divers événements culturels a été un pas décisif dans la libération des esprits et l’affranchissement des systèmes de valeur et des modèles imposés par l’idéologie de la « suprématie » occidentale. C’est dans cette dynamique que se situe le couturier et styliste burkinabé Pathé Ouédraogo (l’habilleur de Nelson Mandela) quand il condamne la tendance trop poussée des africains, particulièrement des élites, à s’habiller à l’occidental et à consommer étranger, alors que le continent regorge de ressources et de matières premières comme le coton qui malheureusement, sont presque totalement exportées et transformées à l’extérieur, pour revenir mener une concurrence féroce et injuste à la maigre production intérieure, notamment du secteur vestimentaire si l’on s’en tient au coton. Pour lui, les africains doivent rester eux mêmes car c’est par la prise de conscience nette de leur patrimoine culturel et historique qu’ils pourront se forger une personnalité africaine débarrassée de toute forme d’aliénation. C’est aussi ce système que Bob Marley dénonce sous le terme de Babylone (Le thème de Babylone, dans la culture reggae et rastafari, désigne l'occident matérialiste). Mieux que les politiciens africains, ce chanteur et guitariste de reggae jamaïcain, avec sa célèbre composition Africa Unite contenu dans l’album Survival, sortie en 1979, a fait comprendre aux masses populaires africaines la nécessité d’une Afrique unie. Tout comme Cheikh Anta Diop, Marley a dénoncé la falsification de l’histoire africaine. Chantre de l’unité africaine, Bob Marley est resté attaché à l’Afrique jusqu’à son dernier souffle. Son engagement politique et culturel a fait de nombreux émules en Afrique au sein de la jeunesse, notamment au niveau des artistes. Un des plus dignes représentants de cette génération d’artistes est le chanteur de reggae ivoirien Doumbia Moussa Fakoly plus connu sous le nom de Tiken Jah Fakoli. Dans ses chansons (cf. Cours d’histoire ; Mangercratie ; Françafrique, etc.) il affirme faire de la musique pour « éveiller les consciences » et pour dénoncer les injustices, l’oppression des peuples, le colonialisme et le néo-colonialisme comme l’atteste ce refrain :

«  Après l'abolition de l'esclavage
Ils ont créé la colonisation
Lorsque l'on a trouvé la solution,
Ils ont créé la coopération
Comme on dénonce cette situation.
Ils ont créé la mondialisation.
Et sans expliquer la mondialisation,
C'est Babylone qui nous exploite
»

Dans la même lancée, les rappeurs sénégalais et burkinabé Awadi et Smokey se positionnent aussi, en Afrique de l’Ouest, comme des leaders importants et incontournables dans le combat politique pour la restauration de la conscience historique africaine, l’indépendance, la justice et la réalisation de l’unité africaine. En définitive, la nouvelle vague des musiciens et les divers promoteurs d’événements culturels sur le Continent contribuent de façon décisive à la libération des esprits et à l’affranchissement des systèmes de valeur et des modèles imposés par l’idéologie de la « suprématie » occidentale.

Désormais, c’est toute une économie de l’édition, du multimédia, une offre scolaire et universitaire, qui est en passe de s’épanouir sur les fondements de « Nations nègres et culture » et des autres publications du savant africain. Il en est ainsi des cursus universitaires «African studies» aux Etats-Unis qui délivrent des Ph.D, y compris en spécialité «Diopian Analysis». De même, on assiste aujourd’hui à l’épanouissement d’une industrie didactique et culturelle qui s’ancre progressivement dans l’espace économique et culturel mondial, à partir de la source diopienne. Ainsi, on peut observer un style et une conception de la vie qui tend à trouver une solide implantation du fait de l’influence de la revalorisation et de la promotion des valeurs culturelles et du patrimoine africain. Le Président Thomas Sankara, panafricaniste convaincu avait, du reste, donné le ton avec son mot d’ordre « consommons burkinabé et africain ». Il envisageait sérieusement, dans ses projets, solliciter le savant sénégalais pour susciter l’éveil des consciences du peuple burkinabé, et particulièrement de sa fraction jeune. Il faut souligner aussi que ses efforts, pour la création et l’animation de l’Institut des Peuples Noirs (IPN) à l’instar du CICIBA, participaient de cette volonté. De nos jours, les textiles africains (comme le pagne Kente[36] au Ghana et en Côte d’Ivoire, le Faso Danfani[37] au Burkina Faso), les œuvres d’arts et de l’artisanat, alimentent la plupart des défilés de mode, les foires commerciales et autres manifestations culturelles sur tout le Continent mais encore plus dans la diaspora, notamment aux Amériques.

En définitive, les Africains et leur diaspora, avec Nations nègres et culture, peuvent puiser à une source fraîche et intarissable, une matière à se reconstruire et à reconstruire le monde, avec une exigence de vérité scientifique. Ils peuvent aussi envisager leurs rapports aux autres, déchargés et décomplexés des lourdeurs idéologiques.

 B- « Les fondements culturels, techniques et industriels d'un futur État fédéral d'Afrique noire ».

 Dans « Les fondements culturels, techniques et industriels d'un futur État fédéral d'Afrique noire » (1960) ; réédité en 1974 sous le titre : « Les Fondements économiques et culturels d’un Etat Fédéral d’Afrique Noire » (Présence africaine, 1974), tirant les conclusions pratiques de plusieurs années d’études des problèmes africains, Cheikh Anta Diop démontre le bien-fondé et la justesse de sa position pour une Afrique unie afin d’éviter la « sud-américanisation » du Continent avec comme conséquence « une prolifération de petits Etats dictatoriaux sans liens organiques, éphémères, affligés d’une faiblesse chronique (…) sous la domination économique de l’étranger…Pour éviter un tel sort à l’Afrique Noire, l’idée de la Fédération doit refléter chez nous tous, et chez les responsables politiques en particulier, un souci de survie…[38] ». Mais, il n’y a pas d’unité sans mémoire, sans la restauration de la conscience historique africaine, souligne t-il. De même, il ne saurait y avoir d’identité nationale et fédérale sans l’adoption d’une langue commune. C’est pourquoi, il fait une grande place à l’unité linguistique qui domine toute la vie d’une nation et sans laquelle il n’est pas de vie culturelle possible. Il précise, du reste, que : « l’influence de la langue est si importante que les différentes métropoles européennes pensent qu’elles peuvent sans grand dommage se retirer politiquement de l’Afrique d’une façon apparente, en y restant d’une façon réelle dans le domaine économique, spirituel et culturel[39] ».

 B.1 L’unité culturelle et linguistique de l’Afrique doit être à la base de son unification politique

 Cheikh Anta Diop fait de l’unité du continent la condition sine qua non pour faire basculer l’Afrique noire sur la pente de son destin historique[40]. Pour lui, l’unité des cultures africaines est établie pour revendiquer une unification politique. Elle est donc la dimension de base sur laquelle reposent les autres dimensions de l’unité (politique et économique). Mais l’unité culturelle moderne, c’est-à-dire restaurée, ne peut-être vécue sans l’élévation d’une langue africaine au niveau continental. Dès 1958, dans « l’Etudiant d’Afrique noire », organe de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire (FEANF), dans un article intitulé : « L’unité linguistique de l'Afrique noire », Cheikh Anta Diop avait traité de la question de l’unité linguistique de l’Afrique comme un volet de l’unité culturelle du continent. Une position que la FEANF avait, du reste, adopté, lors de son séminaire de juillet 1959 à Rennes. En 1960, il la précise, à nouveau, en ces termes : « tandis que nous pouvons construire un Etat fédéral africain à l’échelle du continent sur la base de notre unité historique, psychique, économique et géographique, nous sommes obligés, pour parfaire cette unité nationale, pour fonder sur une base culturelle autochtone moderne, de recréer notre unité linguistique par le choix d’une langue moderne de culture[41] ». L’aptitude des langues africaines à exprimer les concepts de la philosophie et des sciences exactes n’est plus à démontrer ; Cheikh Anta Diop en a donné des illustrations convaincantes depuis son ouvrage « Nations nègres et culture » en traduisant en wolof un résumé du principe de la relativité d’Einstein, ainsi qu’un extrait de la Marseillaise et de la pièce théâtrale Horace du dramaturge français Pierre Corneille. Malheureusement, 51 ans après les indépendances des années 1960, aucune langue africaine n’a accédé à ce niveau. Cela relève, non seulement, de l’inexistence d’une réelle volonté politique chez les dirigeants africains, mais aussi, de la non implication conséquente de la majorité de l’élite intellectuelle africaine dans ce combat. En effet, tout le travail de Cheikh Anta Diop interpelle les Africains sur la nécessité de renouer avec leur histoire et d’œuvrer à la renaissance de l’Afrique. Il y a donc nécessité pour les africains, particulièrement les intellectuels et les élites, de procéder à une véritable rupture idéologique et culturelle d’avec leur passé occidental et leurs complexes actuels afin de se forger une solide identité nationale, condition incontournable pour se mettre au service de leurs peuples ainsi qu’au service des valeurs et des civilisations de leurs sociétés.

