L’Afrique, l'Occident et la mondialisation
Dans l’histoire de l’humanité, on peut constater que ceux qui développent une faculté universelle de penser l’emportent, à la longue, sur ceux qui l’étouffent ou la négligent comme c’est souvent le cas en Afrique. C’est cette faculté de penser et de concevoir qui fournit une base ferme à notre autonomie et à l’égalité avec les autres. C’est donc grâce à elle que l’homme s’élève et se donne d’autres alternatives possibles, qu’il les compare, les confronte afin de comprendre et maîtriser leurs réalisations ; qu’il accroît son savoir et partant son pouvoir de prévoir et d’agir sur les choses ; d’élaborer des projets en limitant considérablement ses tâtonnements et ses risques d’erreurs. En définitive, l’acquisition du savoir et de la connaissance doit amener l’homme à augmenter son emprise sur le réel et améliorer sa condition dans le monde. Cela est aussi valable pour les Etats et les peuples car le niveau de développement de la pensée et le degré de savoir atteint par un peuple ou dans un pays culmine avec l’affirmation de la puissance de ce peuple ou de ce pays. Cela peut se vérifier historiquement depuis l’Egypte, la Grèce et la Chine anciennes, puis l’Europe moderne (Angleterre, France, Allemagne) ensuite l’URSS des soviets et les USA. Actuellement, le centre du monde est entrain de se déplacer encore vers l’Asie. L’on est donc obligé de s’accorder que les façons de penser de l’Occident ne sont pas les seules valables et qu’il existe des alternatives au système occidental de compréhension du monde. Et cela d’autant plus que la caractéristique majeure actuelle de l’évolution mondiale est l’émergence de grands pays (des pays continents même) que sont la Chine, l’Inde et le Brésil sans oublier les autres petits dragons émergents. Il est évident pour tout esprit lucide, même au sein du système capitaliste mondial, que dans quelques décennies, la prospérité matérielle ne sera plus l’apanage de l’Occident. Déjà, ce dernier ne possède plus le monopole sur la production de valeurs à prétention universelle. Pour nous autres africains et burkinabé particulièrement, ces constats nous interpellent sur la nécessité de réfléchir et de travailler davantage à une renaissance de notre pensée et de notre compréhension du monde pour être à même de prendre en charge notre destin politique et économique si nous voulons devenir des pays modernes capables de s’assumer afin de jouer un rôle dans le monde actuel.
La situation actuelle de l’Afrique noire
L’on a trop tendance à représenter les problèmes qui freinent l’émancipation du continent noir africain en les liant à son retard sur les plans scientifique et technique, à son aptitude ou non au développement, à l’inexistence de la démocratie avec comme prisme la vision que l’Occident nous en donne. Alors que la démocratie occidentale n’est pas une panacée pour assumer son avenir comme nous le montre l’exemple des pays émergents de l’Asie et d’Amérique. Elle n’est, en fait, qu’un discours symbolique au moyen duquel une minorité de politiciens, de financiers, de militaires, d’ecclésiastiques, etc., asservit une majorité consentante. Si l’Afrique, notamment l’Afrique au sud du Sahara, tient à se développer sur le modèle occidental, elle ira droit à sa perte, elle sera condamnée à mourir. En effet, l’Afrique noire d’aujourd’hui (à commencer par le Burkina Faso dont les dirigeants prétendent en faire une nation émergente), sur les plans politique, économique comme géographique, n’est qu’un produit d’une stratégie occidentale, une sorte de succursale du monde occidental qui l’utilise et le présure en fonction de ses besoins. Il est évident aujourd’hui que les « indépendances » n’ont été que des acquisitions fictives et jusqu’à présent la grande majorité des Etats d’Afrique noire, à l’image du Burkina Faso, demeurent des terres occupées, des proto-nations, c'est-à-dire de vraies-fausses nations que Jean Ziegler avait, il y a déjà un bout de temps décrit ainsi : « La proto-nation est aujourd’hui la forme la plus répandue en Afrique. Je le répète : elle n’est pas une étape sur le chemin de la construction nationale. Elle n’est pas non plus une forme pervertie de nation achevée et qui aurait périclité. La proto-nation est une formation sociale sui generis. Elle est une pure création de l’impérialisme. Cette mainmise est admirablement camouflée. Un gouvernement « indépendant » règne formellement sur le territoire. Un état autochtone (police, armée, législation du travail, etc.) étouffe toute velléité de révolte ou de revendication contre la spoliation. Une bourgeoisie locale, étroitement associée aux organes de spoliation, vit des miettes de l’exploitation impérialiste du pays et administre tout. Surtout, cette bourgeoisie produit un discours « nationaliste », un discours « d’indépendance » revendicateur et même révolutionnaire » qui, s’il ne tire jamais à conséquence, agit comme un écran (…) Il ne s’agit pas d’un pillage de type colonial (travail forcé, productions coloniales, exportations de biens coloniaux vers la métropole, impôts sur la personne, etc.). Le système d’exploitation mis au point par le capital multinational dans les proto-nations qu’il gouverne est plus complexe, plus rentable et plus efficace [1]». Presque cinquante (50) ans après les « indépendances », il est dommage que des paroles aussi justes et des vérités aussi fortes aient besoin d’être rappelées. Mais, c’est ça l’Afrique noire actuelle. Tant que l’on refusera de reconnaître cette réalité et de travailler à la reconsidérer afin de lutter pour y mettre fin, aucun développement ne sera possible. Les élites intellectuelles africaines doivent s’en convaincre sinon elles ne seront d’aucune utilité et leurs lamentations seront irrecevables. La situation du Burkina Faso illustre bien cette citation. En effet, aujourd’hui, au Burkina, les groupes qui ont fait main basse sur l’économie nationale ont pour noms Castel, Bolloré (qui offre des vacances dorées au Président Sarkozy), Aga Khan, CFAO et CFDT. Leur poids sur l’économie burkinabé est énorme et contribue à accentuer énormément l’extraversion de celle-ci.
