Guy Le Moal n'est plus
GUY LE MOAL N’EST PLUS
Un homme vient de disparaître, un grand chercheur, un homme d’action sans lequel le Centre Voltaïque de la Recherche Scientifique (CVRS), actuel Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) et ancien Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN) n’aurait pas vu le jour. En effet, à partir d’un projet mal vu à ses débuts, la ténacité de Guy Le MOAL, ce jeune ethnologue français qui deviendra par la suite un grand spécialiste des Bobos et tout particulièrement de leurs masques, aboutira à la construction d’un bâtiment d’un étage en « dur », à l’époque où la quasi-totalité des habitations de Ouagadougou était en banco, pour abriter la section IFAN de Haute-Volta. De nos jours, c’est ce même bâtiment, plein d’histoire et de témoignages qui abrite encore la Délégation Générale du CNRST. Pour l’histoire et pour les jeunes générations afin qu’elles se pénètrent de l’histoire de notre pays, le Burkina Faso, il n’est pas mauvais de se plonger dans le passé. Ainsi, il n’est pas superflu de noter que l’introduction de la recherche scientifique en Haute Volta date de l’époque coloniale, suite au partage de l’Afrique au Congrès de 1885 de Berlin par les puissances coloniales. On assista alors au sillonnement du Continent par de nombreuses missions d’exploration et de recherche afin de mieux évaluer les potentialités et les connaissances des sociétés africaines. Ce travail de prospection s’effectua essentiellement sous la houlette des administrateurs, de médecins, de militaires et d’enseignants. Et c’est tout naturellement suite à cette prospection préalable que les premières stations expérimentales, comme celle de Saria, qui fut créée en 1925, virent le jour dans la plupart des colonies françaises. En 1937, l’Office de la Recherche Scientifique Coloniale d’Outre Mer (ORSC) fut crée. C’était sous le régime du Front Populaire en France avec Marius Moutet comme Ministre des colonies. Cet acte traduisait l’impérieuse nécessité d’organiser scientifiquement les colonies françaises aux dires même du Ministre, lors d’un Congrès scientifique tenu en marge de l’Exposition Internationale de Paris de 1938. Se basant donc sur les fondements de l’ORSC, Théodore Monod, ce chercheur polyvalent (botaniste, géologue, préhistorien et anthropologue) s’implique pour créer IFAN, en 1938, à Dakar avec comme objectif : mettre en place des ramifications de cette structure dans toutes les autres colonies françaises. Quelques temps après, l’ORSC viendra renforcer l’IFAN et de cette fusion naîtra l’Office de Recherche Scientifique d’Outre Mer (ORSTOM) actuellement Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Du fait de sa division, (est-il nécessaire de rappeler qu’à cette époque notre pays démantelé en 1932 ne fut reconstitué qu’en 1947 ; le courage de nos combattants sur le front de la 2ème guerre mondiale 1939-45 n’y est pas étranger, de même que l’engagement sans réserve d’illustres chefs coutumiers dont le Mogho Naba Saaga), notre pays a été l’une des dernières colonies françaises à disposer d’une structure de recherche comparativement aux autres pays de l’AOF et cela d’autant plus que la récession économique consécutive à la Grande Guerre n’y était pas étranger. Pour mémoire, il convient de souligner ici que lors du vote du budget à l’Assemblée du grand Conseil de l’AOF (aux dires mêmes de feu Ouédraogo Bougouraoua, Grand Conseiller de l’AOF à l’époque) l’obtention du maigre budget prévu pour la mise en place d’une section IFAN en Haute Volta fut obtenu qu’après d’âpres débats car ledit budget était très étroitement convoité par les services de la Police de Dakar pour s’équiper en matériel. Cependant, des initiatives individuelles se développent et c’est ainsi qu’en 1950, grâce à l’appui de Théodore Monod et à la détermination de Guy Le Moal, le Centre IFAN de Haute Volta est enfin crée. Il sera dirigé jusqu’en 1962 par ce grand chercheur que fut Guy Le Moal. Outre sa grande contribution et sa nette implication en relation avec le Pr Théodore Monod, Directeur Général de l’IFAN, pour la mise en place de la première structure de recherche en Haute Volta, Guy Le Moal, ethnologue et anthropologue émérite et d’une grande ouverture d’esprit, s’est surtout consacré à des recherches profondes sur les Bobos[1], ethnie de l’Ouest Burkina. L’homme est très connu des vieilles générations de la région de Kouka et de Kouroumani, dans l’actuel Banwa, qui était sa zone principale d’étude. Une de ses premières publications, si ce n’est même la toute première, date de 1957. Il est intitulé : « Note sur les populations « Bobos » » (cf. Bull de l’IFAN, T.XIX, série B, n° 3-4, 1957). Dans ce texte, il s’attèle avec compétence rigueur et passion à la restitution des appellations véritables des noms des ethnies tels qu’elles se le donnaient elles-mêmes afin de pallier aux nombreuses confusions entretenues par la littérature ethnologique ainsi que par les administrateurs coloniaux. Ensuite, en 1960, on lui doit l’article : « Les habitations semi-souterraines en Afrique de l’Ouest (Haute-Volta) », paru dans Le Journal de la Société des Africanistes, TXXX, 2, pp. 93–203. Spécialiste des Bobos et particulièrement de leurs masques, on lui doit l’énorme thèse : « Les Bobo. Nature et fonction des masques » (Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale, 1999 (rééd.), 328 p.). Publié pour la première fois en 1980, cet ouvrage de Guy Le Moal constitue une source de documentation ethnographique précieuse sur les objets et les rituels de cette société. Découpé en quatre parties, il se présente sous la forme des monographies classiques de l’ethnographie française. Ce travail sera suivi par : « Les voies de la rupture. Veuves et orphelins face aux tâches du deuil dans le rituel funéraire bobo ». On lui doit aussi divers publications dont « Vestiges préhistoriques du pays Bobo », parue en 1982 dans les Cahiers de l’ORSTOM, B, XVIII, 1, pp. 255–259. Dans son dernier ouvrage : « Masques bobo, vie, formes et couleur », paru en avril 2008, Guy le Moal nous situe sur la religion et les masques bobo. Il s’y attarde sur les masques feuilles et leur mission à travers le mythe cosmogonique qui constitue la base de tout le dogme bobo. L’ouvrage est réparti en cinq parties : La première partie est intitulé « Les Bobo dans le siècle et dans l’histoire » ; la deuxième traite des « Mythes et divinités majeures » ; la troisième s’appesantit sur « Le grand retour des masques » ; la quatrième décrit « Les masques en tête de bois sculpté » et enfin l’ouvrage se termine par une description des « Principales tribus allogènes installées en pays bobo ». Cet excellent document servira, du reste, de support à un entretien filmé par Pierre SABBAGH de l’INA (France).
[1] A ne pas confondre avec les Bwaba improprement appelés Bobo Oulé par certains auteurs et que l’administration coloniale à adoptée.
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