Après l’oppression et la domination coloniale et, particulièrement depuis 1960, l'Afrique noire semble plongée dans la confusion sur le plan intellectuel et se trouve dans l’incapacité d'opérer une rupture pourtant incontournable entre le diplômé et l'intellectuel, entre la recherche de la consécration occidentale et l'intégration profonde au sein des sociétés indigènes. Les africains ont tout intérêt à renouer le cordon ombilical avec les racines de leur civilisation. S'ils le font, les complexes accumulés par la trop longue habitude de se découvrir seulement à travers ce que l'Occident leur offre comme image d'eux mêmes tomberont enfin. C’est ce qui a conduit le professeur Guissou Laetare Basile à s’exprimer ainsi : « Depuis 40 ans, c'est l'aventure ambiguë que vit les tenants des savoirs dits modernes au sein des sociétés africaines où, pourtant, il faut trancher entre être ou ne pas être (To be or not to be), subir ou s'assumer. Les exemples et les expériences de toutes les nouvelles puissances émergeantes d'Asie et d'ailleurs le montrent. Les dragons de l'Asie, la Chine de Pékin ou l'Inde sont tous des pays qui ont d'abord pu résoudre scientifiquement la question identitaire au niveau de l'élite. Ils ont su et ont pu rompre d'abord et surtout avec l'impérialisme linguistique et culturel qui constitue la prison intellectuelle par excellence. Concernant les langues internationales, il est évident qu'il ne peut pas être question de supprimer leur usage là ou cela est indispensable. Officialiser l'usage des langues nationales ne veut pas dire élimination des langues étrangères comme l'anglais et le français. Mais, pour conjuguer harmonieusement savoirs et sociétés au bénéfice du progrès économique et social en Afrique, l'officialisation de l'usage des langues nationales dans tous les secteurs publics est une condition indispensable. La langue française ne peut pas servir à promouvoir la culture, la civilisation, la science et la technique des sociétés burkinabé par des intellectuels burkinabé. La langue française fait la promotion de la francophonie qui demeure limitée à l'histoire de la présence française au Burkina. La promotion sociale et économique de notre culture passera nécessairement par l'officialisation de nos langues »[42]. C’est ce que le grand linguiste américain Le Page traduit ainsi : « Quand la langue du gouvernement et de la loi diffère de celle des masses populaires, les plans de développement économique, agricole et industriel sont difficiles à élaborer et encore plus difficiles à mettre en œuvre parce que la recherche de base se trouve handicapée par la barrière de la langue[43] ».

C’est là, du reste, une des contradictions flagrantes des dirigeants et des élites africaines. En effet, en refusant d’utiliser leurs propres langues pour insuffler et conduire le développement dans leurs pays ceux-ci se sont irrémédiablement coupés de leurs peuples tout en ne permettant pas à leurs cultures de s’enrichir et de servir de support nécessaire et de moteur au progrès de leurs sociétés.

Cette question constitue un handicap majeur pour la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne catégorisés en francophones, anglophones et lusophones. Cela, d’autant plus que c’est la langue qui structure la pensée et forge notre personnalité.

En définitive, l’histoire donne amplement raison au professeur Cheikh Anta Diop qui a été, l’un des tout premiers, avec le Professeur Joseph Ki-Zerbo, parmi les intellectuels africains, à soutenir et à défendre avec fermeté que, dans la perspective de la libération des peuples africains, les questions culturelles et linguistiques constituaient des données d’une importance fondamentale et incontournable car de leurs maîtrises par les élites africaines ainsi que de la qualité des valeurs contenues dans l’éducation et l’enseignement qui seront donnés aux générations futures dépendra, pour l’essentiel, le rattrapage des nombreux retards accumulés par nos pays. Cette vérité, le Professeur Guissou L. Basile la traduit en ces termes : « Ouvrons bien nos yeux sur notre réalité sociale et politique aujourd’hui et nous constaterons que la hiérarchie est restée la même depuis un siècle. La ligne de partage officielle sépare « les lettrés » en langue française et les « analphabètes ». L’Etat post-colonial ignore les langues nationales dans ses relations avec ses citoyens. L’école, la justice, l’administration publique et tous les services fonctionnent avec une seule langue officielle qui n’est pas une langue nationale burkinabé, mais un héritage colonial qui façonne notre culture et notre manière d’être selon des normes et des valeurs étrangères. Plus vous maîtrisez (diplômes à l’appui) la langue française, plus vous avez du mérite et des privilèges socio-économiques comme les hauts postes dans la haute administration. C’est une logique suicidaire »[44].

 B.2 L’approche de Cheikh Anta Diop face aux différentes théories de l’unité africaine

 Cheikh Anta Diop n’est pas le seul à fonder l’unification du continent sur l’unité culturelle, Il y a aussi Léopold Sédar Senghor qui défend la théorie de l’africanité, cette culture-symbiose résultant d’un brassage des valeurs de la latinité et de la négritude associée à l’arabité des Arabo-berbères. Malgré quelques convergences de points de vue dans leur approche de la mise en œuvre de l’unité africaine, leurs positions sont totalement divergentes dans les finalités politiques que chacun assigne à l’outil culturel. Il n’est point étonnant que leurs approches de l’unité africaine soient aussi opposées. En effet, En ce qui concerne la démarche pour l’unification de l’Afrique, Senghor défend la thèse de l’unité par étapes, à partir d’entités préalablement formées. Contrairement à Cheikh Anta Diop, il intégre les Arabo-berbères dans le processus d’unification de l’Afrique. Il définit l’Africanité comme la « symbiose complémentaire des valeurs de l’Arabité et des valeurs de la négritude[45] ». Celle-ci peut servir de socle pour parvenir à l’unité. Encore que, à l’encontre de la vision senghorienne de l’unité culturelle africaine et du développement du Continent, on peut rappeler ce point de vue de Sorman[46] qui précise, avec un brin d’humour que : « la « négritude », si elle fabriquait de la bonne poésie ou de l’excellente musique, ne pouvait manquer de produire de la mauvaise économie. Les amis de l’Afrique, au lieu de réfléchir avec les Africains aux contradictions entre leurs cultures et le développement, ont bricolé le modèle tiers-mondiste, ou socialisme d’Etat, ressourcé par le panafricanisme : ce modèle est devenu le paradigme intouchable du développement post-colonial ». Après Senghor, on ne saurait omettre de souligner la vision de Kwamé Nkrumah sur la question de l’unité africaine. Il convient, de prime abord de noter que celui-ci a eu l’avantage d’avoir fait ses études aux Etats-Unis où il a eu à côtoyer les Nègres de la diaspora qui sont à la base du concept de panafricanisme. De retour des Etats-Unis, il participe, en 1945, à la Conférence panafricaine de Manchester, en tant que secrétaire adjoint du Comité directeur, au côté de George Padmore. Cette Conférence, organisée sous la présidence des docteurs WEB Du Bois et Peter Milliard, a connu un grand succès et a eu un retentissement non négligeable sur le plan international. Par la suite, un Secrétariat National de l’Afrique Occidentale fut créée afin de mettre en exécution le nouveau nationalisme panafricain que la Conférence de Manchester avait suscité au niveau des Africains. Nkrumah, qui avait été porté secrétaire de cette structure, déploya beaucoup d’initiatives pour mobiliser, sensibiliser et faire adhérer les Africains francophones à la cause de l’unité. C’est ainsi qu’il se rendit à Paris pour rencontrer les élus d’Afrique francophones à l’Assemblée nationale française (Sourou Migan Apithy, Léopold Sédar Senghor, Lamine Guèye, Félix Houphouet Boigny, etc.). A ce sujet, il précise : « Nous eûmes de longs entretiens et projetâmes, entre autres, la création d’un mouvement en vue d’établir l’Union des Républiques Socialistes de l’Afrique Occidentale. Comme résultat de ma visite, Apithy et Senghor se rendirent à Londres en tant que représentants des Africains de l’Ouest Africain, à la Conférence de l’Afrique Occidentale[47] ». Au moment donc où les Etats africains accèdent progressivement à la souveraineté, Nkrumah, qui a déjà acquis une grande expérience politique, prêche l'unité immédiate du continent. Il propose de créer un gouvernement central africain et de bannir les frontières, affirmant que les différences ethniques, de culture et de langue ne sont pas fondamentales : « Quand je rencontre d'autres Africains, dit-il, je suis très impressionné par tout ce que nous avons en commun. Ce n'est pas seulement notre passé colonial ou les buts que nous partageons : cela va beaucoup plus profondément. Le mieux est de dire que j'ai le sentiment de notre unité en tant qu'Africains[48] ». Nkrumah qui milite farouchement en faveur de l’unité pour assurer la libération totale de l’Afrique écrit dans son ouvrage que « L’Afrique doit s’unir » pour constituer un bloc politique et économique capable de se tenir en dehors du giron de la métropole. Le but ultime pour N’Krumah c’est la fondation des Etats-Unis d'Afrique, susceptibles de faire du continent noir un acteur sur la scène mondiale : l'unité économique, politique et militaire est la condition majeure pour relever ce défi.  

La Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) a aussi été amené à préciser sa position sur la question de l’unité africaine au moment où les autorités coloniales françaises avaient décidé d’octroyer une autonomie interne aux quatorze (14) territoires d’Afrique noire et de liquider les deux fédérations d’AOF et D’AEF pour affaiblir le mouvement national dans les colonies. C’est ainsi que la FEANF a produit un document intitulé : Les étudiants africains et l’unité africaine publié en français et en anglais, en 1959 dans lequel elle rejette le contenu racial de l’idéologie panafricaniste qu’elle a fondé sur la base de la lutte anti-impérialiste. En effet, après avoir procédé à une analyse critique du panafricanisme depuis ses Pères fondateurs, tous membres de la « diaspora » noire (Edward Wilmot Blyden, Anténor Firmin, Henry Sylvester Williams, Bénito Sylvain, WEB du Bois, Padmore, Marcus Garvey, etc. ), jusqu’à ses continuateurs africains comme Nkrumah, Azikiwe, Nyeréré, Cheikh Anta Diop, Ki-Zerbo, etc., la FEANF précise sa position en ces termes : « Il est hors de doute que les étudiants africains dans leur ensemble soutiennent le principe de l’unité africaine sur une grande échelle. Cette unité préconisée n’est pas une unité sentimentale mais une unité dictée par des considérations d’ordre politique et économique, inhérente à notre époque. La thèse de l’unité pour l’unité doit être écartée : car elle n’est ni réaliste, ni solide, car l’expérience montre que l’unité ne peut être valable que dans la mesure où elle repose sur des principes clairs et sur des intérêts communs et dans la mesure où elle bénéficie d’un soutien réellement populaire. Nous, étudiants africains, nous pensons que l’unité de l’Afrique doit être envisagée sur la base des principes clairement définis. Dans ce domaine, les principes qui orientent nos actions rentrent dans deux points de notre programme : lutte conséquente contre le colonialisme et l’impérialisme[49] ». 

Enfin, la diaspora noire d’Amérique et des Caraïbes se base aussi sur les idées de Cheikh Anta Diop pour théoriser son concept d’afrocentrisme. En effet, aux Etats-Unis, dans les années 1980, les recherches académiques relatives à l’histoire de l’Afrique et des Noirs ont été marquées par un important courant d’idées voulant replacer l’Afrique au centre de l’histoire de l’humanité. Ce courant vulgarisé au sein de la communauté noire par des intellectuels et universitaires comme Molefi Keté Asanté (de son nom d’origine Arthur Smith), Ivan van Sertima (d’origine guyanaise), et Maulana Karenga est appelé afrocentrisme. Asante est considéré comme le principal théoricien de l’afrocentrisme avec son ouvrage « Afrocentric Idea » publiée en 1998 ; Maulana Karenga est l’inventeur du rituel Kwanzaa, fête africaine créée en réponse à la fête chrétienne de noël qui est célébrée par des millions de noirs aux Etats-Unis avec un franc succès qui s’amplifie d’années en années ; Ivan van Sertima est le fondateur de la revue Journal of African Civilization, considéré comme l’organe officiel de l’afrocentrisme.

Cette idéologie tire ses origines de diverses traditions du monde noir qui vont du panafricanisme estudiantin en France, au lendemain de la Première Guerre mondiale, aux mouvements revendicatifs des Africains-Américains des années 1960-1970. Mais de toutes ces sources, c’est sûrement l’œuvre de Cheikh Anta Diop sur l’Egypte antique et l’antériorité des civilisations africaines qui a exercé l’influence la plus décisive sur les principaux théoriciens de l’afrocentrisme aux Etats-Unis. Selon François-Xavier Fauvelle-Aymar, il est d’abord perçu comme une idéologie de combat contre un eurocentrisme réel ou supposé qui nie les réalisations africaines ou les détourne au profit de l’occident[50]. Ce combat implique la vulgarisation des idées, des activités et des travaux scientifiques de penseurs, chercheurs et leaders politiques africains engagés dans le panafricanisme. L’objectif est «de parvenir à discréditer l’idéologie de la « suprématie » occidentale»[51]. L’afrocentrisme est ensuite envisagé comme une réponse aux situations extrêmement variées auxquelles sont confrontés les Noirs vivant dans les pays d’occident. Enfin, c’est un moyen de mobilisation des expériences des Noirs du monde pour créer des solidarités dans le contexte actuel de la mondialisation.

 B.3 L’approche de l’unité politique de l’Afrique noire de Cheikh Anta Diop

 Concernant l’unité politique de l’Afrique noire et pour sortir de sa dépendance vis-à-vis de l’Occident et afin d’éviter sa balkanisation, Cheikh Anta Diop pose, de manière rigoureuse, les fondements d’un Etat fédéral à partir d’un inventaire des potentialités linguistiques, économiques, énergétiques, minières, etc., du Continent. Il préconise donc une démarche basée sur l’élargissement de l’espace économique africain avec des plans de production et d’industrialisation endogènes ainsi que sur le renforcement des capacités technologiques :

- Sur le plan économique, il suggère la nécessité d’élargir l’espace économique. Aujourd’hui, nous constatons que les grandes puissances économiques du monde (Chine, Etats-Unis, Union Européenne, Russie, Inde, Brésil,) sont en même temps de vastes espaces économiques. Cela leur permet de résoudre le problème crucial de débouchés. Ainsi l’Afrique fédérée doit devenir industriellement et politiquement, aussi puissante que ces grandes puissances mondiales, notamment les Etats-Unis et la Russie, précise t-il. L’Afrique doit donc conquérir et conserver son propre marché intérieur, l’un des plus importants du monde. De nos jours, cela ne semble pas être une priorité pour les initiateurs du Nepad. Ceux-ci entendent, plutôt, continuer à faire de l’Afrique « un marché vaste et croissant aux producteurs de par le monde[52]». Le marché n’est donc pas vu en fonction des productions et des consommateurs africains mais de l’extérieur. Mais l’élargissement de l’espace économique ne suffit pas. Elle doit aussi s’accompagner d’une nouvelle politique de production, différente de celle héritée du colonialisme. En fonction de l’espace, des ressources  et des besoins, Cheikh Anta Diop définit des plans de production. Il recense les sources d’énergie, le nerf de la guerre en matière d’industrialisation, et indique leur utilisation possible selon les différentes parties du continent. A la suite de ce travail préliminaire, il dégage huit zones naturelles à vocation industrielle en fonction de la concentration du potentiel énergétique et de matières premières. Cette nouvelle politique de production a pour objectif d’engager l’Afrique dans un processus de remise en cause de l’extraversion économique héritée de la période coloniale.

