CONCEPTION ET PRATIQUE DU SPORT EN AFRIQUE NOIRE
CONCEPTION ET PRATIQUE DU SPORT EN AFRIQUE NOIRE
ESSAI D’INTERPRETATION ET EVOLUTION TEMPORELLE
En Afrique, depuis toujours, et cela, jusqu’à l’introduction du sport importé au début du XXe siècle, la culture physique et le sport avaient des racines solidement ancrées dans l’histoire des peuples. En effet, dans les sociétés traditionnelles africaines, les exercices physiques, les jeux et les compétitions étaient très prisés. Les courses, les sauts, les jeux d’adresse, l’équitation et l’acrobatie constituaient les activités sportives favorites des jeunes gens lors des soirées récréatives. Certaines de ces pratiques sportives d’antan, comme le tir à l’arc, la lutte et les activités cynégétiques, se sont encore, quelque peu, conservées de nos jours. Il incombait à la communauté toute entière de veiller scrupuleusement à la vitalité et à la santé des citoyens et des citoyennes, notamment de celle des jeunes par la pratique des jeux et des divertissements traditionnels. Le sport et la culture physique étaient intégrés à la vie de l’individu. Ils constituaient des sources de régénération et d’entretien de l’énergie vitale chez tout individu prenant part au procès de production dans la communauté et oeuvrant pour la perpétuer. Mais, l’introduction du sport importé a entraîné, dans une grande mesure, des changements et des mutations qui handicapent jusqu’aujourd’hui encore l’organisation et le développement du sport en Afrique. Quelle était, donc, la conception du sport qui prévalait dans l’Afrique ancienne et comment sa pratique a t-elle évolué jusqu’à nos jours ?
CONCEPTION ET ROLE DU SPORT DANS L’AFRIQUE ANCIENNE
Dans la préface de leur ouvrage sur l’épopée peule : « Silamaka[1] », Amadou Hampâté Ba et Lilian Kesteloot définissent ainsi le concept : « L’épopée nous renseigne davantage sur les différentes manières de sentir et de penser d’un groupe sur le sens réel des évènements qui ont fait son histoire... L’épopée est un genre littéraire qui part toujours d’un fait historique réel…». Ainsi, l’épopée africaine telle que nous l’ont rapporté de grands griots et d’imminents hommes et femmes de culture[2] nous renseigne énormément sur la conception et le rôle de l’activité sportive dans l’Afrique ancienne. Cela ressort très nettement de la relation des faits héroïques et des prouesses des champions et des héros[3].
L’activité sportive participait à la purification du corps et de l’âme
Quand on écoute, encore, les chansons de geste africaines, on est frappé par la majesté des rites initiatiques préparatoires aux grandes cérémonies. On dirait que toute la vie du clan, de la tribu, s’arrête brusquement, suspend son rythme aux chants ensorcelants de maîtres de cérémonies et se déchaîne ensuite comme libérée d’une contrainte occulte. En effet, tous les auditeurs d’une geste participent aux faits héroïques qui leur sont chantés comme toute la tribu, naguère, participait aux prouesses des champions et des héros, comme elle participait également aux travaux de la terre. De même, dans l’Afrique ancienne, la « préparation » d’un guerrier, d’une armée, d’un chasseur et de ses flèches, d’un pêcheur et de ses filets, d’une pirogue de course et de ses pagayeurs, d’un lutteur d’élite et de ses accompagnateurs, d’un cultivateur et de « sa » terre s’enveloppait d’un caractère communautaire et mystique découlant de la foi qu’avaient les africains en leur virilité et en la communion avec les mannes des ancêtres. Et si, en de telles solennités, ils invoquaient leurs Dieux, c’était parce qu’ils se jugeaient sains de corps et d’âme, car, dans le cas contraire, les cérémonies rituelles n’avaient pas l’effet escompté et les résultats se révélaient catastrophiques : défaite à la guerre, pêche infructueuse, chasse bredouille (voire accident de chasse), course honteusement perdue, cuisant échec à la lutte, récolte désastreuse. Pour éviter ces malheurs, la tribu devait donc scrupuleusement veiller à la vitalité de tous les citoyens et citoyennes par la pratique des jeux et divertissements traditionnels. Car la vie du clan, son rayonnement et sa prospérité étaient liés à sa bonne santé morale et physique. Et cette « bonne santé morale et physique » n’était pas seulement exigée des champions et des guerriers ; elle était le critère communautaire grâce auquel la communauté toute entière avait pu se perpétuer, grâce auquel les jeunes gens pouvaient bomber fièrement leur torse d’ébène et réciter, d’un trait, l’arbre généalogique de leur famille jusqu’au Créateur.
