Conscience Nègre

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"Les premiers pas de la FEANF" (1950-1955)

LU POUR VOUS

« Les premiers pas de la Fédération des étudiants noirs en France (FEANF) (1950-1955), de l’Union française à Bandoung » d’Amady Aly Dieng

Par Diallo Amadou

 De toutes les études consacrées jusqu’à présent à l’histoire de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), cet ouvrage du professeur Amady Aly Dieng est, certainement, l’un des plus fouillés et des plus riches. C’est à juste titre, d’ailleurs, que Samir Amin qui l’a préfacé et qui, à l’époque de la création de la FEANF, était étudiant à Paris et militait dans les organisations anticolonialistes s’exprime ainsi : « Les organisations étudiantes de la période de l’après-Deuxième Guerre mondiale constituaient un segment important de la grande vague des mouvements de libération nationale qui ont transformé la face du monde, assurant aux peuples d’Asie et d’Afrique la reconquête de leur indépendance politique. Ce livre, fruit d’une recherche méticuleuse, comble une lacune sérieuse concernant l’histoire de ces organisations ». En effet, cet ouvrage oeuvre admirablement à situer la contribution et le rôle du mouvement étudiant des colonies d’Afrique noire sous domination française dans l’ensemble des luttes anti-coloniales et anti-impérialistes sur le continent, en même temps qu’il permet d’en saisir la portée et les limites.

L’auteur

Le professeur Amady Aly Dieng est né le 22 février 1932 à Tivouane au Sénégal. Ses premiers contacts avec le mouvement étudiant date des années 1950 alors qu’il était étudiant en lettres et droit au centre des hautes études de Dakar créé en 1950 (décret n°50-414 du 6 avril 1950), année aussi de la création de l’Association Générale des Etudiants de Dakar (AGED) qui a vu le jour le 22 décembre 1950 et qui est devenue, en 1956, l’Union Générale des Etudiants d’Afrique de l’Ouest (UGEAO). Trois fois membre du bureau de l’AGED au poste de secrétaire général (1953-54, 1954-55 et 1955-56), Amady Aly Dieng poursuivra, à partir de 1957, ses études en France où il obtiendra son doctorat ès sciences économiques. Sa carrière militante connaîtra aussi une ascension fulgurante car, à partir de 1958, il sera porté par trois fois au comité exécutif de la FEANF, d’abord, en tant que vice-président chargé des affaires culturelles lors du Xe Congrès (27-31 décembre 1958) et ensuite comme Président en 1961 et 1962. Actuellement, enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop, Amady Aly Dieng est aussi un des membres fondateurs du CODESRIA en compagnie d’éminentes personnalités scientifiques comme Samir Amin, Alpha Konaré…..etc. Ancien disciple de Cheikh Anta Diop, cet «éternel étudiant du Codesria », comme il se définissait lui-même en Octobre 2003, lors des manifestations commémoratives du 30è anniversaire de la création de cette illustre Institution, a écrit une masse considérable et pertinente d’articles scientifiques et publié plusieurs ouvrages dans les domaines de l’économie, de la politique et de la philosophique en rapport avec le développement et l’avenir de l’Afrique. A ce titre, il peut être considéré comme l’un des plus grands spécialistes des problèmes et questions théoriques et politiques du développement du continent africain. Son ouvrage que nous nous proposons de vous présenter comporte sept chapitres soutenus et renforcés par soixante quatre pages d’annexes constitués de documents rares et inédits d’une très grande valeur.

La situation et l’organisation des étudiants africains en France avant la création de la FEANF 