- Le développement économique est inséparable du développement technologique. Les pays comme les Etats-Unis doivent leur puissance à la qualité de leur développement technologique. Dans son livre-programme, Cheikh Anta Diop consacre une attention particulière à la formation des cadres techniques, à la recherche scientifique, au développement des moyens de transport et aux fonds d’investissement. Il souhaite voir l’université de Dakar, à l’instar des grandes universités occidentales, devenir un des plus importants centres de formation des cadres africains afin de soutenir le développement du continent[53]. En effet, l’importance de la recherche scientifique et technologique est capitale chez Cheikh Anta Diop. Il y mettait beaucoup d’espoir comme on a pu le constater avec ses efforts à l’IFAN. De nos jours, on apprécie à sa juste valeur cette vision juste et avant-gardiste du rôle de la recherche tant la situation des Universités et des Institutions de recherche africaines est lamentable. Aujourd’hui, en Afrique, elles sont délabrées et malades, d’où une menace permanente de disparition faute de moyens financiers. En plus, il n’existe pas, dans la plupart des pays d’Afrique, une véritable prise de conscience au niveau des décideurs politiques pour entraîner une mobilisation suffisante de moyens matériels et financiers afin de procéder aux investissements, de plus en plus lourds, que requiert le développement d'une puissante base autonome de recherche, de production et de diffusion d'informations, de savoirs et de technologies de pointe, ainsi que des enseignants et des chercheurs de haut niveau capables d’impulser le développement conditions nécessaires pour, non seulement, nous libérer de notre actuelle dépendance scientifique et technologique, mais aussi, pour espérer tenir raisonnablement un rôle actif dans le monde de demain. Il en découle donc une nette option pour la coopération scientifique internationale qui est devenue très importante et déterminante pour l’Afrique, au détriment d’un effort conséquent et interne pour renforcer son propre système de recherche. L’Afrique doit, donc, faire preuve davantage de volonté politique, sinon, limitée par la faiblesse des ressources nationales, la recherche dans les pays africains restera tributaire pour l’essentiel de la coopération internationale et, de plus en plus, les chercheurs africains, confrontés à l’insuffisance des ressources et soumis à des conditions de travail, de plus en plus difficiles, continueront de s’exiler en Occident. Cheikh Anta Diop tire de ce texte-programme quinze points pratiques et toujours d’actualité pour servir de « principes de base d’une action concrète » et parmi lesquels on peut citer des options aussi importantes et déterminantes que l’unification linguistique à l’échelle territoriale et continentale en élevant les langues nationales au rang de langues officielles des pays, la promotion de la femme, la promotion de l’industrialisation et la mécanisation de l’agriculture, la bonne gouvernance politique et économique, etc. Cet ouvrage constitue, incontestablement, un instrument de travail d’une très grande utilité pour les nouvelles générations ainsi que pour les dirigeants et l’élite politique du Continent en ces moments de crises et de blocage de la pensée. En effet, avec l’énorme effort de réflexion abattue en 1974, dans son ouvrage, Cheikh Anta Diop arrive à faire comprendre de façon claire et précise aux africains, dans toutes leurs dimensions, les fondements culturels, techniques et industriels d’un futur État fédéral d’Afrique noire. Ainsi, à partir de l’inventaire des richesses naturelles et humaines du continent (énergie solaire, hydro-électricité, mines, etc.), il formule des projets ambitieux concernant les infrastructures ainsi que ceux se rapportant au développement de l’enseignement et des techniques. Parmi ses grands projets, on notera particulièrement (ce qui était avant-gardiste pour l’époque) ceux concernant la lutte contre la sécheresse. Cheikh Anta Diop se préoccupera même de dessiner une carte de l’industrialisation potentielle du Continent sur une grande échelle et cela dans un cadre fédéral afin d’assurer sa sécurité et son indépendance économique.

Aujourd’hui, la réhabilitation du patrimoine culturel nègre et son apport fondamental à la civilisation universelle depuis l’Antiquité dans les sciences et dans les arts est œuvre accomplie et universellement reconnue. Mieux, la légitimité de l’identité nègre dans la dignité est désormais assumée et assurée par les générations présentes et même futures. En témoigne la contribution des intellectuels et des savants africains et de ceux de la diaspora africaine sur les plans scientifique, technique, culturel et économique à travers le monde entier et sur tous les Continents. Il s’agit maintenant d’aller encore plus de l’avant, d’ouvrir des horizons sûrs et des futurs possibles en s’inspirant et en puisant dans l’esprit de création et le patrimoine des bâtisseurs de l’Antiquité nègre. C’est pourquoi, le sens et l'opportunité de la lutte pour la libération et l’émancipation des africains doivent être considérés comme une question de survie. En effet, si l’on doit tirer les leçons des analyses et des enseignements de Cheikh Anta Diop, il est clair et évident que pour espérer améliorer sensiblement la situation du Continent et pour franchir les obstacles qui bloquent son progrès, l’accomplissement d’au moins deux tâches essentielles s’impose :

- La première consiste à lutter pour donner un contenu concret et effectif à l'indépendance que nos peuples n'ont acquise jusqu'ici que formellement. Evidemment, une telle indépendance ne pourrait et ne devrait pas être comprise dans le sens de l'aspiration à une autarcie politique et économique qui se nourrirait de l'illusion de pouvoir échapper aux conséquences objectives et irréversibles du phénomène de mondialisation actuel fortement lié au mode de production capitaliste et à la suprématie, sans équivoque, du système économique du monde dit libéral sur les autres systèmes. Elle devrait signifier, plutôt, la reconquête et la définition par nos peuples, sans chantage ni, diktat aucun, des voies qu'ils entendent mener pour construire leur propre avenir, dans la plénitude de leur souveraineté. Cela présuppose une maîtrise réelle de l'orientation de leurs politiques économiques, sociales et culturelles ; la défense et la protection de l'entreprise privée nationale ; la promotion et la valorisation de la « matière grise africaine » en accordant plus de moyens et de considération aux intellectuels, producteurs de connaissances et créateurs d'idées, afin de les motiver et de les encourager à penser, à concevoir et à créer pour l'Afrique et, autant que possible, en Afrique.

- La seconde tâche consiste à réussir le processus de démocratisation en cours sur le Continent. La nécessité de celle-ci réside dans le fait que la démocratie s'inscrit au coeur des mutations actuelles comme une tendance universelle de l'évolution des sociétés contemporaines. Elle tient aussi au fait que la démocratisation constitue une opportunité historique exceptionnelle à saisir par les peuples de notre Continent pour pouvoir mettre un terme aux gestions politiques, économiques et sociales qu'ils ont endurés pendant de longues années et qui comptent, énormément, dans le retard qu'ils accusent aujourd'hui comparativement au reste du monde. Enfin, elle part du constat que l’évolution positive récente sur le triple plan politique, économique et social de quelques rares pays africains prouve à suffisance que la démocratie est la condition de tout développement du fait qu’elle libère les énergies et donne lieu à de nouvelles synergies. Réussir donc la démocratie c'est, d'abord et avant tout, poursuivre le démantèlement systématique des bases du Parti-Etat et, de façon générale, libérer les institutions de tout ce qui permet de les détourner de leur vocation naturelle de servir le bien public, au profit d'intérêts particuliers de groupes privés politiques, sociaux, économiques, ethniques, confessionnels, etc. C'est aussi libérer ces mêmes institutions de tout ce qui peut les mettre hors de portée d’un contrôle effectif par les citoyens ou de rendre leur fonctionnement opaque pour ces derniers. C'est également lutter contre toutes les pratiques patrimoniales de gestion et de distribution des richesses publiques, et pour l'instauration de véritables Etats de droit, respectant effectivement toutes les lois publiques et les droits humains. Pour tout dire, des Etats qui tirent leur légitimité et leur autorité morale non seulement, de leur efficacité économique et sociale, mais aussi du suffrage universel de citoyens placés dans les conditions de pouvoir exprimer librement et utilement leur choix, avec toutes les garanties de voir ce choix pleinement pris en compte. Enfin, la démocratisation c’est asseoir et faire fonctionner des mécanismes susceptibles de combattre efficacement les pratiques de « mal gouvernance », c'est-à-dire le laxisme dans la gestion des biens publics, la corruption, l’indiscipline, le népotisme, l'incompétence et le gaspillage.