Ainsi, le groupe Bolloré est présent au Burkina Faso dans le tabac, le transport, le transit, et le coton. Il est propriétaire de la manufacture burkinabé de cigarettes (MABUCIG). L'industriel français détient également la Société internationale de transport ferroviaire des personnes et des marchandises (SITARAIL). Il est présent aussi dans le domaine du transit et de la transformation de matières plastiques grâce à ses participations au capital de la SDV-BURKINA ainsi qu’à celui de FASOPLAST. Le groupe CFAO, quant à lui, est le leader dans le commerce, la distribution automobile et de matériel industriel, agricole en Afrique. Au Burkina, il est, en plus, très présent dans les industries du cycle (Yamaha et Peugeot) avec la SIFA. Dans l’activité crédit automobile et biens d’équipement, il détient une part importante du capital de la SOBCA. Ce groupe s’active aussi dans le domaine de la santé et de la pharmacie avec la firme Laborex qui possède sa succursale burkinabé. Le groupe Aga Khan, depuis quelques temps déjà, contrôle de la compagnie aérienne burkinabé, Air Burkina. C’est ce groupe industriel et financier international qui est majoritaire avec 56 % des parts. L'Aga Khan est aussi majoritairement présent au Burkina Faso dans l’entreprise sucrière, SN-Sosuco, et dans le plastique avec la société Faso Plast. Le groupe CFDT, une des plus grosses et vielles maisons françaises installées en Afrique, contrôle, quant à lui, la transformation et la commercialisation du coton au Burkina Faso à travers la SOFITEX, la première pourvoyeuse de devises du pays. Il est aussi le numéro un dans la production d’huiles, de savons, de pâtes dentifrice et d’aliments de bétail avec son unité SN-CITEC installé à Bobo-Dioulasso.
Enfin, le groupe Castel est présent au Burkina Faso dans l’eau minérale, les boissons gazeuses et la bière, marché sur lequel il est leader en Afrique francophone. Au Burkina Faso, il détient majoritairement, la Brakina. En outre, ce groupe participe au capital de la Générale des Banques du Burkina (SGBB) à hauteur de 15%. En dehors de ces groupes qui détiennent la part du Lion au Burkina, on peut dénombrer au moins 48 filiales de groupes français[2] résidant au Burkina Faso et évoluant dans des domaines aussi variés que les banques et les assurances (BICIA-B, Bank of Africa, Foncias, SGBB) ; les mines et les forages (ANTEA-BRGM) ; la distribution d’intrants et de pesticides (ASTERIA, SAPHYTO, SCAB) ; les télécommunications et l’informatique (GRAPHI-SERVICE, COFATEL) ; les travaux publics (DTP-Bouygues, SOGEA-SATOM, Razel, Colas) ; la pharmacie (CO.PHA.DIS, Laborex), etc. Après ce constat, on peut mieux apprécier les propos stupéfiants du président français Nicolas Sarkozy (l’ami des Bolloré et autres) à l’université Cheikh Anta Diop, une Université qui porte le nom de l’un des plus grands penseurs de la renaissance africaine. Reprenant, presque mot pour mot, le philosophe allemand Hegel[3], il s’exprimait ainsi : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire (…) Jamais il ne s’élance vers l’avenir (…) Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout est écrit d’avance (…) Il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès ». Au-delà de l’incongruité de ses propos, Nicolas Sarkozy renoue ainsi avec le discours de légitimation de la conquête coloniale qui justifiait la « mission civilisatrice » de la France dans les colonies par l’incapacité de l’âme primitive à « entrer dans l’Histoire », à mettre en valeur les fabuleuses richesses du continent et à épouser les idées du « Progrès », toute engluée qu’elle était dans « l’immobilité » de la Tradition. L’avenir des Bolloré et autres Bouygues et ELF est encore radieux en Afrique.