Le rôle de la danse dans la culture physique du corps
On a souvent jasé sur l’africain et la danse. Une idée bien surannée mais toujours tenace irone ainsi sur la nature du nègre : « ventre plein, nègre content » pour signifier qu’une fois l’africain rassasié, seule la fête et la danse le préoccupait. Mais, cela témoigne d’une ignorance crasse et totale des fondements de la culture et de la conception de la vie en Afrique. Quand il avait fini de chasser, de pêcher, de lutter, de pagayer ou de cultiver la terre, l’Africain se mettait à danser. La danse était pour lui cet « exercice complémentaire » sans quoi il n’est pas d’équilibre physique, social, moral, mental et sexuel possible. Et il l’accomplissait avec ferveur, avec frénésie jusqu’au paroxysme. C’est que, pour lui, les performances du corps devaient être éprouvées à l’extrême pour atteindre cet « équilibre intégral » qui fait les vaillants guerriers, les pêcheurs émérites, les pagayeurs endurants, les chasseurs intrépides, les lutteurs habiles, les cultivateurs infatigables… et les tribus saines, viriles, pour le mieux être de la communauté toute entière. La Danse ! Effectivement. Le chant rythmique et encore la Danse. Tout cela constituait des actes de délivrance et participait d’une véritable épreuve de vitalité, de virilité et d’harmonie physique et mentale. Mieux encore, d’une communion collective pour le maintien d’une dignité sereine. « Ne pas pouvoir, ne pas savoir danser équivaut, pour un Africain, à ne pas être. Car la danse pour lui n’est pas réjouissance, elle est acte de vie. Et le cultivateur, le pêcheur, le chasseur, le guerrier qui dansent après leurs performances accomplissent des « actes de vie ». Et les enfants qui dansent s’ouvrent à l’existence par étapes successives. L’Afrique danse parce qu’elle est en perpétuel travail : elle féconde la terre qui est sa mère nourricière [4]». Ainsi, pour se maintenir en forme afin d’accomplir dans les meilleures conditions possibles son rôle de continuateur de la communauté et de conservateur de la terre, l’Africain devait s’ingénier à « cultiver » son corps dans les transes de la danse avec laquelle il créait une espèce de symbiose.
EVOLUTION ET CARACTERISTIQUES ESSENTIELLES DU SPORT DANS L’AFRIQUE CONTEMPORAINE
L’évolution de la pratique sportive dans l’Afrique contemporaine a été très nettement perturbé par la pénétration du sport importé qui a largement favorisé le déclin du sport traditionnel et qui a été à la base d’une stagnation malgré la brèche ouverte par le sport scolaire où l’éducation physique et morale étaient de règle.