Visionnaire, Cheikh Anta Diop avait déjà anticipé sur ces questions et on ne peut que lui rendre hommage et l’honorer d’avoir indiqué la voie à suivre, il y a maintenant plus d’une cinquantaine d’années. Aujourd’hui, nos peuples qui ont tant souffert et vécu toutes les tragédies de l’histoire humaine jusqu’à connaître, sous le joug de l’occupation et de l’oppression, la rupture de leur conscience historique, n’auront pas de salut et ne pourront évoluer vers une véritable Renaissance tant que leurs héritiers, les responsables et dirigeants politiques d’aujourd’hui, n’auront pas compris et accepté l’impératif devoir de leur accorder ce droit inaliénable que sont les espaces de liberté et de justice. C’est pourquoi Cheikh Anta Diop indiquait, avec force, qu’il faut restituer aux peuples nègres leur conscience historique afin qu’ils luttent et se défendent contre la dégénérescence, à l’image de l’empire pharaonique qui, pour des raisons de gestion inadéquate sur les plans politique, économique, culturelle et spirituelle, a connu une chute irréversible dans l’histoire, jusqu’à l’oubli même de son écriture à partir du VIe siècle avant J-C. C’est pourquoi, depuis « Nations nègres et culture », Cheikh Anta Diop s’est attaché dans tous ses travaux à restituer aux Africains leur conscience historique. Il montre que la perte de celle-ci, doublée de la perte de la souveraineté nationale par suite d’une occupation étrangère prolongée, à l’exemple de l’Egypte ancienne sous les Romains, conduit à la stagnation voire à la régression. S’appuyant sur l’histoire de l’Egypte pharaonique, la civilisation africaine la plus ancienne, la plus longue et la plus brillante du monde, Cheikh Anta Diop s’est assigné la mission de rétablir la continuité du mouvement historique africain. Après avoir trouvé un continuum entre les cultures au sud du Sahara et celle de l’Egypte pharaonique, il s’est s’attelé à unifier l’histoire negro-africaine à celle de l’ensemble égypto-nubien. L’essentiel de son œuvre s’articulera donc autour de cette tâche dont l’objectif final est l’unification politique de l’Afrique. Cheikh Anta Diop a redonné ainsi à l’Afrique sa véritable place dans l’histoire du monde. Sa thèse sur l’Egypte pharaonique nègre n’est pas neuve ; elle est une vérité connue depuis l’antiquité. Engelvert Mveng a dressé les références des auteurs grecs anciens relatives aux Noirs et à l’Afrique ainsi que les sources bibliques[54]. Mais cette vérité a été cachée par l’occident dans le but d’effacer la conscience historique africaine. Cheikh Anta Diop veut ainsi expliquer aux Africains les raisons de la régression actuelle de l’Afrique. La régression de la civilisation égypto-nubienne s’explique par l’occupation étrangère, notamment romaine qui a conduit à la rupture de son évolution historique. Ce déclin portait en soi la semence de la régression du reste de l’Afrique. Plus tard, le continent a été marqué, du XVe au XVIIIe siècle, par la traite négrière. La colonisation est ensuite venue accentuer ses meurtrissures et l’a profondément désarticulé. C’est ainsi que comme le précise Sékéné Mody Cissoko : « Bien des esprits ont peine à croire, de bonne foi, que là où règne aujourd’hui misère et ignorance, une telle civilisation a pu exister. Ils oublient certes que les civilisations sont « mortelles », que les communautés humaines suivent une dialectique implacable qui les fait passer par des phases de prospérité et de déclin[55] ». Cheikh Anta Diop explique ainsi ce processus : « …dès qu’une nation ou un peuple perd le contrôle de son système éducationnel, il commence à régresser. Quand vous n’êtes plus maître des conditions de transmission des connaissances acquises, de ce qui est vital pour la nation, pour entretenir son âme, eh bien, cette nation cesse de progresser[56] ».

En définitive, la théorie de Cheikh Anta Diop qui fait de l’unité culturelle de l’Afrique noire la base de l’unification du continent a suscité beaucoup de sympathie et d’enthousiasme, particulièrement en Afrique noire francophone car, Cheikh Anta Diop est resté longtemps inconnu chez les Africains anglophones. Son œuvre avait, en effet, été confondue avec la production du mouvement littéraire francophone de la négritude dont les chantres étaient Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire. Ce mouvement n’avait pas la sympathie des intellectuels africains anglophones qui étaient arrivés, plus tôt que les francophones, à une prise de conscience nationaliste. N’ayant pas été confrontés aux difficultés de la politique d’assimilation française d’où a surgi la négritude, les Africains anglophones considéraient ce mouvement comme la traduction d’une fuite en avant de l’élite africaine francophone face à la question de l’indépendance nationale. On connaît la célèbre boutade de Wole Soyinka à ce sujet : « le tigre ne proclame pas sa tigritude, mais il tue sa proie et la mange ». Il n’est donc pas étonnant dans un tel contexte que Cheikh Anta Diop soit resté longtemps inconnu dans cette partie de l’Afrique. Même dans le Consciencisme, ouvrage majeur de Kwamé N’Krumah, où il insiste sur la nécessité pour les sociétés africaines de conserver l’originalité de leur personnalité, condition sine qua non pour la conquête d’une conscience plus nette de ce qu’elles sont, afin de mener conséquemment la lutte contre la domination coloniale et néocoloniale, on ne trouve pas de références à l’œuvre de Cheikh Anta Diop. Quels enseignements peut-on alors tirer de l’ouvrage « Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire » publié en 1960 et réédité en 1974 par Cheikh Anta Diop et dans lequel il expose son approche globale de l’unification politique de l’Afrique noire ?

Dans sa finalité, la théorie de Diop est proche de celle formulée en 1963 par Kwamé N’Krumah qui a préconisé à Addis Abeba, la création immédiate d’un gouvernement unitaire africain, avec un parlement, une politique étrangère, une zone monétaire et une banque centrale, une défense, une nationalité et un plan de développement économique commun à tous les Etats. Elle est demeurée aussi proche de celle préconisée par la FEANF qui, malgré son radicalisme apparent, est néanmoins en accord, dans sa forme, avec la stratégie panafricaniste l’Etat chère à Nkrumah et à Cheikh Anta Diop, dans la mesure où elle n’a pas pu se démarquer de la thèse continentaliste du gouvernement que ceux-ci prônaient. En effet, la FEANF, en optant pour une « unité africaine sur une grande échelle » adhérait implicitement, comme l’a souligné le géographe gabonais Jean Marc Ripovia dans son ouvrage intitulé « géopolitique de l’intégration en Afrique noire[57] », à une vision falsifiée de l’unité culturelle de l’Afrique noire qui devait automatiquement engendrer son unification politique. Elle est, cependant, très éloignée de l’approche graduelle de l’unité africaine défendue au Sommet constitutif de l’OUA par la plupart des chefs d’Etat africains (plus soucieux de la consolidation de leur propre pouvoir et de la pérennité de leurs Etats souverains) qui jugeaient la proposition d’unité africaine de N’Krumah de trop radicale et dangereuse. En effet, même si la thèse de Cheikh Anta Diop concernant l’unité culturelle de l’Afrique noire entraîne automatiquement une dichotomie au niveau du continent en mettant en opposition l’unité de l’Afrique noire et celle de l’Afrique du Nord arabo-berbère, ses craintes sur les risques d’ossification, de sud-américanisation des Etats africains dans leurs frontières coloniales se sont révélées exactes. L’OUA créée en mai 1963, a non seulement consacré l’intangibilité des frontières coloniales, mais surtout s’est révélée incapable d’assurer l’indépendance réelle de l’Afrique. Elle est allée à la faillite. La différence entre Cheikh Anta Diop et N’Krumah réside dans le fait que le premier préconise la création d’une fédération des Etats d’Afrique noire alors que le second réclame une union des Etats indépendants d’Afrique. Cheikh Anta Diop préconise l’unification politique de l’Afrique noire en effectuant une rupture avec les ensembles liés aux anciennes métropoles coloniales pour former un Etat fédéral dont les frontières iraient, grosso modo, du Tropique du Cancer au Cap, de l’Océan Indien à l’Océan Atlantique[58].

