RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE
RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE
Par Amadou DIALLO
Dans un article intitulé : « Francophonie : le Burkina Faso face au développement durable » publié dans le n°3247 du journal le »pays », Ariane Poissonnier de MFI tente de montrer comment, malgré des difficultés structurelles sérieuses, le Burkina connaît une croissance économique dans différents domaines. Concernant la recherche scientifique et l’enseignement supérieur, elle se base sur la visite et les réalisations du centre d’excellence en biotechnologies et son école doctorale de l’Université de Ouagadougou dirigé par le Professeur Alfred TRAORE et financé par l’Agence universitaire de la francophonie, pour illustrer l’apport de la recherche dans le développement durable. Cependant, sans négliger le rôle et l’importance de ce pôle d’excellence de l’Université de Ouagadougou, il convient de reconnaître que cet exemple ne reflète pas, et loin s’en faut, les réalités et les conditions dans lesquelles évolue la recherche scientifique dans notre pays. Cet article vise à recentrer le débat sur sa véritable place en Afrique et, plus particulièrement, au Burkina Faso, tout en insistant sur l’urgence de l’importance à lui accorder afin qu’il puisse contribuer efficacement au développement économique et social de nos pays car les réussites comme celui du laboratoire et de l’école du Professeur TRAORE ne sont que la partie visible de l’iceberg.
« Si vous pensez que le savoir coûte cher alors achetez l’ignorance »
En effet, ne pas considérer la recherche scientifique et technologique comme le levier incontournable du développement en Afrique et plus singulièrement au Burkina Faso relève de l’ignorance et de l’inconscience. Le problème c’est que la plupart des décideurs et dirigeants politiques africains ainsi que la plupart de tous ceux qui ont, pourtant, un intérêt quelconque dans la recherche continuent de ne pas lui accorder toute l’attention et la confiance nécessaires. C’est une grave erreur et c’est mortel.
L’importance de la recherche scientifique pour le développement de notre pays est d’une brûlante actualité et aucun secteur de l’économie et de la société ne saurait évoluer en dehors de lui. La prospérité et la force des pays du Nord sont bâties, en premier, sur les multiples liens qu’entretient la recherche avec les autres secteurs d’activités. Cela coûte cher, mais constitue une donnée vitale car comme le souligne si bien un dicton américain : « si vous pensez que le savoir coûte cher, alors achetez l’ignorance ». Certes, le Burkina Faso est un pays pauvre mais, c’est petit à petit, effort après effort, sans discontinuer qu’il doit renforcer sa recherche scientifique pour faire face aux différents défis qui l’interpellent.
Malheureusement, cela ne semble pas être la tendance dans l’évolution de la recherche scientifique dans les pays sous-développés comme le nôtre car il n’existe pas une véritable prise de conscience au niveau des décideurs politiques pour entraîner une mobilisation suffisante de moyens matériels et financiers afin de procéder aux investissements, de plus en plus lourds, que requiert le développement d’une puissante base autonome de recherche, de production et de diffusion d’informations, de savoirs et de technologies de pointe, condition nécessaire pour, non seulement, nous libérer de notre actuelle dépendance scientifique et technologique, mais aussi, pour espérer tenir raisonnablement un rôle actif dans le monde de demain. Il en découle donc une nette option pour la coopération scientifique internationale qui est devenue très importante et déterminante pour l’Afrique, au détriment d’un effort conséquent et interne pour renforcer son propre système de recherche. Mais, beaucoup de spécialiste pensent qu’en la matière l’Afrique doit faire preuve davantage de volonté politique. En effet, limitée par la faiblesse des ressources nationales, la recherche dans les pays africains est tributaire pour l’essentiel de la coopération internationale. Sans cette coopération, de plus en plus de chercheurs originaires de ces pays, confrontés à l’insuffisance des ressources nationales et à des conditions de travail difficiles, s’exilent en Occident. Cette fuite des cerveaux constitue une menace pour la communauté académique et la recherche fondamentale dans beaucoup de pays africains et freine sérieusement leur développement.
Fuite des cerveaux et financement endogène.
Déjà, en 1999, selon les estimations de l’UNESCO, 30 000 africains titulaires d’un doctorat d’état travaillaient hors du continent, notamment aux USA, en Angleterre et en France où ils ont obtenu des postes de responsabilité dans des instituts de recherches et dans les universités. Ainsi, les différents laboratoires, universités et grandes écoles d’Afrique, en raison de l’exode des cerveaux vers l’occident, souffrent, de plus en plus, du manque d’enseignants et de chercheurs. Ils quittent généralement leur pays à cause de la médiocrité des salaires, du statut précaire des chercheurs et des problèmes politiques.