Dans ce chapitre, Amady Aly Dieng fait l’état des lieux sur la situation des étudiants africains en France entre 1900 et 1945. Il est caractérisé par un nombre très réduit d’étudiants d’Afrique noire (moins d’une centaine d’étudiants africains et malgaches en 1941, selon un recensement de l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF). On peut retenir des noms connus comme ceux de Léopold Sédar Senghor, Sourou Migan Apithy, Alioune Diop, Abdoulaye Ly, Quenoum Tovalou, Marc Sankalé, etc. On note, par contre, la présence d’un nombre plus importante d’étudiants asiatiques, nord-africains et antillais qui sont organisés en associations. A cette époque, les étudiants d’Afrique noire n’étaient pas organisés et, déjà, l’administration française mettait tout en œuvre pour les éloigner des milieux politiques. Cependant, l’année 1933 avait vu la création de l’association des étudiants ouest-africains avec à sa tête Léopold Sédar Senghor. Ses activités, essentiellement culturelles, se limitent à des causeries littéraires. A la fin de la deuxième guerre mondiale, le nombre des élèves et étudiants africains s’accroîtra sensiblement grâce à l’octroi, de plus en plus fréquente, de bourses d’études par l’administration française et grâce à l’intervention de certains parlementaires africains. Mais, rapidement confrontés à des problèmes sociaux et politiques, ceux-ci entreprendront des actions pour revendiquer plus de bourses et un meilleur système d’enseignement dans les colonies. Ce n’est qu’entre 1946 et 1950 que les étudiants d’Afrique noire s’organiseront véritablement en vue de mener des actions culturelles, politiques et syndicales avec notamment la création de l’Association des Etudiants Africains de Paris (AEAP) en 1946. Celle-ci deviendra, par la suite, l’Association Générale des Etudiants Africains de Paris (AGEAP) qui jouera un rôle déterminant dans la création de la FEANF.

A partir de 1945, plusieurs associations regroupées sur la base territoriale verront le jour. Successivement naîtront l’Association des Etudiants de la Côte d’Ivoire (AECI), en juillet 1947 ; l’Association des étudiants du Togo « Jeune Togo », en mars 1947 ; l’Association des Etudiants camerounais, en février 1948 ; l’Association des Etudiants Dahoméens en Fance (AEDF), en 1948. L’Association des étudiants soudanais sera créée en janvier 1949. En octobre 1949, c’est l’Association des Etudiants gabonais qui verra le jour ; Le 16 juillet 1950 voit la création de l’Association des Etudiants de Haute Volta avec Joseph Ki-Zerbo comme président ; l’Association des Etudiants guinéens en France naîtra en octobre 1950. Soit au total huit (8) associations territoriales légalement reconnues. Parallèlement, on assiste à des regroupements d’étudiants d’Afrique noire sur la base académique. En 1950, on dénombrait seize (16) associations d’étudiants africains dans les académies.

A côté de ces associations, on note aussi, l’existence d’organisations politiques qui travaillaient à mobiliser les étudiants africains. On peut citer l’Organisation Collectiviste et égalitaire d’Afrique Noire (OCEAN) préfiguration du Groupe d’études politiques africaines (GEPA) qui deviendra, plus tard, le Groupement africain de recherches et d’études politiques (GAREP) et, enfin, l’Association des Etudiants du Rassemblement Démocratique Africain (AERDA). C’est à l’analyse des activités et de l’influence de ces organisations politiques sur le mouvement étudiant que Dieng consacre le deuxième chapitre de son ouvrage.     

Les regroupements politiques d’étudiants africains en France et leur contribution dans la création de la FEANF

C’est après la deuxième guerre mondiale que l’on assiste à la création des premières organisations politiques regroupant des étudiants et intellectuels d’Afrique noire. Ainsi, le Groupement africain des recherches économiques et politiques (GAREP) est crée en 1948 par Abdoulaye Ly et ses camarades dont Solange Faladé (qui sera la première présidente de la FEANF en 1951), François Amorin, Louis Béhanzin, Mohamed Diawara, Amadou Mahtar Mbow, Noé Kutuklui, etc. Ce groupe qui a exercé une grande influence sur l’Association Générale des Etudiants Africains de Paris (AGEAP) s’est livré, entre 1948 et 1950, à des recherches théoriques sur le marxisme et sur l’impérialisme en s’appuyant sur « l’accumulation du capital » de Rosa Luxemburg afin de montrer « les insuffisances de la théorie léniniste de l’impérialisme pour une explication globale satisfaisante du phénomène impérialiste en Afrique ». En effet, dans la mesure où la théorie léniniste de l’impérialisme n’avait pas abordé la question de l’expansionnisme colonial précédent la période du capitalisme monopoliste qui s’adressait principalement aux pays dominés et arriérés, elle constituait de facto un facteur limitant dans l’élaboration des matériaux de première main pour les révolutionnaires marxistes, notamment africains, dans la mise en place de leur tactique et de leur stratégie. C’est pourquoi le GAREP soulignait dans son manifeste que : « la définition de l’impérialisme moderne ne suffit pas pour résoudre les problèmes de l’anti-impérialisme. Il est nécessaire d’analyser le processus de développement du capitalisme pour pouvoir saisir sous tous ses aspects cet impérialisme qui l’accompagne. Dans ces conditions, l’étude du mécanisme même de l’accumulation du capital s’impose ». Le GAREP a procédé à la traduction et la diffusion de l’ouvrage « Towards colonial freedom » (Vers la libération nationale) de Nkrumah à qui d’ailleurs, il reproche « une analyse insuffisante de la société en Gold Coast » et son adhésion trop prononcée aux thèses léninistes sur l’impérialisme. Favorable à l’idée d’indépendance, bien que ne l’ayant jamais affirmé clairement, les membres de ce groupe ont joué un rôle fondamental dans la création de la FEANF.