La pénétration du sport importé
Aujourd’hui, après la colonisation et avec le développement socio-économique, de nouvelles disciplines sportives ont été introduites et se sont amplement développées, un peu partout en Afrique. Sont de celles-là, le basket-ball, l’athlétisme, la boxe et surtout le football qui est devenu un phénomène socioculturel d’importance dans les sociétés contemporaines actuelles. Mais, cela a pris beaucoup de temps car, la plupart du temps, les colons se contentaient de pratiquer leurs jeux favoris entre eux et n’associaient guère les « indigènes ». L’introduction des disciplines sportives en Afrique date du début du siècle dernier mais, leur développement et enracinement se sont faits en plusieurs phases en fonction des différentes péripéties de l’histoire du continent. Le sport importé s’est installé avec l’implantation coloniale à travers l’administration, l’école, les maisons de commerce, les missionnaires et l’implantation des casernes militaires. L’athlétisme était inexistant et le sport scolaire n’était pas encore bien organisé malgré les efforts des missionnaires dans les écoles paroissiales et des maîtres d’écoles qui oeuvrèrent à son développement en initiant leurs pensionnaires et élèves aux nouvelles pratiques sportives et particulièrement au football. Ainsi, le caractère sporadique du « sport importé », à son premier âge africain, ne permet pas aux noirs de se révéler. Ce n’est qu’avec les fantastiques performances des noirs américains (notamment la quadruple médaille d’or de Jess Owens) aux Jeux Olympiques de 1936 à Berlin et la fulgurante et incomparable ascension du boxeur noir américain, Joe Louis, surnommé le « Bombardier noir», champion du monde de boxe « toutes catégories » que l’administration coloniale européenne en Afrique se rend compte que le continent pouvait être une pépinière d’athlètes. C’est ainsi que des mesures seront arrêtées à la hâte pour entreprendre une prospection sportive dans les différents territoires afin trouver des « étalons noirs » qui pourraient hisser les pavillons coloniaux sur les stades lors des compétitions internationales, à l’image de Joë Louis, le noir de Détroit, qui avait fracassé la mâchoire et la colonne vertébrale de l’allemand Max Schmelling, idole sportive de l’Allemagne hitlérienne. Petit à petit, le sport importé s’installa en Afrique noire en bousculant le sport traditionnel qui sera obligé de se moderniser dans la forme et dans le fond pour arriver à maintenir, encore un peu, l’enthousiasme de la jeunesse.
Du sport traditionnel à la parade foraine
Le déclin du sport traditionnel se fera sans transition entre les deux façons de pratiquer le sport. En effet, dans la tradition, la jeunesse africaine, tournée vers la terre, était habituée à « aller vers les champs » pour s’ébattre et travailler afin d’entretenir son corps. Avec les changements intervenus, on lui demande « d’aller vers les stades » pour s’ébattre, certes, mais comme à une parade foraine. Et, petit à petit, les luttes populaires, les courses de chevaux et de pirogues, le tir à l’arc deviennent des pratiques occasionnels et perdent la ferveur qui y présidait naguère au profit d’autres sports comme le football, le cyclisme, l’athlétisme, la boxe, le basket-ball etc. Des domaines où l’élitisme prédomine au détriment de l’éducation sportive et morale de la jeunesse. Le colon s’est contenté de faire appel et de développer seulement son instinct dès qu’il s’est rendu compte que cet « instinct » assimilait rapidement certains genres de sports et pouvait permettre d’engranger des satisfécits et des médailles. Il a fallu l’abnégation de certains fonctionnaires de l’administration coloniale ainsi que l’action généreuse des missionnaires pour initier, quelque peu, les « indigènes » aux règles de ces jeux afin de les rendre plus accessible aux citoyens. Cela aboutit, plus tard, à la mise en place des premières structures organisées de sport et permit, un peu, le développement et l’épanouissement des disciplines sportives importées. Un bref rappel historique sur la situation et l’évolution des premières structures sportives au Burkina, particulièrement en ce qui concerne le football, nous permettra de mieux illustrer cette question.
Les premières structures sportives au Burkina Faso
Au Burkina Faso, les premières structures sportives organisées se sont bâties autour du football particulièrement. En effet, avec la colonisation, la pratique du football s’est développée d’abord dans les casernes, puis dans les écoles grâce aux missionnaires et enfin dans l’administration avec le redéploiement, dans la nouvelle colonie de Haute Volta, des fonctionnaires et des ressortissants des différentes colonies françaises d’Afrique occidentale française qui créèrent de nombreuses équipes de football et se constituèrent en associations, essentiellement à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou.