Malheureusement, il est difficile d’envisager une solution à court terme à cette question et il est illusoire aujourd’hui de vouloir les faire revenir surtout qu’il n’existe pas de potentiel scientifique suffisamment attractif pour leur permettre de travailler correctement, sans compter les motivations matérielles. La seule alternative actuelle pour les Etats africains est de créer les conditions d’une meilleure prise en charge afin que les scientifiques africains expatriés participent à des programmes de recherche initiés dans leurs pays ou sur le continent avec un appui de la communauté internationale.
Cependant, malgré la création de nombreuses structures publiques et privées au plan national comme international pour favoriser cette coopération scientifique internationale avec, il faut le reconnaître, quelques résultats probants, le problème fondamental du financement endogène de la recherche demeure une très grande question en Afrique. A titre de comparaison, on peut noter que dans la plupart des pays développés, l’investissement dans la science et la technologie est d’environ 2% du PIB (la Suède arrive en tête avec 3%. En Afrique sub-saharienne, seules l’Afrique du Sud et les Seychelles consacrent 1% ou davantage de leur PIB à la recherche-développement alors que de nombreux experts estiment qu’il faut un investissement de plus de 1% du PIB dans la science et la technologie pour que cela ait un impact significatif sur le niveau de développement. La situation ne dispose donc pas à l’optimisme et, de plus en plus, cette question figure parmi les préoccupations de nombreux chercheurs et structures de recherches africaines.
Ainsi, pour Cheick Modibo DIARRA, le célèbre scientifique d’origine malienne, la voie de salut pour la recherche scientifique en Afrique se pose en terme de « volonté politique et programmation ». Pour lui les programmes de recherche scientifique doivent s’appuyer sur des systèmes de regroupement régionaux avant de songer au partenariat avec le Nord car la coopération Sud-Sud est plus importante que la coopération Nord-Sud. A la question de savoir ce que le continent africain peut proposer à la communauté scientifique internationale ? Il répond ainsi : « Vous voulez parler sans doute de ce fameux retard du continent dont on parle tant. Je vois les choses autrement. Les pays riches ont investi de grosses sommes dans des infrastructures qu’ils sont obligés d’amortir car avec les innovations technologiques, ces mêmes infrastructures vont être dépassées en un temps record.
Le seul budget du programme Magellan était supérieur à 740 millions de dollars. Nous africains par contre, nous ne pouvons certainement pas avoir ces ambitions, mais il y a lieu de s’adapter. En définitive, il faut noter que la connaissance scientifique est universelle. Cela veut dire que dès qu’une découverte scientifique a lieu, elle appartient à la communauté mondiale. Le problème en Afrique n’est pas la détention d’un savoir mais plutôt l’acquisition de savoir-faire. Et puis l’Afrique est un continent de 740 millions d’habitants dont la moitié a moins de 20 ans. C’est une chance inestimable. A nous de développer ces ressources humaines… ».
Limites et perspectives de la recherche en Afrique
En fin de compte, l’avenir des pays pauvres, notamment de ceux d’Afrique subsaharienne, dépendra, pour l’essentiel, de la prise de conscience et de la prise en compte par leurs responsables du fait que les questions de leur développement sont intimement liées à la qualité et à la force de la recherche scientifique dans leurs pays. Pour s’en convaincre, on peut se référer à ce diagnostic précis et actuel de la recherche africaine par le Professeur Bonaventure Mvé-Ondo, de l’Université Omar BONGO de Libreville. Son analyse porte sur les limites et les perspectives de la recherche en Afrique. Partant du constat que le contexte scientifique international d’aujourd’hui est marqué par la mondialisation des échanges à travers une grande mobilité des enseignants, des chercheurs et des étudiants et par un affaiblissement continu du rôle des Etats du Sud dans ce large mouvement , il note trois grandes tendances dans l’évolution de la recherche :
- La première tendance indique que l’avenir appartient aux seules « sociétés de savoir ». Cela veut dire que la maîtrise de la science et des techniques, contrairement à ce qui était soutenu jusqu’ici, est devenue la condition première du développement. Ainsi toute société qui ne s’investirait pas dans la science, est appelée à disparaître. Autrement dit, science égale développement.