Une autre organisation politique d’étudiants africains, concurrente du GAREP, l’Association des étudiants RDA (l’AERDA), fut créée en 1949 mais légalisée seulement le 23 octobre 1950. Elle avait pour but, comme le stipule son statut, le regroupement de ses membres pour « défendre la cause africaine dans le cadre du RDA ». Son programme politique affirme clairement la participation de ses membres à la lutte pour « l’émancipation politique, économique, sociale et culturelle en vue de l’indépendance nationale ». C’est ainsi qu’elle combattra les positions des parlementaires RDA après le repli tactique amorcé par ceux-ci à partir de 1950 et qui consistait à renoncer à leurs engagements tels que définis par le Manifeste et le rapport D’Arboussier. Organisée en sections dans les différentes académies, il existait en son sein deux tendances distinctes : celle des nationalistes dirigée par Cheikh Anta Diop qui luttait pour l’indépendance des pays africains tout en accordant une grande priorité aux problèmes culturels, de langues, d’histoire et de civilisation, et celle du groupe de langues qui se référait au marxisme et qui était rattachée au Parti communiste français. Parmi les principaux animateurs de ce groupe on peut citer Mamadou Ciré Dia, Babakar Niang et Abdou Moumouni. L’AERDA qui finira par se saborder en 1956 publiait un organe : « La voix de l’Afrique noire ». Ses militants ont, aussi, activement participé à la création de la FEANF.

A coté de ces deux regroupements politiques majeures qui luttaient pour influencer le mouvement étudiant africain en France, on note la création en 1950, par Abdoulaye Wade et Majhemout Diop, d’une association dite, elle aussi, des étudiants nationalistes qui a eu une vie éphémère mais qui a clairement pris position pour l’indépendance des pays africains. Elle a développé ses positions dans son manifeste, rédigé par Majhemout Diop et publié dans la revue Présence africaine, en 1953 sous le titre : « L’unique issue : l’indépendance ». Leurs points communs avec les nationalistes de l’AERDA se situe au niveau de leur nationalisme culturel et de leur démarcation par rapport au marxisme.