1- La situation à Bobo-Dioulasso : Il est de notoriété publique que Bobo-Dioulasso constituait, jusqu’à une époque assez récente la pépinière du football burkinabé. Cela s’explique certainement par le fait que, pendant longtemps, cette métropole est restée un grand carrefour économique, commercial et politique offrant d’énormes opportunités d’interpénétration et de brassage des populations autochtones avec celles des autres colonies. En plus de l’arrivée du chemin de fer, on notait la présence, à Bobo-Dioulasso, de plusieurs grandes maisons de commerce coloniales, de missionnaires bien implantés, et enfin d’une importante caserne militaire. Tous ces facteurs ont contribué à l’enracinement du football à Bobo. Bien que des clubs de football se soient créés plus tôt, le football à Bobo s’est développé et renforcé surtout après 1947. De nombreux témoignages situent le début de la pratique du football à Bobo-Dioulasso vers les années 1920. D’abord au sein de la caserne militaire et, ensuite, dans les milieux civils. Le football s’est d’abord greffé, au sein des sociétés et cercles sportifs mis en place pour offrir un cadre d’activités récréatives aux ressortissants français, à d’autres disciplines sportives telles le tennis, la pétanque, l’équitation etc., très prisées par l’establishment colonial. Ainsi, sa pratique, bien que timide, avait cours au sein de la Société sportive du cercle de Bobo créée en 1933. C’est en 1935 que l’on assiste à la création de la première équipe de football à Bobo-Dioulasso. Cette équipe, dénommée l’Union sportive bobolaise (U.S.B) était en réalité une équipe corporative qui regroupait essentiellement les employés de Compagnie française de Côte d’Ivoire (C.F.C.I). La même année, le père Germain Nadal qui était le délégué au sport du vicariat apostolique de Bobo-Dioulasso créé une équipe de football qui prendra, à partir de 1946, le nom de Jeanne d’Arc de Bobo. C’est à partir de cet environnement que le football évoluera et se développera à Bobo jusqu’au début de la deuxième guerre mondiale. Les compétitions se menaient entre l’équipe du père Nadal, l’USB et l’équipe militaire sous les regards envieux et intéressés des jeunes Bobolais qui ne tarderont pas à s’adonner à ce nouveau sport dans les écoles et les quartiers populaires.
La fin de la Deuxième Guerre mondiale et la reconstitution de la colonie de Haute-Volta offriront de meilleures conditions pour le développement du football à Bobo sur des bases plus rationnelles. Le District de football de Bobo fut mis sur pied en 1947, avec monsieur Lucien Sanga comme président. Dès lors, on assiste à la création de nombreux clubs. Le plus ancien des clubs structurés de Bobo-Dioulasso, avec un statut et un règlement intérieur, est l’équipe Bobo-sport, créé en novembre 1947 par un groupe de fonctionnaires de l’administration coloniale sous la houlette de Sanon Sanny Mamourou, instituteur sorti de William Ponty qui marquera de son empreinte l’essor du football à Bobo-Dioulasso en tant qu’éminent dirigeant au niveau du district de football dont il fut le deuxième président de 1949 à 1950. En tant qu’élu local, il contribua beaucoup, aux côtés de Maître Lingan…………. à la construction du stade Municipal, aujourd’hui stade Wobi. L’équipe Bobo-sport qui a beaucoup marqué l’histoire du football à Bobo-Dioulasso par son dynamisme et sa détermination fut demi-finaliste malheureuse de la coupe de l’A.O.F en 1958.
En avril 1948, on assiste à la création de l’A.S.F.B (Association sportive des fonctionnaires de Bobo-Dioulasso) par un groupe de jeunes fonctionnaires dont Diallo Ousséni, Mobio Etienne, Camara Tiémoko, André Tall. A ses débuts, cette équipe ne regroupait que les agents de l’administration coloniale d’où son nom A.S.F.B. Il semble même que, pour étoffer son effectif de façon durable, tout était mis en œuvre pour que les meilleurs joueurs qui n’étaient pas fonctionnaires soient systématiquement recrutés dans l’administration publique. Le premier président du club fut monsieur Raoul Vicens. L’ASFB s’illustra, elle aussi en 1959, en atteignant les demi-finales de la Coupe de l’A.O.F.