- Deuxième est la conséquence de la première : la recherche se privatise de plus en plus. Du coup, la connaissance scientifique n’est plus un bien public disponible pour tous, mais un bien privé qu’il faut protéger et garder jalousement. On comprend alors que la capacité de création scientifique soit devenue une arme commerciale pour le seul profit des firmes privées et non plus des Etats.
- La troisième tendance est la consécration des deux premières : aujourd’hui, la recherche se fait de plus en plus au Nord. C’est la conséquence de la raréfaction ces financements. Cette concentration des centres de recherche au Nord entraîne inéluctablement pour les pays africains une situation d’apartheid scientifique ou de « primairisation » de la science.
Trois faits viennent confirmer ces tendances d’évolution de la recherche dans les pays du Sud. Le premier porte sur le volume de la production scientifique en Afrique. En effet, si l’on observe la production scientifique mondiale publiée, on s’aperçoit que l’ensemble des pays dits en voie de développement ne « produit » que 8ù de cette littérature contre 78% pour les pays développés, à savoir les Etats-Unis (36%), le Japon et l’Europe occidentale. En ce qui concerne l’Afrique, la production scientifique publiée était en 2000 de 0,3%. Il convient de rappeler qu’en 1960, cette part représentait 0,3% et qu’elle était montrée dans les années 1980 jusqu’à 1%.
Le second fait porte sur le cadre même de cette dégradation. Depuis 1980, avec la réduction des budgets des Etats, avec les politiques d’ajustement structurel et les nombreux conflits, les systèmes d’enseignement supérieur et de recherche africains se sont fortement dégradés. Cela s’est traduit par des tutelles politiques amoindries, par des recrutements rares ou inexistants, par la « clochardisation » des chercheurs et des enseignants, par des institutions désertées ou purement fermées. De nombreux enseignants et chercheurs, pour compléter leurs revenus, s’engagent de plus en plus dans la politique, dans des travaux d’expertise ou de consultation, dans des cours privés, et dans toutes sortes d’activités secondaires comme l’agriculture, l’élevage, la gestion de « maquis » et de biens d’autres activités rémunératrices.
Le troisième fait est lié aux transformations en cours. Les structures de recherche en Afrique sont devenues essentiellement dépendantes des programmes d’aide à la recherche ou de coopération financés par le Nord. A tel point que, pour commencer la moindre action, il faut désormais attendre les financements du Nord (tout au moins pour les laboratoires qui en obtiennent comme celui du professeur Alfred TRAORE). Or, dans un monde où la maîtrise des nouveaux savoirs et la culture technologique sont devenues les seuls garants du développement, l’Afrique, en ne prenant pas en compte son avenir scientifique, en se désengagement comme elle le fait, de plus en plus, de la recherche, s’enfonce en fait dans un ghetto. Continent marginalisé, l’Afrique subsaharienne, malgré quatre décennies d’efforts et de coopération internationale pour le développement et malgré quelques Centres de haut niveau comme le Codesria, n’arrive pas à engager une véritable politique de recherche qui débouche sur son développement.
Ces constats du professeur Mvé Ondo nous démontrent, on ne peut mieux, qu’il n’y a pas d’autre alternative au développement du continent africain et notamment au Sud du Sahara sans une véritable prise de conscience par les décideurs politiques de la nécessité de fournir un sacrifice financier et matériel autonome et soutenu afin de mettre en place un système national de recherche performant. Il en va du sort de tous, même de ceux qui sont au sommet de la hiérarchie sociale. En définitive, il est clair, aujourd’hui, que pour sortir des situations de ghetto scientifique, la recherche en Afrique et en particulier au Burkina Faso, si elle veut contribuer au développement et au bien-être des populations, doit d’abord être considérée comme un domaine stratégique. Ensuite, elle doit être orientée par les politiques nationales tout en s’insérant dans des réseaux internationaux. Les difficultés de la recherche scientifique burkinabé interpelle vivement nos autorités quant aux solutions à leur donner. Au delà de la coopération scientifique son avenir est entre nos mains car comme l’a précisé le Professeur Shem. O Wandiga, président de l’académie nationale des sciences du Kenya « c’est par la science et la technologie que l’on va mettre en place des Etats plus sains et plus sûrs » et cela d’autant plus que « dans l’histoire des hommes aucune nation n’a réalisé son destin en la confiant aux autres ».
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