VI- L’œuvre de Cheikh Anta Diop aujourd’hui

L’œuvre de Cheikh Anta Diop a largement contribué à la réhabilitation de la conscience historique africaine ainsi qu’au combat pour l’indépendance et l’unité de l’Afrique noire. En février 1952 dans bulletin mensuel de L’AERDA : « La voix de l’Afrique noire » Cheikh Anta Diop, dans un article intitulé « Vers une idéologie politique africaine », énonce pour la première fois, en Afrique francophone, les principes de l'indépendance nationale et de la constitution d'une fédération d'Etats démocratiques africains à l'échelle continentale. Il est donc clair que la question de l’indépendance politique du continent était déjà sa grande préoccupation à l’opposé de la plupart des politiciens Ouest-africains qui signeront les « indépendances » de 1960 en se présentant hypocritement comme les champions de la liberté et de la démocratie.

Avec cinquante et un (51) ans de recul, que pouvons-nous retenir de ses thèses et quelles leçons pouvons-nous en tirer dans le cadre de la célébration du Cinquantenaire des indépendances africaines ? Il faut convenir que Cheikh Anta Diop par ses travaux a permis de combattre, de façon déterminante, les effets désastreux de l’aliénation culturelle sur les élites et les intellectuels nègres atteints du complexe de colonisé. Son œuvre a eu un effet salutaire par de nombreux côtés sur les élites africaines à qui il a offert, comme le souligne Fanon, « un aliment culturel à la mesure du panorama glorieux établi par le colonisateur ». C’était donc à partir de cette vision que les élites africaines devaient conduire le combat pour l’indépendance tout en s’en servant comme guide dans la construction de nations viables. Malheureusement, lors des « indépendances » des années 60, c’est un tournant que les élites intellectuelles et politiques africaines n’ont pas pu et su négocier. Faut-il encore rappeler qu’avec les indépendances certains voyaient dans l’arrivée des peuples africains sur la scène politique, la grande révolution du XXème siècle. Ainsi, Albert Gérard (dans un article intitulé « Humanisme et négritude » paru dans la Revue Diogène n° 37, 1962) écrivait : « L’accession de nombreux Etats africains à l’indépendance et aux tribunes internationales n’est qu’un temps – un temps fort, certes – dans l’extraordinaire processus d’accélération de l’histoire dont notre époque a l’infortune et le privilège d’être le témoin. Les historiens de l’avenir constateront vraisemblablement que la véritable révolution du vingtième siècle ne fut ni la révolution soviétique, ni la  révolution nucléaire. Infiniment plus important pour les destinées de l’humanité et de sa civilisation est le fait que, pour la première fois depuis les origines de l’espèce humaine, la grande majorité des hommes a le droit et la possibilité d’intervenir activement dans la gestion des affaires du globe. Cette subite évolution ne peut être comparée qu’à celle qui se produisit lorsque nos ancêtres germaniques, il y a quinze siècles, enlevèrent à l’Empire romain sa suprématie jusqu’alors incontestée. Il faut remonter au cinquième siècle de notre ère pour trouver un évènement capable d’avoir sur l’avenir de la race humaine et sur l’évolution de sa civilisation des conséquences aussi amples et aussi profondes que celles qu’auront sans aucun doute les évènements que nous vivons aujourd’hui…».

Avec la célébration du Cinquantenaire des indépendances, il est temps pour les Africains, de se mettre définitivement à l’écoute de Cheikh Anta Diop afin de récupérer leur histoire, de se réapproprier leur destin et de se faire respecter afin que le demi-siècle à venir soit celui d’une indépendance vraie pour l’Afrique, assise sur des bases économiques solides et appuyée par des partenariats diversifiés tournant définitivement le dos aux pratiques coloniales, postcoloniales ou à toute autre forme de domination et d’exploitation. Toute l’œuvre de Cheikh Anta Diop nous guide et nous aide à réaliser ces objectifs. L’historiographie véritable de l’Afrique date pratiquement de lui, de ses premiers balbutiements à sa maturité et à son indépendance idéologique. Ses travaux ont joué un rôle pivot dans tout ce qui touche à la préhistoire de l’humanité et à l’antiquité africaine. Son grand mérite est d’avoir été le premier, dès les années 1950, à rechercher et à préconiser une stratégie devant conduire à l’indépendance politique et économique réelle du continent. Les africains, notamment les intellectuels, les chercheurs et les élites, devraient travailler, aussi, à approfondir l’œuvre du savant au lieu de se limiter uniquement à l’encenser ou à le combattre.

En définitive, que pouvons nous retenir au terme de cette étude sur la contribution de Cheikh Anta Diop et sur l’influence de son œuvre sur les intellectuels, les élites et surtout sur les nouvelles générations d’Africains, notamment en ce qui concerne la réhabilitation et la réappropriation de leur conscience historique ainsi que la mise en œuvre de l’unité du Continent ? Il convient d’indiquer d’abord pour les jeunes générations d’africains que Cheikh Anta Diop est un exemple à suivre pour au moins trois raisons. Il y a d’abord la qualité de son travail scientifique ; malgré des failles qui ont été relevées, ce travail ne manque, ni de cohérence, ni de méthode scientifique. En effet, comme l’a si bien souligné Jean Fonkoué[59], tous les sujets qu’il a traités sont dans leur ensemble, étroitement et rigoureusement imbriqués. Ainsi, par exemple, Nations nègres et Culture (1954) trouve son prolongement dans l’ouvrage L’unité culturelle de l’Afrique noire (1960). Ces deux livres annonce le questionnement de Cheikh Anta Diop sur Antériorité des Civilisations nègres : Mythe ou vérité historique (1967)? Avec parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines (1977), il nous rassure qu’il ne s’agit pas d’un mythe mais bel et bien d’une vérité scientifique. Il y a ensuite, ses qualités humaines caractérisées par un grand humanisme et une probité intellectuelle hors du commun que tous ceux qui l’ont abordé, y compris ses plus farouches adversaires, ont mis en avant. Il y a, enfin, son entêtement à défendre une Afrique noire unie et maîtresse de son avenir. Beaucoup de changements survenus dans les domaines de l’historiographie africaine lui sont redevables. En fait, il n’est pas exagéré de dire que la vie de Cheikh Anta Diop, c’est aussi l’histoire extraordinaire d’un savant africain qui a réussi à vaincre, pratiquement à lui tout seul, l’idéologie coloniale. Le professeur Jean Devisse, le rapporteur du Colloque du Caire et grand contradicteur de Cheikh Anta Diop, celui là même qui avait évoqué « le complexe de colonisé » à son endroit, réexaminera son appréciation sur lui, de façon émouvante peu de temps avant le décès du savant en ces termes : « ... l’homme et le savant [Cheikh Anta Diop] ont été au cœur de trop de contestations et de controverses, l’œuvre est trop importante pour que le silence les recouvre. (...) L’Europe, tout particulièrement la France, a beaucoup hésité à prendre en considération cet homme et les idées dont il était porteur. (...) Peu d’historiens auront renversé autant d’idées reçues, bouleversé autant de perspectives, ouvert autant de pistes de recherches (…) Je tiens à lui dire [à Cheikh Anta Diop], et je suis heureux de le faire à Yaoundé, à l’occasion de ce colloque, que je lui suis profondément reconnaissant de m’avoir, par sa ténacité, par son acharnement de chercheur, contraint à modifier plus d’un de mes points de vue, à abandonner nombre de préjugés que m’avait inculqués l’éducation que j’ai reçue. Même si je ne suis pas toujours d’accord avec lui sur tous les points, je lui devais cet hommage[60] ». L’historiographie véritable de l’Afrique date pratiquement de lui, de ses premiers balbutiements à sa maturité et à son indépendance idéologique. Ses travaux ont joué un rôle pivot dans tout ce qui touche à la préhistoire de l’humanité et en matière des antiquités africaines, surtout concernant l’égyptologie. C’est parce qu’il a réactivé et radicalisé le débat sur l’Egypte pharaonique, que l’historiographie mondiale a concédé une certaine relecture et a notablement évolué vers une Egypte africaine dans sa culture et sa langue. Cheikh Anta Diop est le premier intellectuel africain francophone, dans le contexte de la colonisation à avoir compris l’importance de ramener l’Afrique dans le concert historiographique et dans celui des nations libres. Il est aussi, parmi les premiers intellectuels et historiens africains, celui qui a le plus contribué à réconcilier l’Afrique avec son passé et lui a donné des raisons de croire à son avenir. Ces paroles de Mgr Tshibangu Tshishiku, ancien recteur honoraire de l’Université nationale du Zaïre lors de l’hommage officiel rendu par les hommes de science et de culture zaïrois à Cheikh Anta Diop, le 25 février 1980, résument et traduit bien l’estime de ses pairs : « Nous proposons Cheikh Anta Diop à la jeunesse africaine consciente d’aujourd’hui comme un grand modèle qu’elle doit avoir l’ambition d’imiter, modèle de stricte et très haute culture scientifique et d’engagement inconditionnel pour l’Afrique ». L'œuvre de Cheikh Anta Diop montre la nécessité pour l'Afrique d'un retour à l'Egypte ancienne dans tous les domaines : celui des sciences, de l'art, de la littérature, du droit, etc. La démarche historique, loin d'être conçue comme un repli sur soi ou une simple délectation du passé, permet à Cheikh Anta Diop de définir le cadre de réflexion approprié pour poser, en termes exacts, l'ensemble des problèmes culturels, éducatifs, politiques, économiques, scientifiques, techniques, industriels, etc., auxquels sont confrontés les Africains, aujourd'hui, et pour y apporter des solutions. C'est pourquoi toute son œuvre se présente comme le socle même d’une véritable renaissance de l'Afrique : « …les études africaines ne sortiront du cercle vicieux où elles se meuvent, pour retrouver tout leur sens et toute leur fécondité, qu'en s'orientant vers la vallée du Nil. Réciproquement, l'égyptologie ne sortira de sa sclérose séculaire, de l'hermétisme des textes, que du jour où elle aura le courage de faire exploser la vanne qui l'isole, doctrinalement, de la source vivifiante que constitue, pour elle, le monde nègre[61] ». En réalité, l'œuvre de Cheikh Anta Diop est en rupture avec les canons, jadis utilisés, pour juger et analyser l’histoire et la pensée africaines. Cette rupture se situe à plusieurs niveaux. Premièrement, au niveau scientifique, il a restitué les expériences historiques vécues par les Noirs et ainsi, il a mis fin aux falsifications historiques. Deuxièmement, son discours politique sur l'Afrique a permis de renverser les relations d’avec le pouvoir en ce sens que la connaissance de l'histoire a favorisé de la fierté et une prise de conscience chez les Africains. Ainsi, pourront-ils renforcer et développer une confiance plus accrue en eux-mêmes afin d’être capable d’agir sur leur avenir de manière indépendante et consciente. Troisièmement, il y a le personnage même de Cheikh Anta Diop qui constitue un modèle de courage, d’abnégation et de sacrifice par excellence pour la renaissance africaine sur le triple plan économique, culturel et politique.