L’année suivante, en 1949 donc, c’est la création du R.C.B (Racing Club de Bobo) à partir de la fusion d’une partie de l’U.S.B et de l’Union soudanaise (équipe issue d’une amicale regroupant essentiellement des ressortissants maliens du quartier Sikassossira). Les artisans de ce regroupement sont Touré Karamoko dit Dubois et surtout Namoko Moussa un des tous premiers pionniers du football bobolais et même burkinabé car doté d’une riche expérience en matière de football depuis Bamako où il pratiquait déjà ce sport. Entre 1950 et 1956, on assiste à la création d’une multitude de clubs de football. En premier lieu, c’est l’ASRAN (Association sportive du réseau Abidjan Niger), d’abord dénommée Réseau avant de devenir l’USFRAN, qui est fondée par Compaoré Léon au sein de la régie de chemin de fer Abidjan-Niger. Puis, le Stade olympique est créé par un commissaire de police européen, grand passionné et pratiquant de football, le commissaire Moizan. Cette équipe essentiellement composée d’européens eut une vie très éphémère. Ensuite, Aïdara Ali, un employé de la maison de commerce Peyrissac fonde l’équipe Jeunesse. A la même époque, l’équipe Foyer est constituée par Fofana Tidiane au quartier Kombougou. Un peu plus tard, notamment à partir de 1956, de nombreux autres clubs de football sont créés ça et là, à travers la ville. On peut citer le Club Athletic, le Renaissance Club de Darsalamy, les clubs Espoir et Guimbi. Même la célèbre école de santé, l’école Jamot, crée sa propre équipe de football. Ce bref tableau atteste assez bien d’un essor non négligeable du football et d’un grand engouement populaire pour ce sport à Bobo-Dioulasso entre 1947 et 1960[5].
2- La situation à Ouagadougou : Les témoignages les plus reculés et les plus fiables attestent qu’à Ouagadougou, aussi, il existait après les années 1920, en dehors des paroisses et des écoles publiques où la pratique des disciplines sportives avait cours, deux clubs de football réellement fonctionnels. Il s’agissait de l’Équipe militaire de l’armée française composée uniquement des éléments de la troupe et de l’Association sportive voltaïque qui regroupait des pratiquants issus principalement des fonctionnaires et des autres catégories socio professionnelles. Le démantèlement de la colonie de Haute-Volta, en 1932, mis rapidement fin à l’intérêt, de plus en plus croissant, pour le football qui à l’époque commençait à prendre le pas sur la discipline sportive qui constituaient l’activité récréative la plus prisée à Ouagadougou, à savoir les courses de chevaux. La reconstitution de la Haute-Volta en 1947 et la confirmation de Ouagadougou comme capitale, marque, en fait, le point de départ de l’implantation des différentes disciplines sportives et notamment du football dans la ville. Cela s’explique par l’arrivée massive de cadres et de fonctionnaires affectés dans la colonie. En effet, ceux-ci se mirent à créer de nombreux clubs de football à l’image des clubs qui existaient dans leurs pays d’origine (il faut noter, en effet, que les pays côtiers et les grandes agglomérations comme Bamako, Dakar et Abidjan qui abritaient les sièges importants de l’administration coloniale ont connu plus tôt la pénétration et le développement du football que les colonies françaises les plus reculées comme la Haute-Volta ou le Niger). A cela, il faut ajouter le rôle très important joué par certaines personnalités passionnées de football comme monsieur Mallet, fonctionnaire français à la trésorerie générale de la colonie de Haute-Volta et l’Abbé Ambroise. En 1951, des fonctionnaires dahoméens et togolais (les plus nombreux dans l’administration coloniale) créèrent le Modèle sport de Ouagadougou. L’année suivante, en 1952, l’Abbé Ambroise créé le club Charles Lwanga, en souvenir du martyr ougandais du même nom. Entre 1953 et 1954 on assiste à la création de nombreux autres clubs. On peut citer parmi les plus importants : l’Équipe nouvelle, Champions des sports, le Cercle athlétique