La création de la FEANF en décembre 1950

Après l’examen des principales associations politiques d’étudiants d’Afrique noire en France jusqu’en 1950, Amady Aly Dieng consacre le chapitre trois de son ouvrage à la création de la FEANF qui est née en décembre 1950, lors d’un congrès tenu à Bordeaux les 28, 29 et 30 décembre par les associations académiques de Montpellier, de Bordeaux, de Toulouse et de Paris (celle de Lyon empêchée, donna son adhésion à la Fédération par écrit). Dieng commence par faire une analyse de la situation politique au sein du mouvement étudiant africain au moment de la création de la FEANF caractérisée par des luttes et des divergences entre les organisations politiques d’étudiants. Ces divergences et luttes d’influence opposaient, d’une part, le GAREP aux étudiants dits apolitiques et portaient sur la conception du syndicalisme étudiants et sur le rôle du mouvement étudiants (notamment de l’AGEAP) qui, selon les apolitiques, devait se démarquer de la politique et se consacrer, essentiellement, à la défendre les intérêts matériels et moraux de ses militants et, d’autre part, le GAREP à l’AERDA pour le contrôle l’AGEAP dont le poids politique était très important, compte tenu de la grande concentration des étudiants africains à Paris. Ces oppositions entraînèrent une scission de l’AGEAP en deux tendances avec Mamadou Ciré Dia et Amadou Matar Mbow à leurs têtes. Cette situation retardera la mise sur pied de la FEANF et embarrassera les associations académiques, notamment celle de Toulouse où le Congrès constitutif devait se tenir. Certaines menacèrent même de se fédérer sans l’AGEAP qui, heureusement, réussit à réaliser son unité à la rentrée universitaire de 1950. Dieng poursuit avec l’examen des travaux du congrès constitutif de Bordeaux qui avait été précédé par celui de Lyon, les 5, 6 et 7 avril 1950 et qui avait examiné le projet de statuts de la FEANF. La création de la Fédération eut réellement lieu dans la nuit du 31 décembre 1950 au 1er janvier 1951. Les délégations présentes étaient ainsi constituées : (Bordeaux) Léandre Almon (qui a présidé les travaux du congrès), Etienne Sarazin et Grégoire Gbenou  ; (Montpellier) Mamadou Bâ, Amsata François Sarr et Albert Franklin ; (Toulouse) Cheikh Amadou Diop, Yaré Fall et Georges Glokpor ; Louis Atayi et Amadou Mahtar Mbow (qui furent élus pour diriger un comité exécutif provisoire jusqu’au 1er congrès en mars 1951) composaient la délégation de Paris. Les buts et les objectifs de l’Association, ses différentes instances, ainsi que l’organisation de ses activités jusqu’au 1er congrès tenu du 20 au 22 mars 1951 mettent fin à ce chapitre.      

Les différentes assises et les activités de la FEANF de 1950 à 1955

Le chapitre 4 de l’ouvrage de Dieng traite des différents congrès, des conseils d’administration et des activités de la FEANF. De 1950 à 1955, celle-ci a tenu six (6) congrès qui furent marqués par de grandes difficultés organisationnelles consécutives aux divergences entre les diverses tendances du mouvement étudiant sur la question de la prédominance ou non des sections académiques sur les sections territoriales.  Cette situation ne connaîtra sa résolution qu’avec le modus vivendi obtenu le 15 juillet 1954, après deux journées d’études organisées à Paris par le Comité exécutif qui a retenu la structuration de la Fédération, à la fois, sur la base des sections académiques et territoriales. Dieng ne manque pas, sur cette question, d’indexer les manœuvres de division ourdies par les fonctionnaires de la rue d’Oudinot afin d’amener certaines associations territoriales à s’opposer, sur des bases chauvines, à cette forme d’organisation. Quant aux activités de la fédération, elles étaient essentiellement corporatistes et consistaient surtout en l’organisation de camps de vacances pour contester la mainmise paternaliste du ministre de la France d’Outre-Mer sur cette activité. La FEANF, en outre, s’est efforcée à nouer des relations aux niveau international, notamment avec l’Association Générale des Etudiants de Dakar (AGED), avec l’Union Internationale des Etudiants (UIE) et avec la West African Students Union (WASU) qui existait depuis 1925.  

La presse des associations nationales des étudiants africains et de la FEANF

Le chapitre 5 consacré à la presse analyse les différentes revues et publications diffusées par les différentes associations d’étudiants africains ainsi que les organes de presse dans lesquels ils pouvaient s’exprimer en France. On note, en premier lieu, « L’Etudiant de la France d’Outre-Mer » paru jusqu’en 1949 et soutenu par le ministère des colonies et le journal « Etudiants anti-colonialistes », influencé par le parti communiste français. A partir de 1952, d’autres publications réalisées et gérées par les étudiants africains eux-mêmes prendront le relais.

Il s’agit d’abord de « La voix de l’Afrique noire » publiée par l’AERDA dont la ligne éditoriale évoluera en fonction des rapports de force entre les différentes tendances concurrentes dans cette association.

De « L’Etudiant de Côte d’Ivoire » qui paraîtra de 1954 à 1956. Cette publication défendait des thèses proches du PDCI.