La dimension identitaire et culturelle du développement en Afrique
Cette importante question interpelle les dirigeants et les élites africains sur la nécessité d’assimiler, les langues, la culture et l’histoire de leurs sociétés pour prétendre travailler à la libération réelle de leurs peuples au lieu de s’épuiser à soutenir et à valoriser des causes et des structures étrangères à leur culture. Le problème n’est donc pas de proposer à l’Afrique noire et partant au Burkina Faso une solution pour se redresser, mais plutôt de rechercher en profondeur, de lui redonner une âme, une conscience historique, une conscience nationale. A défaut de cela, aucune logique de développement n’est viable et n’a sa place. Il nous faut donc reconnaître notre conscience identitaire comme le début d’une conscience nationale moderne. En effet, sans un passé dûment reconnu et consciemment intériorisé et mis en valeur, aucun peuple n’a jamais pu se construire un présent stable et assurer son avenir de façon prometteuse. C’est ce qu’ont pu réaliser beaucoup de pays asiatiques et sud américains aujourd’hui traités et reconnus avec envie de pays émergents et qui sont entrain de modifier l’ordre mondial actuel. Ces pays ont su opérer une rupture identitaire et culturelle avec l’Occident. En effet, les peuples de ces pays avec leurs élites intellectuelles en tête n’ont jamais renoncé à leurs racines culturelles (langues, cultures, valeurs et patrimoine) contrairement aux pays d’Afrique noire où la langue officielle et des institutions est celle du colonisateur. Le résultat se traduit par un climat d’aliénation extrêmement poussé à même de maintenir et pérenniser la domination et l’exploitation par l’occident. En Afrique même, des pays comme le Maroc et l’Egypte sont des nations homogènes et respectés parce qu’elles peuvent se réclamer d’un enracinement profond à leur histoire et à leur terre. C’est la voie à suivre pour que beaucoup de nos complexes accumulés dans nos consciences tombent d’eux-mêmes dès que cette prise de conscience pénètre notre cerveau. Il nous faut reconquérir l’initiative historique afin que l’Afrique noire se repositionne dans le système actuel de la mondialisation en tant qu’acteur et non comme sujet ou consommateur uniquement.
Les africains devront, de plus en plus, se convaincre que la résolution des nombreux maux qui s’opposent au développement total du continent ne saurait se limiter seulement aux questions économiques et politiques. Loin s’en faut. Il s'agit donc de comprendre que par rapport à cette problématique, ils doivent désormais intégrer, à partir de recherches approfondies, les données nouvelles et/ou inconnues de l'histoire et de la culture de leurs peuples. Il est tout à fait reconnu aujourd’hui que la culture est l’un des éléments fondamentaux dans la construction de l’individu. Toute connaissance quelque soit son origine est un produit culturel du fait que c’est notre rapport au monde, régi par notre culture qui crée, favorise ou inhibe les conditions de son existence. Il nous faut donc aller nous ressourcer dans les eaux pures de nos traditions et de notre civilisation pour mieux affronter le monde actuel. Nous organiser et resserrer nos rangs pour mieux étudier nos problèmes et travailler à trouver des propositions et des alternatives crédibles pour les résoudre.
Conclusion
En définitive, les africains doivent sérieusement intégrer le fait qu’aucun pays au monde n’a pu accéder aux grandes transformations sans secousses révolutionnaires et sans d’énormes sacrifices. Dans aucun pays au monde, les droits humains et économiques n’ont été octroyés aux citoyens et aux peuples. Ils ont toujours été arrachés par la lutte, souvent au prix fort. Dans cette lutte, le volet culturel et linguistique ne saurait être négligé car c’est en oeuvrant à désencombrer leur conscience des pesanteurs idéologiques consécutives à plusieurs siècles d’esclavage, de domination coloniale et néocoloniale que les africains et les burkinabé pourront assumer pleinement leur destin et tracer la voie de leur propre développement. Le Père Englebert Mveng avait tout à fait raison d’interpeller les africains ainsi : « il faut enfin abandonner la négation de nous-mêmes par nous-mêmes, née de la dépersonnalisation coloniale, pour accéder à l’humble affirmation de notre volonté de vivre, d’autant plus ferme et d’autant plus humble que nous sommes sans illusion, aux prises avec l’expérience quotidienne de nos propres limites (…) Il faut que l’Afrique cesse de subsister pour de nouveau exister ». Cependant, «Il est vain de vouloir penser désormais le destin de l’Afrique en dehors du destin du monde ».
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