de Ouagadougou (crée par monsieur Mallet) et l’Association sportive des commerçants de Ouagadougou (créée et financée par les commerçants et hommes d’affaires libanais) avec Michel Adifé comme président. En 1955, suite à une querelle de leadership intervenue au sein du Modèle sport qui entraîna une scission, on assiste à la création de deux (2) nouvelles équipes à savoir : l’Alliance sportive de Ouagadougou et le Racing club. Il faut noter, cependant, que la caractéristique principale des clubs à cette époque était leur très grande instabilité en raison du fait que la majorité de leurs effectifs était constituée par des fonctionnaires qui, pour les besoins de l’administration coloniale pouvaient être mutés ou affectés à souhait dans les différentes colonies françaises. Le départ d’éléments clés pouvait, ainsi, contribuer à la chute ou même à la disparition de certains clubs. C’est ainsi, qu’en 1954, suite à l’affection de plusieurs membres de l’Équipe nouvelle, le restant de l’effectif rejoignit l’équipe Charles Lwanga de Ouagadougou. Le même phénomène entraîna en 1955 la fusion de Charles Lwanga et du Racing Club de Ouagadougou pour former la Jeanne d’Arc de Ouagadougou. Enfin, en 1956, l’Étoile filante est créée par Kouanda Omar. Telle était, succinctement brossée, la configuration des différentes équipes de football à Ouagadougou jusqu’en 1956. Cette situation ne changea pas fondamentalement jusqu’aux premières années des indépendances de 1960. Les compétitions se déroulaient au vieux stade Grivat dans l’enceinte de la mission catholique avant de se transférer sur le site de l’actuel Stade Municipal construit sous l’égide de monsieur Mallet président du district de football de Ouagadougou[6].
L’ouverture manquée du sport scolaire
Unedes grandes chances pour une efficacité durable du sport moderne africain aurait pu être l’organisation du sport scolaire qui pouvait servir de base solide à son développement. Celui-ci avait, en effet, réussi à prendre un essor très louable grâce au dynamisme des organismes et des hommes qui en assumaient la responsabilité (missionnaires, instituteurs, maîtres d’éducation physique et professeurs). Mieux, grâce au développement des écoles dans les provinces reculées, le sport scolaire pu pénétrer dans les campagnes où il connut un grand engouement au sein de la jeunesse. Mais, l’incapacité des pouvoirs publics à maintenir le système conduira le sport scolaire à la faillite, dans la plupart des pays africains. Pourtant l’introduction des activités sportives et physiques dans les provinces a beaucoup contribué au développement tant quantitatif que qualitatif des disciplines sportives dans l’ensemble du continent africain. Au Burkina Faso, on peut rappeler, pour mémoire, le rôle joué, dans la vulgarisation des différentes disciplines sportives, par des établissements scolaires publics et privés comme les lycées Philippe Zinda Kaboré de Ouagadougou et Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, l’Ecole des enfants de troupe de Ouagadougou, le Cours Normal de Koudougou et celui de Ouahigouya, le collège de la Salle, le collège Moukassa, ceux de Toussiana, et de Fada N’Gourma sans oublier les grands séminaires de Pabré et de Koumi, le Patro Saint Vincent de Paul de Bobo-Dioulasso, etc., qui ont tous marqué de leurs empreintes les compétitions sportives au Burkina Faso et qui constituaient de véritables pépinières pour les différents clubs et même pour les équipes nationales. Aujourd’hui, la situation s’est terriblement détériorée et seules les grandes villes comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso font péniblement quelques efforts pour maintenir et entretenir des athlètes dans les différentes disciplines sportives. Il n’y a pratiquement plus d’éducation physique dans le primaire, le secondaire et l’université burkinabé. Même l’USSBF (Union Scolaire du Sport au Burkina Faso) qui a pourtant suscité beaucoup d’espoir, peine à retrouver ses marques.