Cheikh Anta Diop a rêvé et s’est battu pour une Afrique unie. Il n’a pas eu le privilège de voir ce rêve se réaliser, car l’enthousiasme qui a marqué les premières années de l’OUA s’est vite dissipé. Aujourd’hui, l’OUA a cédé la place à l’Union Africaine (UA) qui dispose d’un cadre institutionnel plus important devant faciliter l’intégration africaine. Mais des interrogations restent présentes. En quoi l’UA fera-t-elle progresser l’intégration politique et économique du continent ? Et surtout, l’Union saura t-elle mieux représenter les intérêts africains que l’ancienne OUA, étant entendu que les organisations régionales et les gouvernements africains n’ont pas réussi à concrétiser cette volonté d’unité ? Cependant, si parmi les thèses émises par Cheikh Anta Diop certaines ne sont plus discutées, sur d’autres, par contre, le débat est loin d’être clos, notamment en ce qui concerne la question de l’africanité de l’Egypte et son approche d’une Afrique unie. Son grand mérite est d’avoir été le premier, dès les années 1950, à rechercher et à préconiser une stratégie devant conduire à l’indépendance politique et économique réelle du continent. Mais, comme l’a si bien souligné le grand sage Amadou Hampaté Ba : « Chaque chose, chaque phénomène a sa face diurne et sa face nocturne car rien n’est totalement bon, ni totalement mauvais en soi ». Ainsi, certaines critiques émises par des intellectuels et chercheurs africains ainsi que d’autres provenant de quelques spécialistes européens et occidentaux, montrent les limites de certaines systématisations de Cheikh Anta Diop attribuables, essentiellement, au niveau atteint par les connaissances scientifiques à son époque. C’est pourquoi, les africains, notamment les intellectuels, les chercheurs et les élites, devraient travailler, aussi, à approfondir l’œuvre du savant au lieu de se limiter uniquement à l’encenser ou à le combattre. De ce point de vue, on ne peut que partager l’approche du professeur Amady Aly Dieng qui, pour trancher un débat, en réalité sans objet, estime que : « le meilleur service que l’on puisse rendre à Cheikh Anta Diop, c'est de le dépasser, au moins sur l'aspect scientifique de son œuvre[62] ». C’est un point de vue similaire que défend le philosophe Mamoussé Diagne, enseignant à l'Université de Dakar qui affirme : «C'est être fidèle non pas à la lettre, mais à l'esprit de Cheikh Anta Diop que de tenter de s'appuyer sur les points les mieux acquis de son œuvre pour tenter de les dépasser[63] », estimant qu'il faut éviter une « momification » du savant en cherchant les moyens de perpétuer sa pensée. Il poursuit ainsi : « Si l'attitude scientifique consiste non pas à tomber à genou devant une œuvre, mais à la soumettre constamment à l'esprit critique, alors notre relation à l'œuvre de Cheikh Anta Diop ne peut être que polémique en partie ».

C’est une vision analogue qui transparaît aussi chez François-Xavier Fauvelle qui, en réponse à l’affirmation de Théophile Obenga, lors du Colloque international de Dakar sur l’œuvre de Cheikh Anta Diop en 1996, selon laquelle celui-ci faisait désormais partie de l’histoire des idées au même titre qu’Aristote ou Hegel, précise : « Sans doute pas tout à fait encore, car on ne commémore plus Hegel, moins encore Aristote. Le passage définitif à la postérité implique une prise de distance avec l’œuvre en question, prise de distance qui ne préjuge en rien de la profondeur et de la prégnance de l’héritage, mais qui est forcément critique[64] ».

L’œuvre de Cheikh Anta Diop peut et doit être critiquée soit pour l’améliorer ou la rejeter. Cela est tout à fait normal et rentre dans le cadre même des débats sur les historiographies. Mais, il n’empêche que le savant, à travers celle-ci, se positionne comme un éveilleur des consciences et un restaurateur de la conscience historique noire. Un regard nouveau ou critique sur son œuvre ne peut que faire avancer les recherches et les débats actuels sur l’Egypte ancienne.