De la revue « Tam-Tam » parue de 1952 à 1960. Publiée par l’Union des Etudiants catholiques où s’exprimaient des étudiants et intellectuels comme Joseph Ki-Zerbo et Alioune Diop, cette revue prônait un nationalisme d’inspiration chrétienne.

De « Kaso » (Vérité) journal des étudiants camerounais qui parut entre 1954 et 1956. Evoluant dans le même registre que Cheikh Anta Diop, ce journal insistait sur la revalorisation de l’identité culturelle africaine.

Enfin, de « L’Etudiant d’Afrique Noire » journal de la FEANF qui connut sept livraisons entre 1950 et 1955. D’orientation essentiellement corporatiste jusqu’en 1955, cette publication prendra une orientation plus nationaliste, après cette date. C’est à partir de ce moment que la carte d’Afrique avec en superposition le vase troué du roi Ghezo figurera sur la première page du journal. En réalité, c’est avec le transfert de son siège à Toulouse, en 1956, que « L’Etudiant d’Afrique noire » adoptera définitivement une ligne syndicale révolutionnaire grâce au dynamisme et au dévouement d’une équipe rédactionnelle animée par Albert Tévéodjeré, Sadji Booker, l’inusable et incontournable Joseph Van Der Rysen, Amadou Dicko, Barry Mamadou, etc.  

Les étudiants africains face aux problèmes politiques et culturels

La période d’après-guerre caractérisée par un bouillonnement des idées, forgera une réelle prise de conscience des réalités politiques et culturelles du continent au sein des étudiants africains. Cela favorisera, chez beaucoup, une sérieuse accumulation de savoirs et la construction d’une personnalité politique et intellectuelle. Ainsi, à la suite de leurs aînés comme Senghor, Alioune Diop, Louis Béhanzin, Abdoulaye Ly, etc., bon nombre d’entre eux laisseront une importante production politique et littéraire parmi lesquels on peut citer Cheikh Anta Diop, Albert Franklin, Majhemout Diop, Joseph Ki Zerbo et bien d’autres. Sur le plan politique, trois grandes tendances se dégageaient du mouvement étudiant d’Afrique noire :  

- Les étudiants nationalistes dont ceux issus de l’AERDA et réunis autour de Cheikh Anta Diop et le groupe constitué par Majhemout Diop et Abdoulaye Wade. Proche de ces groupes, on notait la présence d’un courant des étudiants catholiques nationalistes animé par Joseph Ki Zerbo.

- Les étudiants progressistes constituaient deux groupes distincts, à savoir : le groupe de langues (l’autre tendance de l’AERDA) avec comme leaders Babakar Niang et Abdou Moumouni et proche du PCF, et le GAREP animé par Abdoulaye Ly. On peut ranger aussi parmi les étudiants progressistes certains étudiants comme Albert Franklin (ce dernier dirigea la FEANF pendant deux ans : 1953 et 1954) qui sans appartenir organiquement au groupe des étudiants progressistes sympathisaient avec les idées marxistes.

- Le troisième groupe, celui des étudiants apolitiques, avec à leurs tête Jérôme Kouadio, Doudou Thiam et Assane Seck, était plutôt proche des thèses assimilationnistes de l’administration française.        

Concernant les questions culturelles, Dieng fait une synthèse des différents courants de pensée et d’idées qui ont traversé le mouvement étudiant et intellectuel africain et qui constituaient le socle sur lequel il définissait et élaborait ses actions et sa ligne de conduite. Il s’agit du marxisme avec le groupe de langues de l’AERDA, de la négritude avec Senghor, du nationalisme pharaonique avec Cheikh Anta Diop et l’autre tendance de l’AERDA, de l’existentialisme et du personnalisme avec Joseph Ki Zerbo et R. Tchidimbo qui sera plus tard l’archevêque de Conakry. Parmi tous ces courants, les marxistes ont laissé peu d’écrits et de « réflexions pertinentes sur leurs sociétés ». Ils se sont préoccupés essentiellement de l’action syndicale et politique.