Fétichisme et superstitions
On ne peut pas analyser l’évolution du sport sans évoquer la détestable pratique des « croyances occultes » qui préside encore à toutes les manifestations sportives en Afrique noire. Ce phénomène a trouvé un terrain propice de propagation pour deux raisons essentielles : le manque d’éducation sportive et la déperdition de sa base culturelle traditionnelle, suite à l’introduction du sport importé, mais aussi parce que le terrain était propice pour cela dans la mesure où l’on sait que les rites initiatiques présidaient à toutes les manifestations de la vie de l’africain, y compris dans le domaine des activités sportives. En réalité, il n’y aurait eu aucun mal si l’on avait continué les pratiques rituelles comme par le passé. Mais, avec l’introduction du mercantilisme et de la nécessité de la victoire à tout prix, les hommes-sorciers et les charlatans de toutes sortes trouvèrent une proie facile en ceux qui croyaient à l’impulsion des cérémonies rituelles d’antan. Ainsi, le passage du sport traditionnel au sport moderne rata complètement sa mutation et le cancer de la superstition s’incrusta dans les mentalités de la plupart des pratiquants et responsables sportifs africains avec des conséquences néfastes que l’on peut constater jusqu’à nos jours. Ainsi, il arrive que pour « préparer » un important match de football, même au niveau international, on fasse quasi officiellement appel à des charlatans de service, le plus souvent malingre et rachitique et ne connaissant absolument rien aux choses sportives. Il est même arrivé à des champions cyclistes de sacrifier des fortunes pour acquérir des « amulettes du souffle » qui devaient les rendre infatigables. Ils sont plutôt devenus des jouets sans roues entre les mains de ces féticheurs. On pourrait multiplier à foison les exemples en la matière. Le fétiche s’est donc érigé, en Afrique noire, en institution dans le domaine du sport, surtout en ce qui concerne le football. De nos jours encore, la « préparation » des sportifs est devenue un commerce lucratif et les équipes affectent chaque saison, une part importante de leur budget à la « préparation psychologique des joueurs » aux dépens de leurs primes. Mais, ironie du sort, les « chefs féticheurs » d’aujourd’hui ne préparent plus l’offrande rituelle sur l’Autel sacré du lieu d’initiation. Il n’y a plus ni offrande, ni autel, ni initiation. Reste le mercantilisme à tous les degrés, la décadence des mœurs et l’irrationalité.
La « politisation » du sport
«La philosophie qui veut que sport et politique ne se mélangent pas est spécieuse et hypocrite. Les exploits sportifs sont aujourd’hui utilisés comme étalon de la grandeur d’un pays». Ainsi s’exprimait H. Adefope, ministre des affaires étrangères du Nigéria après la Coupe du Monde de 1994. Ce point de vue, qui est souvent défendu est pourtant quelque peu spécieux. Dès la fin du XIXe siècle, certains individus, partis ou Etats utilisent le sport pour conforter ou développer leurs conceptions politiques et idéologiques. Ainsi, par exemple, dans la société européenne de l’entre-deux-guerres, le sport devient un enjeu de tout premier plan et l’Afrique n’échappe pas à ce phénomène. C’est dans cette voie de « kermesses sportives » que les nouveaux Etats en construction s’engagèrent la jeunesse africaine. Cela contribuera à développer une tendance au clanisme, au régionalisme et au tribalisme sous le prétexte, fort contestable, de maintenir et exciter un nationalisme naissant. Les jeux compétitifs devinrent l’apanage des jeunes Républiques noires au même titre et même de façon plus remarquable que les « fêtes » de l’indépendance. Les premières tensions sérieuses dues à des excès de nationalisme ne tardèrent pas à voir le jour dans le domaine sportif. C’est ainsi que, pour la première fois, dans l’Afrique des indépendances, le sport fut à la base d’un grave litige qui faillit se transformer en conflit entre deux Etats africains. En effet, lors d’un match de football entre le Congo Brazzaville et le Gabon en 1962, suite à un but refusé à l’équipe congolaise, les joueurs et supporters gabonais furent molestés à Brazzaville. En retour, les