 VI- En guise de conclusion

 Depuis la mort de Cheikh Anta Diop en 1986, de nombreux spécialistes et chercheurs panafricains ont entrepris de rejoindre le professeur Théophile Obenga dans la poursuite de l’analyse des matériaux historiographiques dégagés par le savant à travers la publication de leurs travaux de recherche. Cheikh Anta Diop prévoyant, avait fait la mise en garde suivante : « Les conditions d’un vrai dialogue scientifique n’existent pas encore dans le domaine si délicat des sciences humaines, entre l’Afrique et l’Europe. En attendant, les spécialistes africains doivent prendre des mesures conservatoires. Il s’agit d’être apte à découvrir une vérité scientifique par ses propres moyens en se passant de l’approbation d’autrui, de savoir conserver son autonomie intellectuelle jusqu’à ce que les idéologues qui se couvrent du manteau de la science, se rendent compte que l’ère de la supercherie, de l’escroquerie intellectuelle est définitivement révolue, qu’une page est tournée dans l’histoire des rapports intellectuels entre les peuples et qu’ils sont condamnés à une discussion scientifique sérieuse, non escamotées, dès le départ[65] ». L'œuvre de Cheikh Anta Diop constitue donc un appel à la mobilisation de toutes les  forces pour une reprise en main de l'Afrique par les Africains. Elle comporte le message fondamental suivant : seule la réappropriation et l’assimilation de son histoire et de sa culture par un peuple, un groupe d’hommes ou d’individus, peut permettre la prise en main de son destin et renforcer la confiance en soi. Alors seulement, il pourra s’émanciper et s’épanouir vers l’interaction et la conjonction avec les autres. En effet, comme le soutient si justement Ibrahima Thiaw, historien chercheur à l'Institut fondamental d'Afrique noire (IFAN) : « La plénitude culturelle ne peut que rendre un peuple plus apte à contribuer au progrès général de l'humanité et à se rapprocher des autres peuples en connaissance de cause[66] ». 

 

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[1] Goma-Thethet. Cheikh Anta Diop et l’avenir de l’Afrique (Une relecture des Fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire ), 30è anniversaire du codesria, Dakar, Sénégal, 10-12 décembre 2003

[2] Nations nègres et culture p 8-9. (NN)

[3] Zorgbibe, Charles. « Senghor et Cheikh Anta Diop ou la restauration de la conscience africaine », in : Geopolitique africaine / OR.IMA International, n° 13, 2004. pp. 161-174

4 Zorgbibe, Charles. Op. Cit.

5 Zorgbibe, Charles. Op. Cit.

6 Zorgbibe, Charles. Op. Cit.

 [7] Pour en savoir plus : cf. « Les premiers pas de la Fédération des étudiants noirs en France (FEANF) (1950-1955), de l’Union française à Bandoung ». Par Amady Aly Dieng

[8] Cf. l’ouvrage d’Amady Aly Dieng. Op. Cit.

 [9] Jean-Pierre N’Diaye du J.A. n° 1316, 1986

[10] Cheikh Anta Diop, interview in « La Vie Africaine », n°6, mars-avril 1960, p. 11

[11] Cf. Agence de Presse du Sénégal du 8 février 2005 (Dossier sur Cheikh Anta Diop par Aboubacar Demba Cissokho)

[12] Cf. Agence de Presse du Sénégal du 8 février 2005 (Dossier sur Cheikh Anta Diop par Aboubacar Demba Cissokho)

[13] Les fondements économiques et culturels d'un État fédéral d’Afrique noire. 1974, p122

[14] (cf. compte rendu publié par l'UNESCO dans le volume II de l'Histoire générale de l'Afrique Paris : Stock/Unesco, 1980, pp. 795-823 ainsi que dans la revue « Ankh », n°3, juin 1994)

[15] Cf. Great African Thinkers : Cheikh Anta DIOP, editor Ivan VAN SERTIMA, New-York

[16] Cheikh Anta Diop. Nations Nègres et Culture. Paris : Présence africaine, 1979, p. 13

[17] « Les intellectuels », in : la Vie Africaine n° ?

[18] NN, p 21-25

[19] Cf. Bulletin de l’IFAN, 551

[20] NN, p 27-28

[21] NN, p7

[22] Cf. Bulletin de l’IFAN, 484

[23] Il faut noter ici que L.S Senghor, lui-même, dans une de ses poésies, célébrant la beauté virile d’un personnage, écrit : « Il était noir comme Osiris le Dieu »

[24] NN, 491

[25] Joseph Ki-Zerbo, « Histoire et conscience nègre », P.A, 1957,67-68

[26] Joseph, Ki-Zerbo, Ibid.

[27] P.A, 1956, p.39

[28] Saint-Clair Drake, « Détruire le mythe chamitique, devoir des hommes cultivés », P.A., N°24-25, 1959, 215

[29] Pour plus d’information sur l’influence égyptienne sur la Grèce, voir Bulletin de IFAN « Apport de l’Egypte à la civilisation », 524-540

[30] Portelette, Constant. Histoire dialoguée de la philosophie. Besançon, 1845, pp. 17-27 (Cité par Jean Fonkoué)

[31] Bulletin de l'IFAN, 531

[32] Ib. Bulletin de l'IFAN, 531

[33] NN, pp. 136-137

[34] Cheikh Anta Diop. Op. cit., p.6

[35] Fonkoué, Jean. Cheikh Anta Diop au carrefour des historiographies. Paris : L’Harmattan, 2004, p.64

[36] Pagne confectionnée à partir de bandes de tissus ornés de motifs symboliques et traditionnels Akan. C’est la tenue par excellence dans la cour royale des ashantis.

[37] Pagne tissé à base du coton local.

[38] Cheikh Anta Diop. Les Fondements économiques et culturels d’un Etat Fédéral d’Afrique Noire. Op. cit. p.31

[39] Cheikh Anta Diop. Op. Cit. p.26

[40] Ibid., p.121.

[41] Ibid., pp.18-19

[42] Guissou, L. Basile. Communication au forum sur les langues nationales du Burkina Faso. Ouagadougou, 23-25 juin 2004

[43] Guissou, L. Basile. Communication au forum sur les langues nationales du Burkina Faso. Ouagadougou, 23-25 juin 2004

[44] Basile L. Guissou. Op. Cit.

[45] Charles Zorgbibe. Op. cit.

[46] Sorman, G. 1994. Le capital, suite et fins. Paris, Fayard (cité par Souleymane Bachir Diagne et Henri Ossebi dans : la question culturelle en Afrique : contextes, enjeux et perspectives de recherche).

[47] Cf. Kwame, Nkrumah. Autobiographie de Kwame, Nkrumah. Présence africaine, 1960

[48] L’Afrique doit s’unir, Présence africaine, 1974

[49] Traoré, Sekou. 1985. La fédération des étudiants d’Afrique noire en France. Paris : L’harmattan, p.29

[50] François-Xavier Fauvelle-Aymar, 2002, « Naissance d’une nation noire. Multimédia, mondialisation et nouvelles solidarités ». In : l’Homme (Revue française d’anthropologie), n°191, janvier-mars, p. 75.

[51] Demba Moussa Dembélé, 1998, « L’Afrique : le défi du troisième millénaire », in Bulletin du Codesria n°1, p.12

[52] Nepad, 2001, Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NPDA), Abuja, p.51

[53] Cheikh Anta Diop. Op. cit., p.118

[54] Engelvert Mveng, 1972, Les sources grecques de l’histoire négro-africaine, Paris, Présence Africaine

[55] Sékéne Mody Cissoko. Tombouctou et l’empire songhay. Paris : L’Harmattan, 1996. P. 218

[56] Cf. “L’oncle BIK”, Interview accordée à la revue culturelle Nomade le 17 juin 1985. In : Nomade, L’Harmattan, 2000

[57] Marc Ropivia, 1994, Géopolitique de l’intégration en Afrique, Paris, l’Harmattan

[58] Cheikh Anta Diop. Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire. p.39

[59] Fonkoué, Jean. Op. cit. p. 49

[60] Jean Devisse, professeur émérite à l’Université de Paris I, « Apport de l’archéologie à l’histoire de l’Afrique », in : l’archéologie du Cameroun, Actes du premier colloque international de Yaoundé, 6-9 janvier 1986, études réunies par Joseph-Marie Essomba. Cité par René-Louis Parfait Etilé

 

[61] (Antériorité des civilisations nègres - mythe ou vérité historique ?, op. cit., p. 12)

[62] Cf. Sud Quotidien, 8-9 février 2003

[63] Cf. Sud Quotidien, 8-9 février 2003

[64] Fauvelle François-Xavier. Cheikh Anta Diop, l’Egypte et l’identité africaine. Communication faite lors du colloque international sur l’œuvre de Cheikh Anta Diop et la renaissance africaine au seuil du troisième millénaire. Pol. Afric. n°103 

[65] Obenga, T. 1973, L'Afrique dans l'Antiquité - Égypte pharaonique/Afrique Noire. Paris, Présence africaine, p.9

[66] Cf. Sud Quotidien, 8-9 février 2003



10/06/2011
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