Les rapports de la FEANF avec les différentes organisations évoluant en Afrique

Le dernier chapitre de l’ouvrage de Dieng porte sur les relations entre la FEANF et les différentes organisations syndicales et politiques évoluant en Afrique noire, à savoir : l’Association Générale des Etudiants de Dakar (AGED), le Conseil de la Jeunesse d’Afrique (CJA), l’Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire (UGTAN). Avec les parlementaires africains et les autorités administratives, aussi bien en Afrique qu’en France, les rapports se limitaient principalement à des revendications (augmentation du taux des bourses, subventions pour les activités de vacances, amélioration des conditions de vie). A travers les activités de vacances, les militants de la FEANF s’efforçaient d’établir des liens avec les forces politiques et syndicales en Afrique afin de mieux diffuser les positions de l’organisation.

Conclusion :

Ce livre sur l’histoire du mouvement étudiant, d’avant les indépendances formelles de 1960, est une véritable mine d’informations et constitue même un vademecum pour quiconque désire comprendre et mesurer le rôle de ce mouvement dans la prise de conscience politique des intellectuels et étudiants africains. C’est aussi un document historique de première main tant dans l’approche méthodologique qu’en ce qui concerne l’exhaustivité et la pertinence de la documentation utilisée ce qui en fait un des ouvrages, sinon même, l’ouvrage le plus complet, à l’heure actuelle, sur les origines et le développement du mouvement étudiant africain ainsi que sur son rôle et sa contribution dans la lutte pour l’indépendance. Certes, beaucoup d’autres chercheurs, historiens et intellectuels africains ou d’ailleurs ont consacré des études à la FEANF. On peut citer le professeur Sékou Traoré, le Docteur Charles Diané tous anciens dirigeants de la FEANF. D’autres comme Jean-Pierre Ndiaye, Fabienne Guimont, Adimado Messa, Joseph-Roger de Benoît, Marième Diop etc., ont consacré des chapitres ou des pages à la FEANF. Mais le contenu de l’ouvrage de Dieng diffère sensiblement des autres ayant traité ce sujet en ce sens que non seulement, il s’adonne de façon méthodique et scientifique à un travail d’historien à partir d’une documentation exhaustive et inédite, mais aussi, parce qu’il se démarque de tout subjectivisme et d’une certaine prétention que l’on peut noter chez certains auteurs ayant écrit sur la FEANF. Mieux, son œuvre permet aussi de situer le rôle et l’apport de cette association dans la lutte pour l’indépendance, ses moments de gloire, ses insuffisances et ses limites. Cela permet ainsi de restituer de façon très objective l’histoire de la FEANF jusqu’aux indépendances. C’est pourquoi, il faut souhaiter vivement que l’auteur aborde dans un deuxième livre la période de la vie de cette organisation des années 1960 jusqu’à sa dissolution. Il serait souhaitable aussi que d’autres acteurs de la vie de la FEANF viennent apporter encore plus de lumière sur l’histoire et la contribution de celle-ci aux luttes politiques et sociales en Afrique notamment, après la période des indépendances formelles. De ce point de vue, on ne peut que partager l’appel du professeur Dieng qui invite les différents responsables et acteurs des heures glorieuses de la FEANF à témoigner et à écrire leurs expériences ainsi qu’à réunir et sauver ce qui peut l’être encore des archives de l’organisation dans les 13 pays africains dont les étudiants étaient regroupés en son sein. Dans cette tâche, il faudrait, cependant, pour faire un bilan exhaustif et utile de la FEANF, éviter de verser dans des jugements subjectifs et partiaux sur l’évolution et l’action de cette organisation après les années d’indépendance qui ont vu son rôle et sa force décliner progressivement jusqu’à sa dissolution en 1981 par un décret du président français Valéry Giscard d’Estaing. On ne saurait, en effet, sous-estimer, l’éclairage et la formation politiques que la FEANF a pu apporter à plusieurs générations d’étudiants et d’intellectuels africains après 1960 parmi lesquels figurent de nombreux héros et martyrs dont la conviction, l’envergure et le courage continuent toujours de séduire et d’inspirer même les générations actuelles malgré la trahison de bon nombre d’anciens responsables et l’abandon de leurs idéaux d’antan par de nombreux militants.



14/06/2011
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