ressortissants congolais résidant à Libreville furent pris à partie au Gabon. Conséquences : les représailles à Brazzaville et les manifestations à Libreville firent une dizaine de morts et des centaines de blessés. Une grave crise s’installa entre les deux pays dont les présidents Léon Mba et Philibert Youlou se rendirent mutuellement responsables des faits. La situation fut jugée si inquiétante pour « l’unité africaine », qu’une table ronde autour de la question fut organisée à Douala, sous la direction du Président Ahmadou Ahidjo pour résorber la crise. C’était la « belle époque » des jeux de l’amitié, de ceux de la communauté, des jeux panafricains etc., qui ont souvent été le terrain de manifestations d’un nationalisme étroit, véritable handicap pour la pérennisation de ces manifestations. La pratique du sport traditionnel perdit donc, petit à petit, son aura et son succès antérieurs. Une partie de la jeunesse continua de le pratiquer mais le contact fut coupé avec le terroir. Quant au sport importé sa trajectoire d’évolution ne fut guère plus reluisante. Dans la plupart des pays africains, le sport de compétitions rencontre d’énormes problèmes de structuration et d’organisation aggravé par un mercantilisme qui y a sauté les pieds joints. Les meilleurs athlètes africains sont actuellement obligés de s’expatrier ou de changer de nationalité pour évoluer dans de meilleures conditions et pour faire carrière.
CONCLUSION
En définitive, la situation ne semble guère brillante pour l’avenir du sport africain ; le sport étant entendu comme activités d’Education Physique et Sportive qui participent à la formation des individus. Les dirigeants africains en acceptant et en imposant à leurs peuples une vision du sport totalement étrangère à leurs cultures, ont entamé un processus de destruction de la base de ce qui constituait son fondement et le levain qui permettait son essor dans nos sociétés traditionnelles. Ainsi, on assiste, aujourd’hui, à une sorte de standardisation, à une seule façon de concevoir et de pratiquer le sport qui, petit à petit, tombe sous le contrôle des grandes firmes multinationales, des grands clubs et de la publicité. La pratique sportive dans sa conception éducatrice et culturelle, « mens sano, in corpore sano », tend à disparaître. Avec lui, toutes les valeurs rattachées à nos cultures. Des bases objectives pour sa régression. Il ne s’agit point de proscrire des activités majeures réservées à l’élite comme, par exemple, participer à des compétitions sur le plan international, organiser une Coupe d’Afrique des Nations ou y participer. Il convient aussi de songer à assurer la santé physique, mentale et culturelle de tout le peuple grâce à l’organisation et à la réalisation d’activités sportives et récréatives. Les deux volets ne sont point contradictoires, sinon même qu’ils sont complémentaires. Le premier atout, le potentiel de base, pour développer un pays est bâti sur la santé physique et mentale du peuple. Cela doit être la préoccupation fondamentale de tout responsable. Du pouvoir (autorités publiques et traditionnelles en tête) en passant par la famille, les écoles et les lieux de travail). C’est en procédant ainsi et en se souciant de la santé de la communauté toute entière que nos structures traditionnelles ont su garder chez l’indigène cette inépuisable vitalité qui a permis que malgré la traite barbare des esclaves, le génocide n’a pas eu lieu.
[1] Une épopée peule : « Silamaka », traduit par Amadou Hampâté Ba et Lilian Kesteloot
[2] Cf. les écrits d’ Amadou Hampâté Ba, d’Iwiye Kala-Lobe, de Nazi Boni, d’Ahmadou Kourouma, de Maryse Condé, etc.
[3] Cf. les personnages de Téré dans « crépuscule des temps anciens » de Nazi Boni, de Silamaka, de BakaryDjan ou d’Hambodédjo (Hama le Rouge) dans l’épopée peule et mandingue.
[4] Iwiye Kala-Lobe, la vocation africaine du sport, Présence africaine, 1962
[5] Pour en savoir plus (cf. l’ouvrage de Sanou Bruno Doti intitulé : le football à Bobo-Dioulasso. Des origines aux années 1980)
[6] Pour en savoir plus (cf. l’ouvrage d’Elliot Skinner : the urbanisation of Ouagadougou)
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